El Watan (Algeria)

Débat autour de la lutte contre la pédophilie et ses tabous

- AFP

Opposés à la peine de mort réclamée par certains après le viol et le meurtre d’un garçon de 11 ans, des défenseurs des droits humains appellent à «briser les tabous» de la société marocaine pour mieux lutter contre la pédophilie.

L’enlèvement, suivi du viol et de la mort du petit Adnane à Tanger (nord), à la mi-septembre, a mobilisé l’opinion publique, d’autant que la presse a ensuite couvert d’autres affaires de pédophilie, parmi lesquelles l’arrestatio­n d’un imam accusé d’avoir abusé de plusieurs enfants de son village. Pour l’écrivain et militant des droits humains, Ahmed Assid, se focaliser sur la peine de mort «est une fuite en avant pour ne pas ouvrir un vrai débat sur les causes profondes des abus sexuels sur les enfants et de la tolérance tacite qui protège les agresseurs». Selon lui, «le silence de la société marocaine sur les questions sexuelles, tabou dans les familles, et donc absentes du débat public, favorise l’impunité des pédophiles et la nondénonci­ation des abus».

PEUR DE LA HONTE

«Hchouma», un mot du dialecte marocain, recouvre à la fois la pudeur et la honte, par extension la peur du scandale et de la stigmatisa­tion sociale pour tout sujet lié à la sexualité. Et c’est à cause de la «hchouma» que l’imam pédophile, récemment interpellé dans la région de Tanger, a pu, pendant des années, agresser impunément des élèves de son école coranique, selon Me Abdel Moneim Al Rifai. Cet avocat représente les premiers parents qui ont porté plainte en l’accusant d’avoir abusé de leur fille de 7 ans. Leur initiative a libéré la parole dans le village : les familles de cinq autres filles âgées de 7 à 17 ans ont déposé plainte après eux, certains pour des faits remontant à plus de 7 ans. Des parents étaient au courant depuis longtemps mais avaient préféré se taire. Pour l’avocat, «l’indignatio­n suscitée par l’affaire Adnane a sans doute poussé le village à briser le silence». A l’inverse, une forme d’indulgence collective a permis à un autre imam de la région de Marrakech d’être condamné à «seulement 5 ans de prison» en 2017 pour des agressions sexuelles sur sept mineures, selon le militant de l’Associatio­n marocaine des droits de l’homme Omar Arbib.

«Certains habitants du village avaient même demandé que l’affaire soit classée pour ne pas exposer d’autres victimes, sous prétexte de protéger leur réputation», assure-t-il. «Chaque jour, nombre de coupables de viol échappent à la justice après abandon de la plainte par les parents de la victime, en contrepart­ie d’une ‘compensati­on’ financière ou d’un mariage de la honte», s’indigne Amina Bouayach, la présidente du Conseil national des droits de l’homme (CNDH). Pour elle, l’urgence est de réformer le code pénal marocain pour limiter les abandons de poursuites et durcir les sanctions contre les pédophiles. En juin, la remise en liberté d’un homme accusé du viol d’une fillette de 6 ans après que les parents ont retiré leur plainte, avait provoqué un tollé.

IMPUNITÉ

«L’indulgence de la justice» a été pointée du doigt en février, quand un Koweïtien, poursuivi pour un viol sur une mineure, a pu quitter le pays après avoir été remis en liberté grâce à abandon des poursuites. Dans la foulée de l’affaire Adnane, le ministre d’Etat aux droits de l’homme, Mustafa Ramid, a annoncé fin septembre des concertati­ons pour «examiner les éventuelle­s lacunes des lois». Actuelleme­nt, le crime de viol suppose qu’il s’agisse «d’un homme ayant des relations sexuelles avec une femme contre le gré de celle-ci». Les autres cas relèvent de «l’attentat à la pudeur». La sévérité des condamnati­ons est variable. La semaine dernière, en pleine indignatio­n autour du drame du petit Adnane, «un homme a été condamné à deux ans et demi de prison pour avoir violé un enfant», souligne Omar Arbib. Pour lutter contre la pédophilie, la frange moderniste de la société appelle aussi à développer l’éducation sexuelle dans les familles et dans les programmes scolaires où le sujet n’est pas abordé.

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La pédophilie reste un sujet tabou au royaume chérifien

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