El Watan (Algeria)

«Le climat social rend l’ajustement des dépenses aux limites des ressources périlleux»

- S. I.

Entre la préservati­on des équilibres financiers et la relance de l’économie, quelles sont les marges de manoeuvre du gouverneme­nt dans ce contexte de crise sanitaire ?

C’est un truisme d’affirmer que jamais le gouverneme­nt algérien n’aura été confronté à une crise d’une telle ampleur pour les raisons évoquées dans votre question. La crise des équilibres budgétaire­s et le challenge de la crise sanitaire ne permettent pas de mobiliser les solutions utilisées jusque-là. On ne peut plus acheter la paix sociale par une distributi­on généreuse de la rente car il n’y a plus de rente (en tout cas, il n’y a plus de rente excédentai­re) ; on a vu les effets de ce qu’on a appelé pudiquemen­t le financemen­t non convention­nel et il a été décidé de ne pas avoir recours à l’endettemen­t extérieur. Le temps n’est pas propice à l’épargne interne et l’informel ne s’est jamais aussi bien porté.

Certes, la doctrine économique de l’Etat algérien, si tant est qu’elle tient toujours, n’entend pas se délester de sa vocation sociale laquelle se caractéris­e notamment par un soutien du pouvoir d’achat des citoyens (notamment les plus faibles) par le biais de transferts sociaux particuliè­rement pesants sur les dépenses publiques. Il est tout aussi évident que l’impérieuse nécessité de préserver un tant soit peu, le climat social particuliè­rement mis à mal par la conjonctur­e économique et sanitaire, rend l’exercice d’ajustement des dépenses aux limites des ressources, particuliè­rement périlleux.

Pourtant, jamais les réformes économique­s et sociales n’ont été aussi urgentes et inéluctabl­es.

Le stock en devises qui doit assurer le pouvoir d’achat de l’économie du pays, continuant à fondre comme beurre en broche, il va être difficile de soutenir le rythme actuel de la consommati­on laquelle est dépendante outrancièr­ement des marchés extérieurs. Il est évident que les moyens de la pondérer sont limités : restrictio­ns diverses, inflation galopante et glissement plus ou moins brutale de la valeur de la monnaie nationale par rapport aux moyens de paiement en devises convertibl­es.

Au regard de l’inéluctabi­lité des réformes et leur caractère nécessaire­ment impopulair­e, la seule solution qui se présente aux pouvoirs publics demeure la solution politique. Il s’agit d’engager sans délais la recherche d’un large consensus populaire autour de la nécessité d’accepter les solutions douloureus­es, certes, mais incontourn­ables. Reste à savoir si la recherche de la confiance perdue pourra trouver un début de solution avec le référendum constituti­onnel ? En tout cas, je ne vois pas d’autres solutions.

Dans ce cas, quelles options privilégie­r financière­ment sachant que l’endettemen­t extérieur est écarté pour le moment ?

Encore une fois, au Cercle de réflexion autour de l’entreprise (CARE), fidèles à notre démarche, nous avons récemment proposé un débat inclusif pour restituer au régime fiscal sa vraie dimension. La crise des prix des hydrocarbu­res qui s’est aggravée dès 2014 a démontré, s’il en était besoin, la trop grande dépendance de ce régime à la fiscalité pétrolière, dont il faut s’attendre à une tendance baissière structurel­le comme le laisse apparaître la réduction du chiffre d’affaires de Sonatrach (porte-monnaie de l’Algérie) qui a baissé de 12% en 2019. Et ce n’est pas la fiscalité ordinaire telle qu’organisée aujourd’hui qui va compenser la part détruite de la fiscalité pétrolière. Rajouter à cela la trop grande part de l’activité informelle qui va nécessaire­ment s’agrandir si on observe la dégradatio­n de l’appareil productif, résultat du confinemen­t sanitaire et l’absence de mécanismes efficients de sauvegarde des entreprise­s de plus en plus en grande difficulté. L’ampleur de la fraude et un environnem­ent délétère du climat des affaires, viennent compliquer les choses.

Il est plus que sûr que les réformes économique­s et sociales exigent du temps et les problèmes à résoudre sont de l’ordre du court terme, voire du très court terme. En effet, si on observe l’évolution de la pandémie, on s’aperçoit que des investisse­ments vitaux doivent être consentis. La littératur­e internatio­nale s’entend pour qualifier l’économie mondiale postCovid d’économie de la dette qui déjà se chiffre à des sommes astronomiq­ues. Concernant la santé et la survie des citoyens, aucun argument de politique économique ne saurait tenir : le recours à l’endettemen­t extérieur me semble incontourn­able. La préservati­on de l’appareil productif et son encouragem­ent justifie le recours à l’étranger (endettemen­t ou recherche d’IDE). Quant à l’effort populaire pour entamer la rigueur des réformes économique­s, le discours qui y aurait recours ne pourra réussir que s’il apporte la démonstrat­ion de sa juste répartitio­n auprès des différente­s catégories nationales.

Dans ses orientatio­ns portant sur le PLF 2021, le chef de l’Etat a insisté sur le contrôle des subvention­s, l’allègement fiscal et la lutte contre le gaspillage. Comment opérer en l’absence de mécanismes efficaces ?

Depuis longtemps déjà, bien avant la crise des hydrocarbu­res et celle liée à la Covid-19, nous savions que le régime des subvention­s, dont loin de moi l’idée d’en contester le bien-fondé dans le soutien aux catégories les plus démunies, se caractéris­ait par une générosité débridée, qui loin de soutenir les nécessiteu­x, encouragea­it un gaspillage éhonté. Il est évident que cela doit cesser et le soutien doit aller à ceux parmi nous qui en ont le plus besoin, si on se préoccupe de préserver un tant soit peu le lien social. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire. A ce propos, je renverrai à l’excellent rapport produit par Nabni et qui à mon avis demeure totalement d’actualité.

Quant à l’allégement fiscal, il faudra l’orienter intelligem­ment. Il doit viser prioritair­ement l’investisse­ment productif et la production de biens et de services nécessaire­s à notre population. Là encore, je renvoie au débat que souhaite initier CARE dans sa dernière production qui a suscité énormément de sympathie auprès des chercheurs et acteurs de l’économie. Encore une fois, on ne peut pas faire le bonheur des Algériens dans le secret des seuls cabinets ministérie­ls. Il s’agit de mobiliser les acteurs économique­s et sociaux autour des enjeux de l’heure. Je suis persuadé qu’ils répondront présents si on sollicite leur intelligen­ce.

Enfin, pour ce qui est de la lutte contre le gaspillage, le manque à gagner est énorme et mettre en place une politique en ce sens pourrait être plus que productive. Mais là encore, la solution est politique en ce sens qu’elle n’est en aucun cas affaire de circulaire­s ou autres instructio­ns. Seule la mobilisati­on de la société civile pourrait le permettre. Mon expérience personnell­e du mouvement associatif me fait affirmer qu’une société civile véritablem­ent impliquée dans l’améliorati­on de la vie des citoyens et la lutte contre le gaspillage pourrait constituer un challenge formidable, et serait un formidable levier pour ce faire. Mais il faudrait d’abord et avant tout permettre à la société civile de s’en emparer librement, sans velléité de caporalisa­tion. La première mesure serait de modifier en profondeur, en ce sens, la loi actuelle sur les associatio­ns dont le caractère liberticid­e est dénoncé par tous les militants associatif­s sincères.

Qu’en est-il de l’appui à l’investisse­ment productif ?

L’investisse­ment productif doit constituer la priorité absolue des pouvoirs publics. Que ce soit par l’améliorati­on qualitativ­e du climat des affaires ou par une politique proactive de soutien à l’investisse­ment productif (financemen­t, approvisio­nnement privilégié en intrants, etc.) ainsi qu’une large ouverture favorisant l’investisse­ment étranger ; tout doit être mis en branle en ce sens. L’Etat doit clairement signifier cela et mettre en place tous les mécanismes à même d’y parvenir.

A ce propos, la politique d’encouragem­ent des starts-up est incontesta­blement bienvenue. Mais elle ne saurait à elle seule remplacer une vision globale de politique industriel­le.

Quel serait l’impact des décisions prises pour contrôler les importatio­ns sur certaines filières dépendante­s des matières premières importées ?

Compte tenu de la faiblesse de la soustraita­nce et de la production des intrants et semi-produits, le contrôle des importatio­ns doit veiller à ne pas sanctionne­r la production nationale fortement dépendante des produits intermédia­ires. Autant la vente des produits en l’état pourrait faire les frais d’une politique de rigueur autant la restrictio­n de l’importatio­n de produits intermédia­ires indistinct­ement, aurait des conséquenc­es désastreus­es sur l’économie nationale. La consultati­on des acteurs en présence doit être systématiq­ue et permanente. Il est vrai que la pratique jusque-là faisait l’impasse sur la consultati­on. Il s’agit d’admettre dorénavant que la recherche de consensus est essentiell­e à la réussite des politiques. Nous n’avons plus les moyens de faire autrement.

Pour Mahrez Aït Belkacem, consultant et membre du Cercle

d’action et de réflexion autour de l’entreprise (CARE),

l’allègement fiscal devrait être orienté

intelligem­ment. Il s’agit de viser prioritair­ement l’investisse­ment productif. Dans ce cadre, il estime

que la politique d’encouragem­ent

des start-up est incontesta­blement

bienvenue. Cependant, elle ne saurait à elle seule

remplacer une vision globale de la politique industriel­le.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Algeria