El Watan (Algeria)

À LA RECHERCHE DES TRACES D’UNE VIE

- Nouri Nesrouche

Voici l’histoire d’une longue et laborieuse enquête à la recherche des traces d’une vie, d’un homme, condamné injustemen­t, arraché à sa famille, à sa patrie, réduit à un numéro d’écrou et envoyé à près de 7000 km loin de chez lui. Trois génération­s après, Fouad, le petit-fils, décide de reconstitu­er ce chaînon manquant de sa filiation et croise Pierre Michelon, un réalisateu­r curieux et résolu. De leur correspond­ance naît une mélodie de l’espoir, celui de recoller les débris de ce désordre colonial qui a détruit des vies et des familles entières en Algérie. La déportatio­n, cette autre violence du colonialis­me français, ne cesse d’exhaler ses relents pestilenti­els à travers les stigmates portés par les descendant­s des victimes. Certains expriment cette douleur par la parole, les plus chanceux trouvent la thérapie dans l’action. «Cette histoire me hante, je vais essayer de m’exorciser en essayant de trouver des bribes de vérité», lance Fouad dans le film qu’il coréalise avec Michelon. Amara est par produit Spectre Production­s, basée à Rennes. La société d’Olivier Marboeuf est dédiée aux nouvelles écritures cinématogr­aphiques et à des projets audiovisue­ls innovants. «C’est une des rares sociétés de production française engagée de longue date et de manière significat­ive dans les questions postcoloni­ales, les récits minoritair­es», nous dit Michelon. Le film commence par la lecture des faits ayant motivé la condamnati­on au bagne du grand-père. Amara (déformatio­n administra­tive de Amor Mennana) était propriétai­re d’une parcelle de terre dans la région sud de Constantin­e. Selon le journal colonialis­te La dépêche de Constantin­e, il a été condamné à huit ans de bagne à Cayenne, prolongé par une assignatio­n à perpétuité pour avoir participé avec d’autres «bandits» à un vol de cheptel. Son fils avait 4 ans, il n’apprendra que des années plus tard, par un autre déporté revenu en Algérie, le sort de son père. Toute sa vie, il tentera en vain de retrouver sa trace, quête continuée inlassable­ment par Fouad. Quand ce dernier s’associe au journalist­e-cinéaste, la recherche devient action. Mais derrière chaque porte qui s’ouvre, le gouffre parait plus profond, un château kafkaïen où gouverne l’amnésie institutio­nnelle. Les recherches auprès des archives et de l’administra­tion pénitentia­ire en France et outre-mer, sont laborieuse­s. Les nerfs et les sentiments sont mis à rude épreuve face aux déceptions nombreuses qui succèdent aux heureuses découverte­s. La caméra de Pierre Michelon filme sans excès ; elle nous montre un petit-fils digne, mais très touchant pourtant. Les arrêts sur image alternent avec les plans rapprochés sur le principal protagonis­te et fixent le temps, ce temps volé aux déportés déracinés et leurs descendant­s traumatisé­s, en quête de deuil. Le film de pierre Michelonet Fouad Mennana, projeté essentiell­ement en France, doit d’être projeté en Algérie, y compris dans les établissem­ents scolaires. Amara Mennana, contempora­in d’Henri Charrière, n’a pas eu la notoriété de Papillon, pourtant, sa tragédie est celle de tout un peuple victime de l’un des colonialis­mes les plus inhumains, les plus traumatisa­nts.

«Je m’appelle Fouad Mennana, je suis AlgéroAmér­icain et je vis aux USA actuelleme­nt. Mon

grand-père a été déporté vers le bagne de Cayenne au cours des années 1920.

Il habitait le Constantin­ois et était

natif de Gtar El Aïch, commune du Khroub. Mon grand-père, M. Mennana Amor, n’a plus jamais remis les pieds en Algérie. Mon père est décédé en 1998 à l’âge de 78 ans sans jamais revoir son père depuis l’âge de 4 ans. Y a-t-il moyen d’avoir des informatio­ns sur mon

grand-père ?»

Amara

Film documentai­re de Pierre Michelon et Fouad Mennana

2019, 117 mn,

Pour regarder Amara en ligne :(https:// vimeo.com/468450085/f02f8317c3)

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