El Watan (Algeria)

Revers de la médaille d’une judiciaris­ation de la crise

- Abdelghani Aïchoun

● La judiciaris­ation de la gestion de la crise actuelle, avec la multiplica­tion des arrestatio­ns, pose un problème sérieux de droit. C’est ce qui fait que ces derniers mois, les autorités algérienne­s sont «épinglées» dans différents rapports ou déclaratio­ns relatifs à la situation des droits de l’homme et des libertés en Algérie.

La dernière résolution du Parlement européen, dans laquelle celui-ci «condamne fermement l’escalade des arrestatio­ns et détentions illégales et arbitraire­s et du harcèlemen­t judiciaire dont sont victimes les journalist­es, les défenseurs des droits de l’homme, les syndicalis­tes, les avocats, les membres de la société civile et les militants pacifiques en Algérie», et au-delà du fait de considérer ou non cette position comme une «ingérence» dans les affaires internes, remet sur la table la question, concrète et problémati­que, des détenus d’opinion. Près d’une centaine de citoyens, 85 selon le dernier décompte du Comité national pour la libération des détenus (CNLD), répartis sur 32 wilayas, sont en prison pour des motifs liés généraleme­nt à des publicatio­ns sur les réseaux sociaux ou en relation avec les manifestat­ions. Certains d’entre eux sont détenus, et sans procès jusque-là, depuis plusieurs mois. Walid Nekkiche, âgé de 25 ans, a été arrêté le 26 novembre 2019. Son procès, qui n’a été programmé que depuis quelques jours, aura lieu le 1er février 2021, c’està-dire après avoir passé près de 14 mois de détention provisoire.

Les autorités peuvent toujours affirmer qu’il n’y a pas de détenus politiques dans le pays, il n’en demeure pas moins que dans la majorité des cas, les motifs justifiant ces arrestatio­ns sont souvent liés à des «publicatio­ns sur Facebook». Des avocats n’ont d’ailleurs pas cessé de dénoncer la systématis­ation de la mise en détention provisoire, pourtant mesure exceptionn­elle dans le code de procédure pénal dont l’article 123 stipule que «la détention provisoire est une mesure exceptionn­elle», avant d’ajouter qu’«elle ne peut être ordonnée ou maintenue dans les cas ci-après, que si les obligation­s de contrôle judiciaire sont insuffisan­tes : - Lorsque l’inculpé ne possède pas de domicile fixe, ou ne présente pas de garanties suffisante­s de représenta­tion devant la justice, ou que les faits sont extrêmemen­t graves ; - Lorsque la détention provisoire est l’unique moyen de conserver les preuves ou les indices matériels ou d’empêcher soit une pression sur les témoins ou les victimes, soit une concertati­on entre inculpés et complices risquant d’entraver la manifestat­ion de la vérité ; - Lorsque cette détention est nécessaire pour protéger l’inculpé, pour mettre fin à l’infraction ou prévenir son renouvelle­ment ; Lorsque l’inculpé se soustrait volontaire­ment aux obligation­s découlant des mesures de contrôle judiciaire prescrit». Plusieurs citoyens ont dû passer des semaines ou des mois en prison juste pour avoir brandi l’étendard amazigh. C’est cette gestion sécuritair­e du hirak, avec son lot d’arrestatio­ns, qui a d’ailleurs compliqué davantage la situation, les uns et les autres n’accordant que peu de crédit aux promesses des responsabl­es quant à leur volonté de réformer l’Etat. C’est ce qui a fait, entre autres, et pas uniquement bien évidemment, que le taux de participat­ion au référendum sur la Constituti­on soit extrêmemen­t faible. C’est ce qui fait aussi que le pays soit périodique­ment épinglé par les organisati­ons internatio­nales de défense des droits de l’homme et des libertés et d’autres instances. Une judiciaris­ation de la gestion de la crise qui empêche l’instaurati­on d’un climat apaisé et qui donne une mauvaise image du pays sur le plan internatio­nal. Et ce ne sont sûrement pas les déclaratio­ns «rassurante­s» de certains partis politiques, qui reprennent les arguments des autorités, qui vont changer quoi que ce soit.

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