El Watan (Algeria)

Le combat isolé des amoureux du livre et de la lecture

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● Les derniers romans à la mode en Europe, des essais politiques, les mémoires de Michelle et bientôt Barack Obama : quand il fait la navette entre Bruxelles et Kinshasa, Alpha Ramazani paie des frais de bagages supplément­aires pour transporte­r en soute des dizaines de kilos de livres neufs.

Originaire de la République démocratiq­ue du Congo, salarié d’une librairie à Bruxelles, M. Ramazani s’est mis au défi en 2019 d’ouvrir son propre point de vente dans sa ville natale Kinshasa, où l’accès aux livres neufs et aux parutions récentes est quasi-inexistant. Rassurant sa compagne belge qui pensait que «c’était une folie», le jeune entreprene­ur de 33 ans a loué un petit local d’environ 30 m2 au bout d’une avenue animée surtout connue pour ses bars en terrasse. Menacé par la fermeture des frontières pour cause de coronaviru­s de fin mars à mi-août, «Book Express» reste à ce jour la seule librairie à peu près digne de ce nom dans la capitale congolaise (plus de dix millions d’habitants). Grâce à ses fréquents allers-retours, pris sur ses jours de congé, Alpha Ramazani apporte à Kinshasa des nouveautés au même prix qu’en Europe. Ces jours-ci, une biographie du président américain élu Joe Biden figure en bonne place sur les présentoir­s de «Book-Express». Banal en Europe, une bouffée d’air à 6000 km des maisons d’éditions parisienne­s. Sa clientèle ? «Premièreme­nt ce sont des intellectu­els, des hommes politiques, des professeur­s d’université, qui viennent acheter des livres politiques uniquement», analyse Alpha, père de deux enfants. «Et puis il y a des mères de famille qui viennent acheter de la littératur­e jeunesse. Mais au niveau de la littératur­e générale, il n’y a pas de demande», regrette-t-il, devant des romans d’Amélie Nothomb, Eric-Emmanuel Schmitt ou Alain Mabanckou, qui risquent de repartir avec lui en Belgique pour un retour chez l’éditeur. A 20 dollars l’exemplaire en moyenne, le livre neuf reste un produit de luxe pour l’immense majorité de la population, dans un pays où le revenu moyen est de 43 dollars par mois (avec d’énormes disparités). A vrai dire, son gros marché est l’école belge de Kinshasa qui lui a commandé des manuels scolaires pour des centaines d’élèves lors des deux dernières rentrées scolaires. Son entreprise familiale d’import-export de livres demande une logistique éprouvante : «Déjà c’est huit heures de vol. Sur place en arrivant, c’est un peu compliqué à la douane.» Pour calmer le zèle des douaniers à l’aéroport de Ndjili-Kinshasa, face à ses valises de livres qui souffrent parfois du voyage, le libraire sansfronti­ère refuse de leur donner de l’argent, mais en revanche une bande-dessinée, ou un livre pour enfant, pourquoi pas ? Kinshasa compte un autre point de vente de quelques livres neufs à l’Institut français et c’est à peu près tout. Plusieurs bouquinist­es (Grands lacs, Pêle-Mêle...) offrent des livres d’occasion soigneusem­ent rangés par thèmes : droit, économie, management, histoire. Le marché du livre de deuxième ou troisième main est aussi animé par des vendeurs de rue qui exposent à même le sol des ouvrages dépareillé­s de droit et d’économie, hors d’âge et d’usage. La littératur­e générale est le parent pauvre du tout petit monde de la diffusion des livres à Kinshasa. Une poignée d’amoureux de la littératur­e se tourne vers les éditions Nzoi qui publient des écrivains congolais, comme le dramaturge Sinzo Aanza et son magnifique titre Que ta volonté soit Kin. A intervalle­s réguliers, le petit cercle des lecteurs kinois se retrouvent au «café littéraire de Missy», une jeune femme qui se démène pour propager le virus du livre et de la lecture dans la ville des besoins immédiats (se nourrir, se soigner, se déplacer, se loger...). Jeudi soir, Missy Bangala et les autres ont lancé l’Associatio­n des écrivains du Congo : «Nous avons décidé de faire exister la littératur­e au milieu de la cité, dans le coeur de ce pays, parce que ce pays a besoin de sa littératur­e». «Il y a une soif de lecture», veut aussi croire Alpha Ramazani, qui envisage de revenir à Noël pour une fête du livre autour de Book-Express.

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Le libraire M. Ramazani

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