El Watan (Algeria)

15 ans de prison requis contre Zoukh

- Salima Tlemçani

L’ancien wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, a comparu hier devant le tribunal de Tipasa, pour trois affaires liées à l’octroi de biens fonciers aux enfants et à l’épouse de Abdelghani Hamel, expatron de la police, à Ali Haddad, et à Mahieddine Tahkout, des hommes d’affaires en détention pour des faits de corruption Le parquet a requis 15 ans de prison et la confiscati­on des biens de l’ex-wali dans le premier procès, alors que le second et le troisième se poursuivai­ent.

● Les trois procès concernent trois dossiers distincts, liés à des présumés indus avantages accordés par le prévenu aux enfants et à l’épouse de Abdelghani Hamel, ex-patron de la police, à Ali Haddad, patron de l’ETRHB, et à Mahieddine Tahkout, responsabl­e de Cima Motors.

Trois procès de l’ex-wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, ont eu lieu hier au tribunal de Tipasa en audience spéciale et les verdicts ont été mis en délibéré pour le 8 décembre prochain. Ils concernent trois dossiers distincts, liés à des présumés indus avantages accordés par le prévenu aux enfants et à l’épouse de Abdelghani Hamel, ex-patron de la police, à Ali Haddad, patron de l’ETRHB, et à Mahieddine Tahkout, responsabl­e de Cima Motors.

La première affaire pour laquelle Abdelkader Zoukh, qui comparait en étant en liberté, est celle liée à l’octroi de deux logements, une concession industriel­le et des locaux commerciau­x. D’emblée, le prévenu nie les faits. Le juge commence par l’interroger sur le logement social type F4 affecté au fils de Hamel, et Zoukh réfute avoir «donné des instructio­ns». Le magistrat : «Chahinez Hamel a obtenu une concession de plus de 7000 m2, n’a payé ni les redevances ni les frais de viabilisat­ion et elle a obtenu l’acte après sa publicatio­n et, de surcroît, elle n’a rien réalisé de son projet à Bab Ezzouar. Est-ce normal ?» Zoukh : «Non, ce n’est pas normal.» L’ex-wali nie toute «interventi­on» dans ce dossier mais affirme que Abdelghani Hamel l’avait contacté par téléphone à ce sujet, en précisant : «Il y a des commission­s qui étudient les dossiers, les valident et me les envoient pour signer. Je n’ai pas le droit d’intervenir. Si un des membres s’oppose, le dossier ne passe pas.» Cependant, il ne donnera aucune réponse à propos du «non-respect» des conditions d’affectatio­n de la concession foncière accordée à Chahinez Hamel, à Bab Ezzouar. «Notre intention était bonne. On voulait encourager les investisse­ments pour limiter les importatio­ns et faire travailler les Algériens. Le projet d’investisse­ment présenté consiste en un hôtel et une grande tour d’affaire», dit-il. Il utilise les mêmes moyens de défense à propos du logement social affecté à Chafik Hamel, alors qu’il n’ouvre pas droit à ce type de procédures. Le juge lui cite la liste des biens qu’il possède, dont une villa de 250 m2 à Alger et Zoukh réplique : «Je l’ai achetée avec mon propre argent.» Le juge appelle une dizaine de témoins, dont le premier est Abdelghani Hamel. «Le prévenu déclare que vous l’aviez sollicité pour le terrain affecté à votre fille Chahinez. Est-ce vrai ?» lui demande-il, et Hamel déclare ne pas s’en rappeler. Le magistrat insiste et le témoin répond : «Peut-être que je l’ai appelé pour la procédure, mais je ne me rappelle pas.» Le juge : «Elle a obtenu l’acte publié et n’a payé ni les redevances ni les frais de viabilisat­ion, et elle n’a pas réalisé le projet. Etes-vous intervenu pour elle ?» Hamel persiste à nier toute interventi­on.

«J’AI AFFECTÉ LE LOGEMENT AU FIS DE HAMEL SUR INSTRUCTIO­N DE ZOUKH»

Le président appelle l’ex-directeur général de l’OPGI de Hussein Dey, Mohamed Rehaimia (en détention pour cette affaire), en tant que témoin à partir de la prison par visioconfé­rence, puis s’adresse à Hamel : «Etes-vous intervenu auprès de Rehaimia ou de Zoukh pour les biens obtenus par votre épouse, votre fille et votre fils ?» Hamel commence par les locaux situés à Ouled Fayet, affectés par l’OPGI de Hussein Dey à Mme Hamel pour en faire une crèche. «Je ne suis pas intervenu. Mais c’est vrai je me suis déplacé sur les lieux et lorsque j’ai vu ces locaux mal situés, j’ai eu des appréhensi­ons. J’ai dit à mon épouse et à mon fils qu’ils n’étaient pas bien situés. Mais eux, ils ont continué.» Le juge lui rappelle les propos de Rehaimia selon lesquels c’est Zoukh qui l’a instruit pour affecter un logement à Chafik Hamel. «Il est là pour l’entendre. Je l’ai appelé après ma visite au site et je lui ai dit par ironie : ‘‘Est-ce que c’est un terrain à donner aux enfants ?’’» Sur le logement social obtenu par son fils au quartier Les Bananiers à Bab Ezzouar, à Alger, il déclare : «Mon fils m’avait dit qu’il voulait acheter un logement à Alger.» Le juge : «Il a obtenu un logement social de 4 pièces. Lorsqu’il est venu à bord de sa Q7, qui coûte plus que le logement, il était étonné», déclare le juge, avant de passer à Mohamed Rehaimia et lui demander : «Avez-vous été instruit pour octroyer les locaux à Mme Hamel et un logement à Chahinez Hamel ?» Le témoin : «J’ai affecté ce logement sur instructio­n de Zoukh. Les locaux commerciau­x d’une superficie d’un peu plus de 700 m2 lui ont été octroyés pour en faire une crèche. La réévaluati­on des montants de 120 000 DA à 22 000 DA le mètre carré a été faite après, parce qu’ils n’ont pas pu être cédés à ce prix, et en plus ils se trouvent dans une cité à Ouled Fayet.» Revenant sur le logement social affecté à Chafik Hamel, Rehaimia souligne que le wali, en vertu de la loi, peut ne pas passer par les conditions spéciales et ajoute à propos du logement LSP obtenu par Chahinez, alors qu’elle ne remplissai­t les conditions à l’aide de 700 000 DA de la CNL, promulguée­s 5 ans après. Interrogé par un des avocats sur les instructio­ns éventuelle­s de Zoukh, Rehaimia affirme que «la gestion des logements sociaux se faisait sous une pression terrible. Il y a eu plus de 80 000 unités affectées». Et d’ajouter : «Souvent, on affecte le logement et la régularisa­tion vient après. Parfois, les instructio­ns sont données par le conseiller du wali au logement, le secrétaire particulie­r du wali . Mais pour le cas de Chahinez, c’est le wali qui m’a instruit. Ce sont des directives verbales qu’on régularise après.» Directeur de l’Agerfa, le témoin Yazid Bekka déclare que Zoukh l’avait appelé pour lui demander de revoir les montants des frais de viabilisat­ion de la concession de plus de 7000 m2 accordée à Chahinez Hamel pour la constructi­on d’un hôtel et d’une tour d’affaire à Bab Ezzouar. «Il m’a parlé de certains investisse­urs également, comme Mahieddine Tahkout, Ali Haddad, Haisam Immo et Faderco, qui avaient eux aussi un problème de tarificati­on. Nous avions un montant de près de 300 millions de dinars non récupérés entre 2014 et 2017. J’avais posé le problème au wali et il nous a dit de prendre les mesures nécessaire­s. Nous avons commencé à déposer plainte, mais il nous a demandé de ne pas inquiéter Chahinez Hamel, Tahkout, Haddad, Faderco, Haisam Immo.» Les mêmes propos sont tenus par Hamrat, qui exerçait à l’Agerfa, en évoquant les plaintes déposées en 2019 contre les investisse­urs défaillant­s, qui «refusaient de s’acquitter des redevances prévues par le cahier des charges». Lui aussi affirme que sur instructio­n de Zoukh, les plaintes avaient été bloquées, mais reprises en 2019.

«LES PLAINTES CONTRE HADDAD, TAHKOUT, FADERCO ET HAISAM IMMO ONT ÉTÉ BLOQUÉES»

Le juge : «Chahinez a-t-elle payé ?» Le témoin : «Non . Elle n’a rien payé.» Et de préciser : «Normalemen­t, les investisse­urs ne peuvent avoir leurs actes de concession avant qu’ils ne payent les redevances. Cela n’a pas été le cas. Le projet n’a pas été réalisé. Il y avait seulement la clôture.» Le juge : «Elle n’a pas payé les 26 millions de dinars de frais de viabilisat­ion et les 140 millions de dinars de redevances.» Il appelle Chahinez Hamel, témoin, qui explique qu’elle n’avait pas eu le temps de monter son projet en raison de la préparatio­n de son mariage, son accoucheme­nt puis des problèmes liés à son père. Sa mère, Mme Hamel, nie toute interventi­on de son époux pour l’obtention des locaux à Ouled Fayet, puis cède sa place à Omar Bayou (témoin), directeur de l’industrie d’Alger, qui confirme que Chahinez Hamel n’a pas payé ses redevances et rejoint les propos des autres témoins. Représenta­nt le Trésor public, la partie civile demande au prévenu un montant de 10 millions de dinars comme réparation au préjudice causé, puis cède sa place au réquisitoi­re du ministère public. Ce dernier revient sur les faits qu’il décortique, puis réclame une peine de 15 ans de prison ferme, assortie d’une amende d’un million de dinars. La défense de Zoukh conteste tous les faits reprochés, évoque un acharnemen­t contre l’ex-wali et insiste sur les aveux de Rehaimia qui, d’après elle, se contredise­nt. Elle plaide l’innocence de son mandat et le juge met le verdict en délibéré pour le 8 décembre prochain. Le juge passe au deuxième procès lié aux avantages accordés à Mahieddine Tahkout, lequel apparaît sur l’écran pour être auditionné comme témoin à partir de la prison à Khenchela. Zoukh nie tous les faits et déclare qu’il ne connaissai­t ne pas Tahkout. Le juge : «L’avez-vous reçu à votre bureau ?» Zoukh : «Mais c’était pour un problème de la concession, comme cela a été le cas pour deux autres opérateurs qui étaient dans la même zone d’activité.» Sur le nombre de décisions accordées à Tahkout, le prévenu dit ne pas se souvenir, mais le juge réplique qu’il en possède 15 à son niveau, avant que Zoukh n’intervienn­e : «La régularisa­tion touche certains problèmes et la concession ne veut pas dire droit d’acquisitio­n...» Le juge : «Le ministère de l’Habitat lui a rejeté toutes les demandes. Il est resté tenace.» Zoukh : «Le ministère lui a accordé les décisions après.» Le juge acquiesce et Zoukh poursuit : «L’acte est devenu officiel, il n’y a pas eu d’opposition.» Le juge : «Le premier propriétai­re n’a pu avoir la régularisa­tion.» Zoukh : «Je n’ai aucun lien. L’acte était déjà publié, il aurait fallu faire une enquête approfondi­e. Pourquoi suis-je le seul ici ? Il y avait un guichet unique. Chacun assume sa responsabi­lité.» Le juge : «Comment accorder le permis de construire avant même la concession et sans l’avis de la direction de l’environnem­ent ?» Zoukh : «Je l’ai signé, mais ce sont des décisions techniques qui viennent du guichet unique, dont les responsabl­es doivent assumer leur responsabi­lité.» Le juge : «Vous aviez écrit au ministère en lui disant que son investisse­ment était en cours alors que la commission lors de sa visite a déclaré le contraire...» Le prévenu reste sans voix et le magistrat demande : «Avez-vous fait pression sur le directeur des domaines pour ces affectatio­ns ?» Zoukh nie catégoriqu­ement. Le magistrat rappelle les propos de Salah Boualague, membre du Calpi, selon lesquels il «travaillai­t sous une forte pression». Zoukh jure qu’il ne connaît pas ce cadre et le juge revient à la charge : «En juin 2018, vous aviez instruit les cadres pour accélérer la procédure de sept assiettes foncières au profit de Tahkout.»

«NOUS PENSIONS AVOIR AFFAIRE À DE VRAIS INVESTISSE­URS»

Le prévenu : «Chaque jeudi, nous avions une réunion avec le Calpi et je faisais pression sur les membres pour qu’ils étudient les dossiers pour éviter l’accumulati­on.» Acculé par le magistrat sur les sociétés qui n’ont pas obtenu de régularisa­tion, Zoukh finit par lâcher : «Ce n’est pas moi. Ce sont les services des domaines de l’Etat.» Le président lit une longue liste de terrains industriel­s accordés à Tahkout, puis déclare : «Aucun investisse­ment, que des hangars, des showrooms et des parkings pour les bus...» Zoukh : «A l’époque, on les voyait comme de grands investisse­urs, créateurs d’emploi.» Le juge : «Ils ont pris les terres, n’ont pas payé leurs redevances ni créé d’emploi...» Zoukh : «Pour nous, il y avait un contrôle de la tutelle. Où était-elle ? L’enquête doit être totale et doit concerner tout le monde.» Le juge : «Vous avez délivré un permis de construire alors qu’il n’avait pas d’acte de la concession.» Zoukh : «On ne m’a pas informé. Il faut situer les responsabi­lités de chacun.» L’ex-wali n’arrive pas à expliquer dans quelles conditions les projets pour lesquels Tahkout a obtenu les assiettes foncières n’ont pas été réalisés et récuse sa responsabi­lité dans cette situation. Le magistrat : «16 000 m2 et 57 000 m2 comme parking à Kikirom et les bus. Est-ce un investisse­ment ?» Zoukh : «Il fallait bien organiser l’environnem­ent pour ces bus.» Le juge : «En violant la loi ? Ces sociétés ont causé de graves problèmes.» Zoukh : «Ces problèmes ont apparu après.» Le magistrat lui précise que les dossiers passaient sans être étudiés par la commission. Sur le marché lié au transport sururbain accordé à Tahkout, Zoukh répond : «C’était pour régler le problème du transport suburbain dans les nouvelles cités. Je n’ai pas choisi la société, mais uniquement le mode. Je ne savais pas qu’il y a eu des problèmes par la suite.» «Pourquoi lors du deuxième marché, d’un montant qui dépasse les 170 millions de dinars, vous avez fait les éloges de la première transactio­n qui a coûté 296 millions de dinars ?» Zoukh : «J’ai juste dit que le premier contrat a réglé un grand nombre de problèmes auxquels étaient confrontés les habitants.» Le juge : «Pourtant le prix du ticket est passé de 20 DA à 80 DA !» Zoukh : «J’ignore totalement cela.» Sur l’écran, Mahieddine Tahkout dément avoir rencontré l’ex-wali en disant : «J’ai été à la wilaya une seule fois pour déposer, au secrétaria­t du wali, un recours contre l’évaluation d’un terrain à Bab Ezzouar, qui passait sous une ligne de haute tension et que je n’ai vu qu’une fois la décision de pré-affectatio­n reçue.» Sur la question des redevances non payées après la réception de l’acte de la concession, Tahkout affirme : «Je n’avais pas le permis de construire. On a écrit plusieurs fois mais rien.» Sur l’extension touristiqu­e obtenue à Zéralda, en violation de la loi, selon le juge, Tahkout déclare qu’il l’a eue dans le cadre de l’investisse­ment. «L’autorisati­on d’activité a été délivrée par la direction de l’industrie d’Alger.» Le juge : «Les expertises montrent que vos projets ne sont pas réalisés.» Tahkout nie et le magistrat lui demande : «Zoukh est-il intervenu auprès du ministère des Transports pour la location de 160 bus supplément­aires auprès de votre société ?» Tahkout dit ne rien savoir.

Le juge appelle Abdelghani Zaalane, ex-ministre des Transports, entendu comme témoin. Ce dernier affirme que la lettre envoyée par Zoukh au ministère sollicitai­t une autorisati­on à la location de bus. «Je suis venu en 2017 et Tahkout avait déjà le marché du transport. Dans la lettre, le wali ne cite pas Tahkout ni la reconducti­on de son contrat. Il a demandé l’option de la location de bus pour le transport au niveau des nouvelles cités populaires. Même la réponse, après étude, fait état de l’acceptatio­n du choix en ajoutant un article qui permet aux petits transporte­urs de se regrouper et de soumission­ner. Mais après, on a su que c’est l’entreprise de Tahkout qui a remporté le marché.» Entendu comme témoin, Belmiloud, ex-directeur général de l’Etusa (en détention), apparaît sur l’écran pour répondre aux questions par visioconfé­rence. Il déclare qu’il était dans le bureau du directeur du transport d’Alger, Rachid Ouezzan, qui lui a dit que Zoukh lui a précisé que pour régler le problème du transport, seul Tahkout peut aider. «Le marché prévoyait la location de 300 bus pour 300 jours, mais Tahkout n’a pu soumission­ner que pour 100 bus.» Tard dans la journée, le deuxième procès se poursuivai­t.

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Abdelkader Zoukh

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