La nomade amoureuse de l’Algérie
● Dans une récente et inédite étude, Mohammed Rochd, né Kemf Jules, dresse les grandes lignes de la pénétration coloniale au Sahara dont l’histoire reste à écrire ● Spécialiste d’Isabelle Eberhardt qui en a été un témoin privilégié au Sud-Ouest, il souligne l’intérêt des oeuvres littéraires en tant que source documentaire.
Il note que «quand on parcourt articles ou études concernant Isabelle Eberhardt (…), l’on s’aperçoit qu’une majorité d’auteurs ont des difficultés à appréhender l’histoire récente de notre pays et spécialement celle de sa partie saharienne. D’ailleurs, celle-ci est assez peu abordée et méconnue». Dès lors, l’occupation du Sahara reste à étudier «car tous les ouvrages historiques ne la prennent que peu en compte. Même les deux tomes de l’Histoire de l’Algérie contemporaine de Ch. Robert Ageron sont trop discrets». C’est dans cette perspective qu’il a entamé son étude afin d’en poser des jalons. En premier, la situation politique est esquissée : «A la veille du coup de force sur Alger, le Sahara ne présentait aucune unité politique. Celui de l’Est était constitué en royaumes, avec principalement le sultanat de Ouargla, le Sahara central était vaguement sous l’influence de la Régence turque et celui de l’Ouest dépendait du Maroc (depuis le milieu du XVIe S.) qui n’y exerçait pratiquement aucun acte de souveraineté. Tout le Hoggar est sous la coupe des Touareg, qui s’arrangeaient pour en tirer, pour eux seuls, le meilleur parti possible.»
Quant au commerce transsaharien, il s’était affaibli au début du XVIe siècle. A propos de la «dépendance» du Sud-Ouest par rapport au Maroc, l’affirmation est nuancée plus loin, l’auteur indiquant «l’inexistence d’une autorité et l’indépendance des tribus vis-à-vis du pouvoir chérifien». Mais surtout, il souligne l’idée que la région était «blad essiba» et non makhzen comme en témoigne l’absence du nationalisme, la «résistance à l’occupation coloniale se fondait sur un vague sentiment d’appartenance à une région dont des étrangers, non musulmans, s’étaient emparés et qui menaçaient le mode de vie ancestral».
La pénétration coloniale entamée au milieu du XIX ed’organisation siècle est d’abord lente : «Dès l’essai, de l’Etat par l’Emir Abdelkader, la France (…) fut amenée à prendre pied au Sud. La pénétration à l’Est débuta dès février 1844 (…) dans les Zibans et s’empara de Biskra (…) A l’Ouest, en 1847, la colonne du général Cavaignac soumit Aïn Sefra, Asla, Tiout et les deux Moghrar». La pénétration coloniale va s’accélérer dans une deuxième étape, l’envahisseur ayant acquis l’expérience de la police au désert, créé en 1894, les spahis, montés sur des chameaux. C’est ainsi, qu’en ultime étape de la colonisation, remontant depuis le Touat et Gourara, ses colonnes armées s’installent définitivement à Béchar le 13 novembre 1903.
C’est sur ces entrefaites, soit un mois auparavant, qu’Eberhardt débarque dans le sud-ouest saharien. De la sorte, bien des éléments de l’histoire de la pénétration apparaissent dans son oeuvre : «Tout le récit de l’écrivain est riche en informations sur la situation de l’ouest saharien durant l’automne 1903 et les trois premiers trimestres de 1904», l’auteur étant morte en octobre 1904 dans la crue de l’oued de Aïn Sefra.