Une «judiciarisation» qui surexpose l’Algérie
En balayant d’un revers de la main la résolution de l’Union européenne sur les droits de l’homme en Algérie, les hautes autorités du pays ont cédé à un atavisme politique qui les prédispose à déceler dans toute critique extérieure une forme d’ingérence aussi injuste qu’inacceptable. C’est une caractéristique propre du système politique algérien, les dirigeants ont toujours réagi ainsi, bien qu ils aient signé des conventions internationales qui leur fixent des obligations bien précises en matière de préservation des libertés publiques et individuelles. Tout en s’exposant à des condamnations, parfois à des sanctions, ils prennent le risque – ils l’assument – de présenter une image détestable au niveau de l’opinion internationale représentée aussi bien par des Etats que des élus et des ONG.
Tout au long de ces dernières décennies, une morale s’est créée à l’échelle du monde en matière de défense des droits de l’homme, bien qu’elle soit souvent bousculée par des intérêts matériels, financiers et géostratégiques des gouvernements et des multinationales. Cette éthique donc est le fruit de l’évolution globalement positive du monde après la fin de la Seconde Guerre mondiale et la chute du Mur de Berlin. Aucun Etat ne peut l’ignorer, c’est un des boucliers contre l’injustice, la terreur, l’humiliation et l’exploitation. Au temps de la colonisation, les Algériens se sont accrochés à cette morale, à travers, notamment, les Nations unies, pour faire reculer l’Etat français et lui faire cesser son entreprise d’occupation guerrière du territoire algérien.
La France finit par être mise au banc des accusés. Idem durant la décennie noire, les fameuses années 1990, lorsqu’il fallait plaider – et dénoncer – devant les tribunes du monde entier le caractère assassin de la mouvance intégriste. Il s’agissait pour les Algériens de faire comprendre que, sous l’habit d’une victoire électorale, les islamistes de l’époque n’étaient porteurs en réalité que d’un programme de destruction massive de la population. Ce ne fut pas facile, tant le débat a été perverti à l’échelle internationale et tant le légitime plaidoyer a été parasité par le comportement négatif des dirigeants politiques et militaires de l’époque, notamment sur les questions douloureuses des exactions et des disparitions.
Si le terrorisme a été vaincu, se posent aujourd’hui deux questions fondamentales en matière de droits de l’homme. La première, la plus visible, a trait à la pratique assez courante de l’arrestation et du jugement pour des délits liés à des opinions. Des dizaines d’activistes, de journalistes et de blogueurs ont fait les frais de leur sensibilité et leur proximité avec le hirak, un mouvement plaidant pacifiquement pour le changement démocratique. D’un autre côté, des figures politiques de tous bords ont subi – et subissent encore – les affres des geôles.
La seconde question a trait aux revendications majeures du hirak que sont la fin du système politique ancien, ses méthodes et ses hommes, la primauté du politique sur le militaire, et enfin le basculement vers une authentique démocratie. Dans le droit international et la morale, les droits de l’homme s’élargissent aux grandes libertés publiques et politiques, dont force est de relever qu’elles font cruellement défaut en Algérie pourtant garanties par les textes fondamentaux du pays et figurant même dans les grands traités internationaux ratifiés par le pays. OEuvrer et militer pour un avenir différent et meilleur est une quête humaine universelle qui a fait de grandes avancées ces dernières décennies. Les Algériens s’y sont engouffrés à travers leur grande révolution du 22 février 2019 : reconnue et saluée dans le monde entier, elle reste, malheureusement, toujours ignorée, voire stigmatisée par les dirigeants .