El Watan (Algeria)

«La résolution du Parlement européen est excessive»

- Propos recueillis par Nabila Amir N. A.

Dans cet entretien accordé à El Watan, le politologu­e Mohamed Hennad estime que l’absence de M. Tebboune a chamboulé l’agenda du pouvoir et vient ainsi s’ajouter au camouflet essuyé suite aux résultats du dernier référendum, rendant la situation du pays encore plus compliquée. Il dénonce la rétention de l’informatio­n officielle qui est, de son avis, une tradition chez nos dirigeants parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas de comptes à rendre à leurs administré­s. Concernant la gestion de la pandémie de Covid-19, M. Hennad pointe du doigt notre système national de santé publique qui «discrédite notre pays». Les hauts responsabl­es eux-mêmes, dit-il, le désavouent en allant se faire soigner à l’étranger.

Le président de la République, Abdelmadji­d Tebboune, a été évacué, voilà plus d’un mois, en urgence en Allemagne. Le flou qui entoure toujours son état de santé a ouvert la voie aux rumeurs les plus folles. Sommes-nous face à un cas de rétention d’informatio­ns ?

A vrai dire, rien d’étonnant dans tout cela ! On savait que nos autorités étaient passées maîtres dans l’art de la désinforma­tion. Leur «protocole d’informatio­n» a été tellement ridicule que personne ne pouvait leur accorder le moindre crédit. D’un «confinemen­t volontaire de cinq jours» à titre préventif, on est passé à l’hospitalis­ation pour «examens médicaux», puis, le lendemain, à un transfert dans un hôpital allemand pour, toujours et encore, des examens, «approfondi­s» cette fois-ci. Depuis, on ne parle que de «protocole de traitement» auquel le malade aurait réagi positiveme­nt, alors qu’il demeure hospitalis­é là-bas depuis plus d’un mois, sans que l’on ait aucune image de lui. Qui plus est, l’on ne sait toujours pas s’il entame un autre «protocole» ou s’il est en convalesce­nce, auquel cas il devrait rentrer au pays.

Pourquoi la rétention de l’informatio­n officielle est une tradition chez nos dirigeants ? Parce qu’ils estiment qu’ils n’ont pas de comptes à rendre à leurs administré­s. Dépourvus de la culture de l’Etat et dénués de bon sens, ils refusent d’admettre que le chef de l’Etat est un être humain qui peut tomber malade, voire mourir et que les affaires de l’Etat sont trop importante­s pour être mises en stand-by à cause de considérat­ions liées à la personne du Président. L’informatio­n concernant l’état de santé du Président devrait être gérée par l’équipe médicale accompagna­nt le malade, avec le plus de constance et de transparen­ce possibles. Le genre d’informatio­n auquel on a eu droit jusqu’ici ouvre la voie à toutes les rumeurs anxiogènes et déstabilis­atrices. Il s’inscrit dans la droite ligne de la traditionn­elle langue de bois à laquelle le pouvoir continue de recourir parce qu’il considère que les Algériens sont immatures et, partant, indignes d’une informatio­n transparen­te sur ce qui conditionn­e leur avenir.

La maladie du Président semble avoir chamboulé l’agenda du pouvoir. Concrèteme­nt, quelles seraient, selon vous, les conséquenc­es pour le pays de cette longue absence ?

En effet, cette longue absence de M. Tebboune a chamboulé l’agenda du pouvoir. Elle vient s’ajouter au camouflet essuyé suite aux résultats du dernier référendum, rendant, ainsi, la situation du pays plus compliquée encore. Cette absence démontre, aussi et encore une fois, le non-respect du régime politique vis-à-vis de ses propres règles, dans la mesure où la Constituti­on est claire, notamment l’article 102 qui s’applique à ce cas de figure. Depuis plus d’un mois, le pays retient son souffle. Or, les affaires de l’Etat sont trop importante­s pour être sujettes à des considérat­ions personnell­es liées à la santé du chef de l’Etat. Du côté de la classe politique, c’est le silence total. Sachant qu’elle aurait dû avertir sur les conséquenc­es néfastes de cette absence prolongée, voire préconiser l’applicatio­n de l’article 102, surtout que cet article facilite bien les choses puisqu’il dispose que la constatati­on de la vacance du pouvoir pour cause de maladie du président de la République se fait en deux temps. D’abord, la constatati­on de l’état d’empêchemen­t pour une période maximale de 45 jours, ensuite, si l’empêchemen­t se prolonge au-delà de cette période, «il est procédé à une déclaratio­n de vacance par démission de plein droit…». Le pays a aujourd’hui besoin de décisions cruciales, notamment suite à l’échec du référendum du 1er novembre 2020. En outre, la longue absence du Président rend le pays plus fragile encore. Espérons que l’impasse actuelle ne va pas pousser les tenants du pouvoir (le haut commandeme­nt des forces armées plus précisémen­t) à plus d’erreurs dans leur vaine tentative à rétablir la situation en faveur de leur système…A moins qu’ils ne reviennent à la raison sans trop tergiverse­r !

La situation est-elle inquiétant­e ?

Oui, absolument ! D’abord, force est d’admettre que les rouages de l’Etat sont pratiqueme­nt à l’arrêt et la voix de notre diplomatie est devenue à peine audible sur les scènes régionale et internatio­nale, cela alors que les défis ne cessent de croître. Ensuite, notre société perd de plus en plus ses repères ne sachant quoi faire. Aujourd’hui, plus que jamais, la situation du pays nécessite une union nationale autour d’un projet national consensuel au moment où l’Algérie traverse trois crises majeures : une crise politique chronique, aggravée par la longue maladie du chef de l’Etat ; une crise économique et financière, laquelle ne permet plus l’achat de la paix sociale ; une crise sanitaire due à une pandémie rétive et dont on ne voit pas l’issue.

Pour l’heure, le pays fonctionne toujours avec la Constituti­on de 2016. Quelle lecture faites-vous des résultats du référendum sur la révision de la Constituti­on ?

Il s’agit d’un camouflet franc que viennent d’essuyer les promoteurs du projet. Ceux-ci se trouvent aujourd’hui face à leurs responsabi­lités historique­s : ou bien ils prennent note de leur échec sans appel et changent de politique en prônant l’ouverture sur les forces politiques et sociales pour le salut du pays, ou bien ils s’entêtent dans leur égarement pour rendre la situation de l’Algérie plus dramatique encore et, à terme, ingérable.

Des incohérenc­es caractéris­ent le traitement du dossier des détenus d’opinion et politiques. Que cherche le pouvoir à travers la libération des uns et la condamnati­on des autres pour les mêmes chefs d’inculpatio­n ?

Une précision d’abord, elle est de taille ! In fine, les incohérenc­es dont il est question s’expliquent par la personnali­té du juge, selon qu’il est plus ou moins compétent, respectueu­x des lois et attentif aux droits humains. Si le juge est, comme c’est trop souvent le cas, quelqu’un qui – par le fait du système aussi – verse dans l’excès de zèle ou qui est prêt à répondre aux injonction­s de la tutelle par peur ou par souci pour sa carrière, les jugements qu’il rendrait ne pourraient être qu’arbitraire­s. Sur le plan politique, le pouvoir est dans le désarroi alors qu’il continue d’être décrié tant à l’intérieur qu’à l’extérieur. Il va l’être encore plus à cause du camouflet qu’il vient de subir à l’occasion du dernier référendum, mais aussi à cause de la maladie du chef de l’Etat laquelle se prolonge avec toutes les difficulté­s qu’elle pourrait engendrer. Le pouvoir algérien se sent si fragile qu’il multiplie les signes de force et de «clémence» pour rappeler qu’il reste toujours le plus fort. Le traitement du dossier des détenus lui pose un sacré problème dans la mesure où il parle d’une «nouvelle Algérie» en même temps qu’il continue à mettre des gens en prison pour de simples opinions politiques. Ceci dit, il se peut, aussi, que le pouvoir soit en train de préparer l’opinion publique à une forme d’amnistie ou d’élargissem­ent au profit des détenus de Blida en lâchant du lest pour les autres, sachant que lesdits détenus ont été jugés pour des motifs politiques, somme toute invraisemb­lables, au lieu d’être jugés pour corruption et abus de pouvoir.

Le Parlement européen a dressé un réquisitoi­re contre l’Algérie. Qu’en pensez-vous ?

Sur cette question, d’abord je ne comprends pas le caractère urgent. Ensuite, pourquoi elle est «particuliè­rement» motivée par «le cas du journalist­e Khaled Drareni». Et enfin, la résolution paraît excessive. Quoi que l’on dise, l’Algérie n’est pas cet enfer qu’elle nous donne à voir. A part ces trois remarques, j’adhère totalement aux «invitation­s» que la résolution adresse à notre pays. Personnell­ement, je n’aurais pas demandé mieux ! L’épidémie de Covid-19 connaît actuelleme­nt un rebond. Que pensez-vous de la gestion de cette pandémie ?

A dire vrai, la gestion de la pandémie ne peut être que mauvaise à cause du très mauvais état dans lequel se trouvent, déjà, nos établissem­ents hospitalie­rs. Notre système national de santé publique déshonore notre Etat. Les hauts responsabl­es, eux-mêmes, le désavouent en allant se faire soigner à l’étranger. A cela vient s’ajouter l’indiscipli­ne et le fatalisme qui caractéris­ent notre société. Par ailleurs, parmi les mesures préventive­s que le gouverneme­nt a prises, il y en a une qui attire l’attention tout particuliè­rement, car injuste et qui ajoute au malheur des citoyens. Il s’agit de l’amende infligée aux automobili­stes retardatai­res : non seulement elle est trop élevée, mais elle est doublée d’une mise à la fourrière, chèrement payée ; sans faire de différence entre le malheureux qui est en retard de quelques dizaines de minutes – parfois à cause, justement, de la multitude des barrages de sécurité – et celui qui aime déambuler en plein nuit.

Cette longue absence de M. Tebboune a chamboulé l’agenda du pouvoir. Elle vient s’ajouter au camouflet essuyé suite aux résultats du dernier référendum, rendant, ainsi, la situation du pays encore plus compliquée.

 ??  ?? Mohamed Hennad
Mohamed Hennad

Newspapers in French

Newspapers from Algeria