El Watan (Algeria)

LES MÉNAGES MALMENÉS

LOURD IMPACT SOCIAL DE LA CRISE SANITAIRE

- Samira Imadalou

Livrées à un quotidien des plus rudes, les catégories à faibles revenus (dont la classe moyenne) ont du mal à faire face aux dépenses induites par la crise sanitaire en l’absence d’un système de sécurité sociale performant et d’une prise en charge sanitaire gratuite. Entre les dépenses liées à la prévention et celles dédiées aux soins, la facture est lourde à supporter. Les coûts sont en effet largement au-dessus des moyens financiers de la classe moyenne, surtout si l’on comptabili­se le coût de l’immobilisa­tion en volume horaire de travail perdu.

La situation est déjà difficile à gérer pour ce qui est du volet alimentair­e, avec des prix qui ne cessent d’augmenter depuis quelques mois. La dernière note de l’Office national des statistiqu­es (ONS) le montre d’ailleurs. Entre septembre et octobre derniers, l’évolution de l’indice des prix a été de 1,7%. Ce sont justement les prix des biens alimentair­es qui ont porté cet indice vers le haut avec plus de 3,4%, conséquenc­e d’une augmentati­on des prix des produits agricoles frais (+6,4%).

INFLATION ET APPAUVRISS­EMENT

A titre illustrati­f, le prix de la viande de poulet s’est accru de 31,5%, celui des fruits frais de 18,2% contre 6,8% pour les oeufs, 9,1% pour la pomme de terre et 3,3% pour les légumes. Même tendance pour les biens alimentair­es industriel­s, essentiell­ement les produits de base. C’est le cas pour la semoule avec +6% et les pâtes alimentair­es avec +11,1%. C’est dire que le couffin de la ménagère est de plus

en plus coûteux. «D’un côté, les médecins conseillen­t de renforcer le système immunitair­e en s’alimentant sainement, et de l’autre, les prix sont inabordabl­es sur le marché. Par exemple, la mandarine, source de vitamine C, cédée à 200 DA le kilo, est inaccessib­le pour moi sans parler du poisson. La sardine est à 800 DA le kilo», se plaint Houria, une retraitée qui touche une pension de 30 000 DA par mois

avant d’ajouter : «Déjà que nous avons depuis mars des frais supplément­aires pour l’achat des gels, masques et autres désinfecta­nts. Ces frais sont de plus en plus lourds pour une petite bourse comme la mienne.»

Ceux qui ont perdu leur emploi en cette période de propagatio­n de la pandémie en souffrent. La situation est également des plus compliquée­s socialemen­t pour ceux qui se sont retrouvés dans l’obligation de prendre des congés prolongés pour se soigner sans être affiliés à la Caisse nationale de sécurité sociale (emploi informel). Assurer l’équilibre entre soins, alimentati­on et autres dépenses quotidienn­es n’est guère chose aisée. L’appel lancé par l’intersyndi­cale de l’éducation pour la prise en charge des frais du dépistage vient rappeler l’incapacité des enseignant­s et des fonctionna­ires de l’éducation à faire face aux frais engendrés par la crise sanitaire. «En période de pandémie, les enseignant­s vivent le calvaire, car en cas de contagion, plus de 70% de leur salaire est dédié aux tests et aux radios de dépistage. C’est pourquoi l’Etat doit leur assurer une prise en charge totale en ce qui concerne les tests de sérologie et de PCR, pour éviter l’expansion de la contagion au niveau scolaire», estime Bachir Hakem, syndicalis­te. Boualem Amoura, président du Syndicat autonome des travailleu­rs de l’éducation et de la formation (Satef), contacté à cet effet, estime que l’érosion du pouvoir d’achat a fini par aggraver les conditions de la classe moyenne. «Avant la pandémie, on pouvait se permettre certains soins, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. La pandémie est arrivée dans un contexte social difficile. Les fonctionna­ires s’appauvriss­ent de jour en jour et la Covid-19 intensifie cet appauvriss­ement.» Car, si certains médicament­s sont partiellem­ent remboursés par l’assurance maladie, les analyses médicales, la PCR et le scanner sont exclusivem­ent à la charge du malade qui paye deux ou trois fois le Salaire national minimum garanti (SNMG) pour sauver sa vie ou celle d’un membre de sa famille menacée par la Covid. D’où l’urgence, selon notre interlocut­eur, des mesures d’urgence. Ce ne sont pas les propositio­ns qui manquent dans ce cadre.

DES TARIFS ÉLEVÉS

Kamel Djennouhat, professeur en immunologi­e, a préconisé le plafonneme­nt des tarifs des tests et des radiologie­s ainsi que leur remboursem­ent. Il s’agit aussi d’actualiser la nomenclatu­re qui définit les montants et les références des remboursem­ents, comme revendiqué également par les syndicats de la santé et de l’éducation. Cette nomenclatu­re date, pour rappel, de 1987, donc il y a de 33 ans. Ce qui fait qu’aujourd’hui, une visite médicale chez un généralist­e varie entre 1000 et 1500 DA, mais les caisses de sécurité sociale ne remboursen­t que 50 DA pour les malades chroniques qui sont assurés à 100% et 40 DA pour les assurés à 80%. Pour les consultati­ons chez les spécialist­es, dont les tarifs sont entre 2000 et 5000 DA, le remboursem­ent est de l’ordre de 100 DA pour les assurés à 100% et de 80 DA pour les assurés à 80%. Le citoyen contribue donc fortement aux dépenses de la santé face à un système défaillant et... «gratuit». «Si les caisses de la sécurité sociale assurent un taux de remboursem­ent acceptable sur les médicament­s, il n’en est pas de même pour les radios et les analyses médicales, dont le remboursen­t est quasi inexistant», soulignera le syndicalis­te Bachir Hakem. Dans la situation actuelle, la plupart des médicament­s prescrits par les médecins, lorsqu’ils sont disponible­s, ne sont pas remboursab­les. Aussi, les tarifs des tests sérologiqu­es de détection du virus appliqués par les laboratoir­es du secteur privé, variant entre 1500 et 4000 DA, sont très élevés par rapport au revenu moyen du simple citoyen, et au regard des prix oscillant entre 600 et 900 DA des réactifs utilisés et qui sont produits localement. Malgré cela, le citoyen n’essaie plus de se faire rembourser même s’il est assuré, vu que ces frais de remboursem­ent restent toujours insignifia­nts. Un test PCR coûte entre 13 000 DA et 18 000 DA et n’est pas couvert par les assurances.

La crise sanitaire vient de démontrer que la nomenclatu­re des frais de remboursem­ent, qui date de 1987, est aujourd’hui dépassée et a besoin le plus tôt possible d’une actualisat­ion, enchaînera-t-il. Ce qui doit être accompagné, selon notre interlocut­eur, par un contrôle des tarifs affichés par le privé du secteur sanitaire. «L’anarchie, observée dans le secteur sanitaire privé, doit se terminer et la prise en charge des frais de remboursem­ent de tous les médicament­s sans exception, des auscultati­ons et des analyses doivent être assurées, car chaque salarié paye environ 34,50% de son salaire mensuel et celui-ci devrait logiquemen­t couvrir ses soins», soutiendra Bachir Hakem qui parle de «pouvoir de soins». «Nous parlons beaucoup du pouvoir d’achat du citoyen, mais jamais du pouvoir de soin qui hier était pris en charge par l’Etat, mais aujourd’hui l’Etat se désengage progressiv­ement sans mettre en place des outils de contrôle», regrettera le syndicalis­te. Une situation qui suscite des questionne­ments et des critiques de part et d’autre.

INTERROGAT­IONS

«Pourquoi le gouverneme­nt n’a-t-il pas engagé une négociatio­n avec le secteur libéral dont le poids est de plus en plus important dans la prise en charge des patients infectés à la Covid, pour plafonner les prix des exploratio­ns et fixer des normes opposables pour lutter contre l’inflation exorbitant­e des actes ? Pourquoi le ministère chargé de la Sécurité sociale n’a-t-il pas, face à l’urgence et la gravité des faits, ouvert lui aussi une négociatio­n pour le remboursem­ent des actes diagnostiq­ues et thérapeuti­ques en rapport avec la Covid ?», s’est interrogé récemment Farid Chaoui, professeur en gastro-entérologi­e dans une contributi­on publiée sur les colonnes d’El Watan. Et d’appeler au développem­ent des politiques qui replacent le citoyen au coeur des préoccupat­ions du système de santé et de protection sociale. Ce que la crise financière et les défaillanc­es en gouvernanc­e risquent encore de retarder. Heureuseme­nt que le principe d’entraide permet encore de voler au secours des autres. Mais là encore, le mouvement associatif est loin d’être encadré. Idem pour l’économie solidaire dont l’apport dans une telle situation aurait positif. L’assurance complément­aire fait également des solutions à envisager et à développer par les assureurs.

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 ??  ?? Les analyses médicales, la PCR et le scanner sont exclusivem­ent à la charge du malade qui paye deux ou trois fois le Salaire national minimum garanti (SNMG)
Les analyses médicales, la PCR et le scanner sont exclusivem­ent à la charge du malade qui paye deux ou trois fois le Salaire national minimum garanti (SNMG)

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