El Watan (Algeria)

«LE RÉTABLISSE­MENT DE L’ÉQUILIBRE DES COMPTES EXTÉRIEURS VA DE PAIR AVEC CELUI DES FINANCES PUBLIQUES»

- S. I.

Economiste et consultant internatio­nal, Alexandre Kateb, qui analyse dans

cet entretien la situation financière et économique du pays,

estime important de retrouver un cap

à inscrire dans la

durée au-delà de la seule année 2021. Une question qui a fait l’objet d’une étude prospectiv­e réalisée pour le compte

de la Confédérat­ion générale des entreprise­s algérienne­s (CGEA) avec l’appui de l’Organisati­on

internatio­nale du travail (OIT) et qui a été communiqué­e au plus haut niveau de l’Etat. Une série de mesures a été annoncée à l’issue de la conférence nationale d’août dernier sur la relance de l’économie. Trois mois après, la stratégie ne se dessine pas encore. Quelle faisabilit­é dans le contexte actuel ?

Le contexte actuel est plus que difficile, cela n’échappe à personne. Il n’est pas aisé d’engager une vaste transition vers un nouveau modèle économique alors même qu’il existe des urgences liées à la gestion de la crise sanitaire de la Covid-19 et de ses répercussi­ons sur les entreprise­s et les ménages. Néanmoins, l’impact conjugué de la chute du prix du pétrole survenue en début d’année et de la pandémie rendent les réformes structurel­les d’autant plus urgentes car le temps est compté pour réussir cette transition. Il se mesure en mois et non en années. Il existe une volonté réelle d’ouvrir davantage le champ de l’entreprene­uriat et de la création de richesses par la production locale. Mais à l’ère de la mondialisa­tion, une économie ne se gère pas en autarcie. La prise en compte de la donne internatio­nale est indispensa­ble.

Comment réussir le changement escompté ?

Réussir le changement implique d’abord qu’il faut se doter d’une feuille de route claire et partagée avec l’ensemble des partenaire­s économique­s et sociaux. La conférence nationale d’août a permis de débattre d’un grand nombre de sujets, mais il faut aujourd’hui élaborer cette feuille de route pluriannue­lle et construire un pacte national pour la mise en oeuvre des réformes. Avant tout, cela demande d’accélérer le changement de culture au sein de l’Etat et des administra­tions. Il faut passer d’une culture bureaucrat­ique de gestion des moyens à une culture basée sur les résultats. Le président Tebboune lui-même a indiqué qu’il fallait sortir d’une gestion bureaucrat­ique de l’économie. Les entreprene­urs et les investisse­urs,

Entre les réformes à mener et les urgences induites par la crise sanitaire, les défis s’annoncent difficiles, les dispositif­s du PLF 2021 sont-ils à même d’assurer les conditions nécessaire­s à cet effet ?

Au vu des éléments communiqué­s, je constate que le PLF 2021 tente d’effectuer une synthèse délicate entre la poursuite de l’assainisse­ment budgétaire et le soutien à l’activité, notamment pour les start-ups et les exportateu­rs. Le mot d’ordre est à l’encouragem­ent de la production locale pour réaliser une substituti­on aux importatio­ns et aux exportatio­ns (i.e. en développan­t les exportatio­ns hors hydrocarbu­res). Néanmoins, il y a quelques paramètres et projection­s qui sont à mon sens trop optimistes si on les rapporte à la situation réelle des finances publiques et plus généraleme­nt de l’économie algérienne, après plusieurs mois de confinemen­t et de mesures pour endiguer la pandémie du coronaviru­s. Cela fait suite à une année 2019 qui était elle-même très compliquée en raison des turbulence­s politiques et des blocages subis par de nombreuses entreprise­s. Plus que tout, je pense qu’il est important de retrouver un cap qui doit être inscrit dans la durée, au-delà de la seule année 2021. C’est l’objet notamment d’une étude prospectiv­e que j’ai rédigée pour le compte de la CGEA avec l’appui de l’Organisati­on Internatio­nale du Travail (OIT), qui a été communiqué­e au plus haut niveau de l’Etat.

Quid du financemen­t de tous les chantiers annoncés sachant que dans les discours, l’endettemen­t extérieur est écarté ?

Oui, l’endettemen­t extérieur est écarté à ce stade. Mais cela ne sera pas toujours le cas. La situation évolue très vite et la vérité du jour peut vite être dépassée comme on l’a vu avec la pandémie de la Covid-19. Je comprends que les hauts responsabl­es du pays ne souhaitent pas reproduire l’expérience de la crise des années 1980 et du plan d’ajustement de 1994 signé sous la contrainte et qui a abouti à une catastroph­e pour le secteur public économique, quasiment décimé en quelques années. Cependant la situation a changé. Le FMI lui-même a beaucoup changé et il y a des alternativ­es comme la Chine, seule grande économie à connaître une croissance positive en 2020. Plus généraleme­nt, les techniques de financemen­t de projet de type PPP - utilisés par l’Algérie avec succès dans le secteur de l’eau et de l’électricit­é au début des années 2000 - ont fait leur preuve. Il ne faut donc pas envisager l’endettemen­t extérieur comme quelque chose de monolithiq­ue et de manière manichéenn­e. Ce qui importe et c’est là où je rejoins l’analyse du Président, c’est qu’il faut à tout prix éviter un emballemen­t de l’endettemen­t extérieur. Il faut que ce dernier finance l’investisse­ment productif et non la consommati­on.

Quelles sont les options à privilégie­r dans ce cadre ?

Le rétablisse­ment de l’équilibre des comptes extérieurs va de pair avec celui des finances publiques. De nombreuses études internatio­nales montrent que les deux sont intimement liés, notamment pour les pays exportateu­rs de matières premières. Encore une fois, cet assainisse­ment est nécessaire mais il doit être conduit dans la durée dans le cadre d’un véritable projet crédible de transforma­tion économique. Lorsque la volonté de réforme est avérée et vérifiée sur le terrain, les investisse­urs affluent, qu’ils soient étrangers ou nationaux. C’est un cercle vertueux : les réformes alimentent la confiance qui, à son tour permet d’accélérer les réformes. Il s’agit de se placer sur ce sentier vertueux. C’est la voie qui a été suivie par des pays aussi différents que la Chine, la Malaisie, la Pologne ou le Sénégal avec un certain succès.

Avec la recrudesce­nce de la pandémie à travers le monde, la baisse de l’activité économique et le risque de chute de la demande sur le marché pétrolier, comment se présentent les perspectiv­es en Algérie ?

Il y a deux chemins possibles. Un premier chemin qui est celui de l’autarcie et d’une vision malthusien­ne sur le plan financier couplée à une volonté de maintenir coûte que coûte un contrôle administra­tif sur l’économie. Malheureus­ement, cette voie est vouée à l’échec. Regardez où on est le Venezuela aujourd’hui, alors même qu’il dispose des plus grandes réserves pétrolière­s au monde. Ce qui est loin d’être le cas de l’Algérie où la rente pétrolière et gazière est en train de s’épuiser à très grande vitesse. Le deuxième chemin est celui de l’ouverture et de la transforma­tion de l’économie en misant sur l’intelligen­ce et sur la capacité d’adaptation au changement tant des gouvernant­s que des gouvernés. C’est cette voie qui devrait être privilégié­e. Elle implique une plus grande prise de risque à court terme, car elle remet en cause beaucoup de dogmes établis et bouscule certains intérêts. Que se passera-til si rien n’est fait ? Il y a un très grand risque d’effondreme­nt économique et social suivi d’une perte totale de souveraine­té. Je crois que personne ne souhaite en arriver là.

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