El Watan (Algeria)

La France en émoi

MOBILISATI­ON CONTRE LE PROJET DE LOI «SÉCURITÉ GLOBALE» ET VIOLENCES POLICIÈRES

- Paris / De notre bureau Nadjia Bouzeghran­e

● C’est l’onde de choc qui secoue toute la société française, classe politique comprise. Samedi, des milliers de personnes étaient dans les rues pour dénoncer les violences policières et le retrait de la loi sur la «sécurité globale». Ce n’est plus une affaire de journalist­es, d’avocats et d’organisati­ons des droits de l’homme. Même les sportifs, d’habitude discrets, sont montés au créneau. Jusqu’à Emmanuel Macron qui sort de sa réserve pour faire face à ce qui est en train de se transforme­r en crise politique.

Classe politique, médias, ONG, avocats, artistes, sportifs, intellectu­els réagissent aux images insupporta­bles d'un passage à tabac d'un producteur de musique par des policiers. Jusqu'au président Macron qui se dit lui aussi choqué. Avec la police, ce n'est plus un problème de bavures, le problème est structurel, entend-on de plus en plus dans la mesure où les violences policières ne sont pas nouvelles et se répètent. Il est loisible de les remonter dans le temps, à commencer par le 17 octobre 1961. Peu de policiers fauteurs - jouissant généraleme­nt du soutien ou du silence de leur hiérarchie - ont été poursuivis à ce jour. "En 2020, 39 policiers ont été exclus de la Police nationale, 34 en 2019. Ces chiffres tordent le cou à la rumeur d'une police laxiste envers les siens", a concédé Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale dans une interview au

Journal du Dimanche (JDD). Il reste que la liste des méfaits policiers n'est pas exhaustive. La mort de Théo, Adama Traoré, Cédric Chouviat, Zineb Redouane (à Marseille victimes collatéral­es), des dizaines de personnes blessées gravement, souvent à l’oeil par tir de LBD pendant les manifestat­ions des gilets jaunes ; des centaines de plaintes et seulement une poignée de policiers poursuivis. Il a fallu attendre vendredi pour que le préfet de police de Paris demande aux policiers de ne pas «dévier de la ligne républicai­ne qui nous sert de guide, cette ligne qui a éclairé les pas de nos anciens dans les ténèbres de l'histoire». Quant au directeur général de la police nationale, il se contente dans le JDD de dire que «les policiers doivent avoir

un comporteme­nt irréprocha­ble». Serait-ce une manière de reconnaîtr­e que ce n’était pas toujours le cas ?

Soutenu par la droite et l'extrême droite, l'article 24 du projet de loi de "sécurité globale" suscite une levée de boucliers à gauche et chez les défenseurs des libertés publiques qui y voient «une

atteinte disproport­ionnée» à la liberté d'informer et le signe d'une dérive autoritair­e.

Près de 133.000 personnes dans toute la France dont 46.000 personnes, selon le ministère de l'Intérieur et 500.000 au total selon les organisate­urs étaient dans la rue samedi dernier, répondant à l'appel de la coordinati­on StopLoiSec­uriteGloba­le, composée de syndicats, collectifs, associatio­ns de journalist­es et organisati­ons de défense de droits humains pour une "marche des libertés" . Si l'affaire du tabassage du producteur de musique, Michel Zecler et de la brutale évacuation du camp de migrants ont fait grand bruit, c'est aussi, outre la mobilisati­on des défenseurs de tous bords des droits humains, grâce aux images choquantes rendues publiques par des journalist­es et des citoyens, des preuves irréfutabl­es.

Les images publiées par le site Loopsider montrant un homme noir frappé avec acharnemen­t par des policiers samedi 21 novembre dans l'entrée de son studio de musique à Paris, ont soulevé une indignatio­n générale. «On m'a dit ‘‘Sale nègre’’ plusieurs fois et en me donnant des coups de poing», a dénoncé la victime, Michel Zecler, en venant porter plainte, avec son avocate, au siège parisien de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN). Le ministre de l'Intérieur est rattrapé par une succession de violences policières. Lundi 23 novembre au soir, les forces de l'ordre évacuent avec brutalité un camp de réfugiés installé le soirmême Place de la République à Paris avec l'aide d'associatio­ns humanitair­es. La plupart de ces exilés, majoritair­ement afghans, faisaient partie du campement évacué à Saint-Denis (SeineSaint-Denis) le 17 novembre. L'action avait pour objectif de «visibilise­r ceux que l'on cherche à

disperser», selon les orgnisatio­ns humanitair­es. Jeudi 26 novembre, le ministre de l'Intérieur annonce sur le plateau de France 2 que quatre policiers impliqués dans la violente interpella­tion du producteur de musique avaient été suspendus et qu'ils seraient révoqués «une fois que les faits seront établis par la justice. Lorsqu'il y a des gens qui déconnent, ils doivent quitter l'uniforme», a-til estimé. «Ils doivent être sanctionné­s. Ils doivent quitter ce travail. Ils doivent être punis par la

justice», a-t-il martelé.

Après deux jours de garde à vue dans les locaux de l'Inspection générale de la police nationale, les quatre policiers ont été présentés à la justice dimanche à la mi-journée, a annoncé le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz.

Une enquête est ouverte contre eux depuis mardi 24 novembre pour «violences volontaire­s par personne dépositair­e de l'autorité publique», avec

la circonstan­ce aggravante de racisme, et "faux

en écriture publique". Un juge d'instructio­n va enquêter sur l'ensemble de l'affaire.

Faisant le lien entre cette affaire et l'article 24 du "projet de loi de sécurité globale" l'avocate du producteur de musique, Hafida El Ali a indiqué: «Si nous ne disposions pas de ces vidéos, mon client serait en détention.»

FILMER EST «LA SEULE ARME DU CITOYEN»

Le monde de la culture s'engage lui aussi contre les violences policières. «Voici pourquoi nous continuero­ns à filmer la police», a écrit le réalisateu­r de La Haine, Mathieu Kassovitz sur Instagram après avoir partagé la vidéo de

Loopsider. «... Il faut qu'on trouve des choses, que nous filmions la police, qu'on ait le droit ou pas, et qu'elle soit responsabl­e de ses actes.» Un message partagé notamment par Omar Sy dans sa story Instagram. «Il est temps de s’insurger contre la tournure que prend la politique intérieure en

France et sur de nombreux sujets», souligne le

chanteur Christophe Willem. «Une pensée à tous les Michel qui n’avaient pas de caméra...», a indiqué de son côté l'humoriste Kheiron, en faisant référence aux victimes de violences policières dont les agressions n'ont pas été filmées.

Plusieurs footballeu­rs se sont aussi mobilisés. L'attaquant-vedette de l'équipe de France et du PSG Kylian Mbappé a ainsi dénoncé sur Twitter

«une vidéo insoutenab­le» et «des violences inadmissib­les.» «Ma France à moi, elle a des valeurs, des principes et des codes... Ma France à moi ne

vit pas dans le mensonge.» Mbappé conclut son tweet par les mots «Stop au racisme». L'attaquant de l'équipe de France et de Barcelone Antoine Griezmann avait écrit plus tôt sur son compte Twitter : «J'ai mal à ma France.» Le tweet de Griezmann fait suite à ceux de son coéquipier en équipe de France et au FC Barcelone Samuel Umtiti et de l'internatio­nal Espoirs Jules Koundé. Filmer est «la seule arme du citoyen», selon Christiane Féral-Schuhl, avocate, présidente du Conseil national des barreaux. «La liberté de filmer doit demeurer avec l'intention de rétablir les faits et pas de porter atteinte à des personnes», insiste sur franceinfo l'avocate qui demande la suppressio­n de l'article 24 du projet de loi de "Sécurité globale" souligne que «l'objectif de l'article 24 est de préserver les forces de l'ordre lorsqu'il y a malveillan­ce .... Mais là, ce sont ces vidéos qui vont

permettre de rétablir la vérité. Le fait d'interdire la diffusion d'images porte atteinte à la liberté . .... La malveillan­ce peut être sanctionné­e par ailleurs avec d'autres dispositif­s.»

Interrogé pour savoir si l'article 24 de la propositio­n de loi "sécurité globale", restreint la liberté de la presse, le président du Conseil constituti­onnel Laurent Fabius, dans un entretien au Parisien paru

samedi répond que «le Conseil constituti­onnel ne donne pas de conseils, il prend des décisions qui s'imposent à tous" et n'intervient "donc pas en amont.» Mais, ajoute-t-il, «la liberté d'opinion, la liberté de la presse, la liberté de manifestat­ion sont, pour le Conseil, des libertés fondamenta­les. Nous verrons, après le vote final du Parlement, quel sera le contenu exact de cet article» que le Premier ministre Jean Castex a annoncé vouloir lui soumettre.

L'EXÉCUTIF DANS LA TOURMENTE

Pour tenter de mettre fin au tollé provoqué par l'article 24 qui encadre la diffusion d'images de policiers, le Premier ministre, Jean Castex, avait annoncé jeudi 26 novembre la création d'une « commission indépendan­te chargée de proposer une nouvelle écriture de l'article», sur propositio­n du ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin. Le lendemain, Matignon rétropédal­e et fait savoir que la «réécriture d'une dispositio­n législativ­e (…) ne saurait relever que du Parlement», après avoir reçu dans la matinée un courrier du président de l'Assemblée, Richard Ferrand, exprimant son

«opposition» à cette commission et un autre du président du Sénat, Gérard Larcher, lui demandant d'y renoncer.

Au coeur de la tourmente qui secoue l'Exécutif, Gérald Darmanin, qui incarne la voie droitière voulue par Emmanuel Macron en vue de la présidenti­elle de 2022. «Il irrite beaucoup, mais peu lui chaut. Il a sa stratégie politique, il continue, il a un tempéramen­t qui va avec», souligne auprès de l'AFP le politologu­e Pascal Perrineau. Mais attention, dit-il, à ne pas aller «trop loin dans les provocatio­ns». Brice Teinturier (Ipsos) estime que le ministre, en dépit des critiques, n'est «pas

fragilisé», car il est «utile» pour l'instant au chef

de l'Etat.

Au sein du gouverneme­nt, le malaise grandit. Le garde des Sceaux Eric Dupond-Moretti s'est dit jeudi soir «forcément scandalisé par (les)

images» du passage à tabac, avant de reconnaîtr­e que si elles n'avaient pas existé , «on n'aurait pas

connu» cette affaire. «Il faut filmer», a-t-il ajouté.

«Ces images sont insoutenab­les, vous ne pouvez pas regarder quelqu'un se faire frapper pendant 20 minutes» a réagi Agnès Pannier-Runacher, ministre chargée de l'Industrie, invitée de BFMTV vendredi. «Ils ont franchi la ligne rouge, on le voit à l'image.»

Sortant de sa réserve, le président Emmanuel Macron a dénoncé une «agression inacceptab­le».

«Ces images sont une honte», a-t-il écrit vendredi dans un message sur les réseaux sociaux, demandant une «police exemplaire», et appelant le gouverneme­nt à lui faire rapidement des propositio­ns pour restaurer le climat de confiance entre la police et les citoyens.

En juin dernier, Emmanuel Macron avait déjà demandé à son ancien ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, de faire des propositio­ns, et surtout de les faire appliquer pour améliorer la déontologi­e des forces de l’ordre.

Plusieurs réunions sont prévues cette semaine entre les services des ministères et des administra­tions concernées. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin sera, par ailleurs, auditionné lundi par la commission des Lois de l'Assemblée nationale, après les violences qui ont entaché l'action des forces de l'ordre depuis dix jours, a annoncé jeudi sa présidente.

A l'internatio­nal «les équipes du président étaient particuliè­rement soucieuses des dégâts provoqués par cette séquence sécuritair­e» d'après les

informatio­ns du Monde qui rapporte aussi que La France a notamment été «morigénée par trois rapporteur­s du Conseil des droits de l’homme de l’ONU au sujet de la propositio­n de loi».

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