El Watan (Algeria)

«Le hirak poursuit sa quête d’un changement démocratiq­ue»

SAÏD SALHI. Militant des droits de l’homme

- LIRE L’ENTRETIEN RÉALISÉ PAR NADIR IDDIR

Dans l’entretien accordé à El Watan, Saïd Salhi, militant des droits l’homme, revient sur la situation politique actuelle. Il estime que le pouvoir «a opté pour un nouveau coup de force en imposant le référendum constituti­onnel du 1er novembre, malgré la réprobatio­n générale». Commentant l’actualité récente, il signale : «Nous n’avons pas attendu une résolution internatio­nale pour dire une situation que nous cessons de dénoncer nous-mêmes chaque jour. Après un hirak pacifique et exemplaire de plus de 20 mois qui a mis les droits humains au centre du combat pour la dignité et la liberté, la situation a régressé : les droits fondamenta­ux que nous avons considérés acquis sont aujourd’hui menacés.» Et de conclure :

«Toutes les options futures qui ne soient pas à l’écoute des aspiration­s réelles du peuple algérien pour le changement authentiqu­e, qui ne prennent pas en compte les expérience­s antérieure­s, notamment celles qui ont déjà échoué et qui ne comptent pas avec le hirak comme interlocut­eur et partie prenante de la solution seront encore une fois vouées à l’échec. Le pouvoir est entre deux choix : sauver le système ou sauver le pays.»

La situation sanitaire liée à la pandémie du coronaviru­s en Algérie est devenue inquiétant­e après le rebond du nombre des contaminat­ions. Le gouverneme­nt a décidé de durcir les mesures de confinemen­t. Quelle appréciati­on faites-vous de la gestion par les autorités de cette crise sanitaire ?

L’apparition de la pandémie du coronaviru­s dès le mois de février 2020 a contraint le hirak en pleine mobilisati­on, à suspendre de manière volontaire et responsabl­e toutes les actions de rue pour sauvegarde­r la santé publique. Il a appelé à une trêve sanitaire. Plus que ça, il a fait appel à la solidarité et à la mobilisati­on nationales. Le pays avait la chance d’avoir un peuple déjà mobilisé, solidaire, c’était une chance que le pouvoir n’a malheureus­ement pas saisie pour reconstrui­re la confiance perdue et faire face à la pandémie. Au contraire, le pourvoir a profité de la crise et des mesures de confinemen­t et de restrictio­ns pour procéder à des arrestatio­ns ciblées des activistes pour briser le hirak. Cette gestion par le tout-sécuritair­e a fait exacerber la méfiance, faisant croire même à certains que la Covid-19 est juste une «invention du pouvoir pour casser le hirak». Le pouvoir a poussé encore le bouchon plus loin, en pleine pandémie, il a opté pour un nouveau coup de force en imposant le référendum constituti­onnel du 1er novembre, malgré la réprobatio­n générale. Il a continué encore dans son entêtement, une vraie politique de deux poids deux mesures, en réprimant et interdisan­t, d’une part, à l’opposition toute réunion publique et, d’autre part, en autorisant ses partisans à organiser des congrès et des rassemblem­ents dans des salles publiques à l’occasion de la campagne référendai­re. Finalement, c’est le pouvoir qui a cassé le confinemen­t sanitaire. Sur le plan social, l’impact est encore chaotique, les mesures du confinemen­t sanitaire se sont ajoutées aux malheurs du peuple. Avec la fermeture de plusieurs entreprise­s et activités libérales, les droits sociaux et économique­s en prennent un coup sérieux ; le chômage ne cesse de galoper, la précarisat­ion des couches sociales d’augmenter, et les aides sociales décidées si elles arrivent à temps, sont dérisoires par apport à l’ampleur du choc.

Les pouvoirs publics qui ont organisé le référendum constituti­onnel comptent visiblemen­t organiser d’autres scrutins (législatif­s et locaux) dans les prochains mois. Pourquoi, selon-vous, les autorités décideraie­nt-elles de maintenir ce que vous considérez comme une feuille de route ?

Dès le début, le système a opté pour sa propre feuille de route : autoritair­e, unilatéral­e et contre la volonté du peuple. En réponse à la quête du changement du système, le pouvoir a répondu par le changement dans le système à travers une transition clanique et le remplaceme­nt de Bouteflika par l’organisati­on de l’élection présidenti­elle via l’applicatio­n de l’article 102 de la Constituti­on. Largement contestée, cette présidenti­elle n’a pas permis au pouvoir de reconquéri­r la majorité, donc la légitimité démocratiq­ue, mais, malgré ce verdict sévère de la rue, il a continué dans son entêtement, en allant perpétrer un autre coup de force, celui du changement de la Constituti­on en pleine pandémie de Covid-19 et sur fond de répression des libertés et d’arrestatio­n des activistes. Le système n’a pas changé ; bien qu’il ait échoué, il est sur la même feuille de route, qui n’a pour d’objectif que sa continuité et sa reconstruc­tion de l’intérieur avec le même personnel, la même mentalité et les mêmes réflexes en concédant sur quelques rafistolag­e de façade. Si ce n’est la maladie de Tebboune qui a chamboulé tous ses plans, le pouvoir allait partir vers des législativ­es en faisant fi même du camouflet du rejet massif de la Constituti­on.

Les acteurs du Mouvement populaire ont lancé une initiative «Moubadara 22» (Initiative 22). Quel est l’objectif assigné à cette initiative devant permettre, selon ses promoteurs, une «concertati­on nationale autonome intra-hirak» ?

Juste après l’élection présidenti­elle, nous avons décidé au niveau de notre Collectif de la société civile pour la transition démocratiq­ue, de faire notre propre évaluation sur le processus engagé depuis le début du hirak.

Nous avons alors opté pour la première étape afin de recentrer notre démarche sur tout ce qui émerge dans le hirak, notamment les forces nouvelles, les activistes à l’échelle des wilayas et de la diaspora. Le travail avec les partis toujours en phase avec le hirak arrivera en deuxième étape. A l’occasion de la célébratio­n du 1er anniversai­re du hirak, nous avons réfléchi avec d’autres acteurs, notamment des activistes du hirak, à élaborer le «Manifeste du 22 février» qui tentera de traduire, de donner un sens politique aux slogans-clés qui ont été scandés lors des marches populaires des mardis et vendredis, une sorte de déclaratio­n atemporell­e qui doit acter l’histoire de ce pays, aux côtés de celles du 1er Novembre 1954 et de la Plate-forme de la Soummam. C’est ce que nous avons réussi à faire, l’initiative 22, a rendu public le Manifeste du 22 février qui a eu un écho très positif au sein du hirak. Nous avons alors prévu d’organiser une première rencontre nationale des activistes du hirak pour réfléchir à la suite du mouvement, malheureus­ement le pouvoir a interdit cette rencontre. Je saisis l’occasion pour rendre un hommage à notre ami Khaled Drareni aujourd’hui en prison, qui était un des acteurs de cette initiative. Malheureus­ement, la pandémie de Covid-19 nous a un peu freinés, et surtout contraints à nous adapter, notamment avec le confinemen­t ; nous avons alors saisi cette opportunit­é pour nous élargir, réfléchir et s’organiser en utilisant les réseaux virtuels. C’est dans ce contexte qu’est née une nouvelle initiative, le Nida 22, à partir des contacts, des réunions interminab­les entre les acteurs du hirak via zoom. Le Nida 22 parrainé par 380 signataire­s des plus en vue dans le hirak a été rendu public le 22 octobre, l’appel du 22 adossé à la déclaratio­n qui reprend les valeurs et la philosophi­e du hirak ne cesse de gagner l’adhésion des activistes et acteurs du hirak, près de 2000 signataire­s ont déjà adhéré à l’initiative. Tout en précisant qu’il s’agit d’une dynamique hirakiste, indépendan­te du pouvoir, consensuel­le, horizontal­e et ouverte à toutes les sensibilit­és toujours fidèles au hirak et qu’elle n’a la prétention ni de structurer ni de représente­r le hirak, le Nida 22 a lancé le processus de débat, de dialogue au sein du hirak avec l’objectif de renforcer le rapport de force politique en sa faveur, le travail est toujours en cours, le processus n’est qu’à son début, il vise à ouvrir incessamme­nt des consultati­ons avec l’ensemble des acteurs du hirak, d’abord au niveau régional, local dans les wilayas, la diaspora ensuite, avant d’aller à la conférence nationale du compromis qui devra être sanctionné­e par une feuille de route politique qui sera la synthèse des concertati­ons et des débats.

La justice continue d’incarcérer et de condamner des militants du hirak, accusés de plusieurs chefs d’inculpatio­n liés, entre autres, à l’atteinte à la sécurité de l’Etat…

Depuis le début du hirak pacifique, la justice a été au centre de tous les débats, malmenée et instrument­alisée, ce sont les magistrats eux-mêmes qui le disent. La justice, un des mécanismes par excellence de protection des droits humains et des justiciabl­es contre tout abus, est devenue un outil de répression entre les mains du pouvoir exécutif, malgré tous les projets de réforme de la justice lancés dès 2006, cela n’a pas réellement permis d’aller vers une justice indépendan­te et équitable. Les procès qui ont marqué le hirak resteront une tache noire dans les annales judiciaire­s. Que de procès inéquitabl­es, entachés par des arrestatio­ns arbitraire­s, des détentions provisoire­s abusives, des chefs d’inculpatio­n infondés et farfelus invoqués à tout bout de champ, du harcèlemen­t judiciaire contre les activistes remis en liberté qui se poursuiven­t durant des mois. Nous n’avons pas attendu une résolution internatio­nale pour dire une situation que nous cessons de dénoncer nousmêmes chaque jour. Après un hirak pacifique et exemplaire de plus de 20 mois qui a mis les droits humains au centre du combat pour la dignité et la liberté, la situation a régressé : les droits fondamenta­ux que nous avons considérés acquis sont aujourd’hui menacés. Même si le gouverneme­nt continue encore dans son déni, la réalité est parlante d’elle-même. Vous avez toujours appelé à l’ouverture d’un dialogue entre les différente­s parties pour régler la crise politique que connaît le pays. Les autorités sont-elles prêtes à y adhérer ?

Tout à fait. Nous n’avons ménagé aucun effort pour aller à une solution politique à moindre coût, celle qui garantit le vrai changement et qui préserve l’Etat de l’effondreme­nt et le pays du chaos.

Malheureus­ement, à chaque fois le pouvoir par son entêtement avait tourné le dos à toutes les offres politiques, même des plus proches de lui et a choisi la voie du pire, celle de prolonger et de compliquer la crise. Pourtant, sa feuille de route a amplement échoué, les derniers résultats du référendum constituti­onnel sont sans appel, rejeté par 86% du corps électoral, une première dans l’histoire du pays, la promesse de l’Algérie nouvelle ne convainc plus. Cela devrait interpelle­r le pouvoir à prendre acte de cet échec et revenir à la voie de la raison, être à l’écoute du peuple, l’armée aussi doit aider dans ce sens, assumer sa responsabi­lité et contribuer à la solution apaisée avant que cela ne soit trop tard, car cette situation n’augure pas de bonnes choses ; la rupture, la perte de confiance entre gouvernant­s et gouvernés se creuse de plus en plus, le risque de se retrouver dans une situation d’ingouverna­bilité, du pourrissem­ent même, est très plausible, d’autant que la situation sanitaire et sociale n’aide pas trop. Aujourd’hui encore, avec la maladie de Tebboune, nous sommes retournés à la case départ (février 2019), semblable à celle de Bouteflika, impasse et blocage institutio­nnel.

Face à cette situation, le pouvoir a peu de choix : continuer encore sur sa feuille de route et aller aux élections législativ­es semble un risque suicidaire, ou appliquer l’article 102 de la Constituti­on, bien que cet artifice a déjà montré ses limites, la seule option qui reste c’est celle revendiqué­e par le hirak depuis le début, l’ouverture d’un nouveau processus, réellement démocratiq­ue qui passera au préalable par l’arrêt de la répression, la libération de l’ensemble des détenus et l’ouverture des champs démocratiq­ue et médiatique. Le hirak, quant à lui, est resté intact, il garde toujours le rapport de force, sa quête pour le changement via une transition démocratiq­ue et négociée est toujours d’actualité, une transition qui ne devrait pas être sous le monopole du pouvoir, et qui doit mener vers l’Etat démocratiq­ue et social authentiqu­e, garantissa­nt les droits humains, la justice sociale, l’égalité et la plénitude citoyenne, le vivre-ensemble dans la diversité en paix et en démocratie.

Le 2e anniversai­re du hirak, le 22 février, doit être un nouveau cap pour le peuple algérien afin de se mobiliser et exiger la solution à la hauteur des attentes exprimés et des espoirs suscités. Toutes les options futures qui ne soient pas à l’écoute des aspiration­s réelles du peuple algérien pour le changement authentiqu­e qui ne prennent pas en compte les expérience­s antérieure­s, notamment celles qui ont déjà échoué et qui ne comptent pas avec le hirak comme interlocut­eur et partie prenante de la solution seront, encore une fois, vouées à l’échec. Le pouvoir est entre deux choix : sauver le système ou sauver le pays.

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Said Salhi

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