Aggravation de la crise socioéconomique en Tunisie
Les blocages de la production se multiplient en Tunisie sans la moindre sanction Jamais le pays n’est arrivé à pareil degré de faiblesse de
l’Etat. Perspectives sombres à la veille du 10e anniversaire de la révolution 17 décembre –14 janvier.
Une Assemblée des représentants du peuple (ARP), plus divisée que jamais, ne pouvant offrir au gouvernement Mechichi le soutien nécessaire pour faire face aux crises qui traversent le pays. Un flottement perceptible, au niveau des hautes sphères du pouvoir, aidant à la multiplication des grèves et des sit-in, qui ont atteint toutes les régions. La Tunisie peine, dans ces conditions, à concevoir son Budget 2021, censé être adopté d’ici le 10 décembre. Jamais l’instabilité politique n’a atteint pareilles dimensions en Tunisie depuis 2011. Plus d’une année après les élections du 6 octobre 2019, la majorité parlementaire n’est pas claire autour du chef du gouvernement, Hichem Mechichi. Ainsi, alors que lors du vote de confiance du 2 septembre de l’ARP au gouvernement, les partis Ennahdha, QalbTounes, TahyaTounes, les blocs parlementaires de la Réforme et Nationaliste, ainsi que quelques députés indépendants, lui ont assuré 134 voix sur les 217 de l’Assemblée. Une majorité respectable somme toute. Mais, paradoxalement, cette majorité a changé durant ces trois mois. C’est désormais une troika, formée d’Ennahdha, QalbTounes et le bloc Qarama, qui a défendu le projet de loi de finances complémentaire 2020 de Mechichi, qui n’a finalement réuni que 96 voix en faveur de cette loi, soit une majorité très simple. Par ailleurs, 148 députés, seulement, ont cru utile d’assister. Autre signe d’indifférence. Dans ledit projet, l’ARP a permis à la Banque centrale (BCT), à titre exceptionnel, de financer 2,810 milliards de dinars (1,06 milliard de dollars) du déficit budgétaire, sur une période de cinq ans, ce que la BCT avait, au départ, refusé, craignant des retombées
Linflationnistes. Par ailleurs, le problème de ce déficit ne va pas s’arrêter à ce niveau ; le gouvernement aura à ramasser
Face au blocage observé au niveau politique en Tunisie, le secrétaire général de la centrale syndicale, UGTT, Noureddine Taboubi, a remis lundi dernier, 30 novembre, au président de la République, Kaïs Saïed, un document en guise de plateforme d’un Dialogue national pour faire sortir le pays de la crise. Le document appelle à la création d’un comité de sages indépendants, toutes spécialités confondues, pour aider à finaliser les tâches de la Constitution, comme la création de la Cour constitutionnelle ou évaluer la loi sur les partis et celle des associations, ainsi que la loi électorale. Il s’agit, également, de préserver la neutralité de l’appareil judiciaire et d’évaluer l’expérience du pouvoir local. Le document de l’UGTT propose également d’évaluer le pouvoir politique et d’examiner s’il y a besoin d’y introduire des modifications. Si le document s’inspire du Dialogue national, entrepris en Tunisie en 2013-2014, il n’interfère pas dans les attributions des structures élues et n’associe pas les partis politiques dans ce dialogue, il s’en remet au président de la République pour entamer pareille entreprise. Et si les islamistes d’Ennahdha ont fait des réserves par rapport à ce dialogue, puisqu’il met en avant la présidence de la République, les partis Chaab, Tahya Tounes et Machrouaa Tounes soutiennent cette proposition. «La Tunisie a besoin d’une solution qui s’éloigne des sentiers habituels non productifs. Les Tunisiens en ont assez des promesses infructueuses», assure le député Mustapha Ben Ahmed, président du bloc parlementaire de TahyaTounes. M. S. e conseiller à la Maison-Blanche, Jarod Kushner, a rencontré, hier au Qatar, l’émir de cette monarchie du Golfe, selon des médias citant l’agence officielle QNA. Le conseiller et gendre du président américain, Donald Trump, et cheikh Tamim Ben Hamad Al Thani ont discuté des «développements dans la région», selon QNA. Cette visite constitue une occasion pour Jarod Kushner de tenter de réconcilier Doha et ses voisins, notamment l’Arabie Saoudite avant la prise de fonction, le 20 janvier, du président américain élu Joe Biden. En juin 2017, l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Yémen et l’Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ils accusent l’émirat vingt autres milliards de dinars (7,6 milliards de dollars), pour clôturer le Budget 2021 et il peine à rassembler ces ressources. L’équipe de Mechichi devrait sortir sur le marché international pour une partie de ces Fonds et les coûts seraient exorbitants, vu la note souveraine très médiocre de la Tunisie. La BCT s’oppose à cette attitude gouvernementale. Le gouverneur, MarouaneAbbassi, trouve aberrant que «le gouvernement tunisien s’endette pour payer des salaires, alors que les vannes de pétrole et les trains de phosphate sont bloqués par des sittineurs», a-t-il régulièrement rappelé.
GRÈVES
Depuis la révolution de 2011, les mines de phosphate ne sont jamais revenues à leur rythme de croisière. Mêmes constats du côté du pétrole ou des cueillettes agricoles. Les bonnes récoltes sont dilapidées, faute de bonne gestion. A cette nonchalance, il faut ajouter les grèves qui réduisent la productivité à plus de sa moitié. Le nombre d’employés de la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) a plus que doublé, passant de 8000 à 20 000, via des recrutements anarchiques pénalisant la CPG et alourdissant ses charges salariales. Laquelle recrudescence du nombre d’employés ne s’est pas traduite dans la production, faute d’une stratégie pour l’entreprise, ne parvenant pas à produire la moitié de ses capacités.
La Tunisie a été obligée, pour la 1re fois de son histoire, d’importer du phosphate algérien pour faire travailler le groupe chimique. Tout cela, sans parler du sit-in de Tataouine (Al Kamour), qui a bloqué la production pétrolière du pays du 16 juillet à fin octobre, entraînant un manque à gagner à l’Etat de près de 300 millions de dinars (100 millions d’euros).
Par ailleurs, il ne passe pas un jour sans que la place du gouvernement à la Kasba ne soit pas occupée par des sittineurs, ayant des revendications sociales, à la recherche, notamment, d’emploi. Pareils attroupements sont également observés devant les gouvernorats et les délégations dans les régions. La révolution a certes ouvert les voies des réclamations. Mais, elle a progressivement démoli toute notion d’ordre.
Pour preuve, des sitinneurs à Gabès, à 400 kilomètres de Tunis, bloquent depuis le 10 novembre l’activité d’une usine de remplissage des bouteilles de gaz butane, à usage domestique, privant des régions entières de combustible pour cuisiner ou se chauffer. Les sitinneurs réclament du travail. Personne n’a été sanctionné. D’autres sitinneurs ont essayé de bloquer l’accès à la zone industrielle de Thyna, à 10 kilomètres de Sfax. Des sit-in sont observés près du gisement de pétrole de Douleb à Kasserine, sur la route du phosphate entre Gabès et Gafsa, au sud de la Tunisie, voire sur tout ce qui signifie la création des richesses. Difficile est la situation de la Tunisie, à quelques semaines du 10e anniversaire de sa révolution.
Mourad Sellami
En juin 2017, l’Arabie Saoudite, Bahreïn, les Emirats arabes unis, le Yémen et l’Egypte ont rompu leurs relations diplomatiques avec le Qatar. Ils accusent l’émirat de «soutenir le terrorisme», et de se rapprocher de l’Iran. Ce que dément le Qatar.