El Watan (Algeria)

«Le déficit d’informatio­n scientifiq­ue retarde le choix ferme d’un vaccin»

- LIRE L’ENTRETIEN RÉALISÉ PAR D. KOURTA

Le président de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire, le Pr Kamel Sanhadji, revient dans cet entretien sur les aspects liés à la lutte contre le SARS CoV-2 à travers des moyens classiques de désinfecti­on des espaces publics. Le Pr Sanhadji met l’accent sur le rôle de l’institutio­n qu’il dirige depuis quelques mois dans la prospectio­n pour aider au choix du vaccin et aux conditions de son acquisitio­n pour la population algérienne. Il s’agit d’«une procédure d’expertise scientifiq­ue et technique avec les laboratoir­es nationaux, pour aider à faire le choix d’un vaccin efficace sur le plan de la réponse du système immunitair­e et pouvant être inoculé en toute sécurité», répond le Pr Sanhadji en procédant, par ailleurs, aux tests immunologi­ques de base du vaccin contre la Covid-19 a-t-il ajouté.

Vous êtes à la tête de l’Agence nationale de sécurité sanitaire depuis le mois de juin dernier, dont la création coïncide avec la Covid-19. Quelle approche avez-vous adoptée en cette période de crise sanitaire ?

La mise en place des structures de fonctionne­ment de l’Agence nationale de sécurité sanitaire, de création récente, est en cours. En parallèle et sans attendre, crise sanitaire Covid-19 oblige, nous avons mis en place des dispositif­s immédiats, en matière de sécurité sanitaire, venant en soutien aux mesures prises par les pouvoirs publics. On peut citer par exemple une action immédiate. Il s’agit d’une opération dans les quartiers permettant de limiter les éventuelle­s conséquenc­es liées à la forte propagatio­n actuelle du nouveau coronaviru­s (SRAS-CoV-2), en particulie­r dans les artères des grandes métropoles où la densité de la population est plus importante. Elle est liée à la décontamin­ation, en utilisant l’eau de mer (comme cela se faisait avant !), des surfaces environnan­tes fréquentée­s par le public. Brièvement, ce nettoyage permet d’éliminer les agents pathogènes ou d’en réduire sensibleme­nt la charge sur les surfaces contaminée­s et constitue l’un des premiers dispositif­s essentiels de tout processus de désinfecti­on. Le nettoyage à l’eau et au savon (ou au moyen d’un détergent neutre) conjugué à une certaine forme d’interventi­on mécanique (brossage ou récurage) permet de réduire la quantité de saletés, de détritus et d’autres matières organiques, telles que le sang, les sécrétions et les excrétions, voire de les éliminer. L’opération de nettoyage devrait s’effectuer en allant progressiv­ement des zones les moins souillées (les plus propres) vers les plus souillées (les plus sales), et des niveaux supérieurs vers les niveaux inférieurs afin que les détritus incrustés puissent tomber sur le sol et être systématiq­uement nettoyés en dernier de manière que rien ne soit négligé. Ensuite, il serait judicieux qu’une dilution importante accompagné­e d’un effet antiseptiq­ue soit exercée par l’opération suivante à l’aide d’eau de mer (grâce au sel marin) au moyen de camions équipés de citernes arroseuses. A propos de cette opération, ce dispositif faisant appel à l’eau de mer est adapté aux métropoles du littoral national. L’Agence de sécurité sanitaire propose également des opérations de salubrité publique qui seront mises en place, en particulie­r concernant la lutte contre les nuisibles (rats, cafards, pigeons...). D’autres actions d’ordre pratique ont été proposées, face au le récent rebond de la Covid-19, en particulie­r dans la mise en place de quelque 4 ou 5 grands centres de prise en charge dédiés aux patients Covid-19 à travers le territoire national dans le but de maîtriser la logistique, de limiter la propagatio­n du virus et avec un personnel soignant affecté pendant une période donnée et ensuite le retirer et le remplacer par un nouveau personnel.

L’Algérie s’apprête à acquérir le vaccin contre la Covid-19 développé rapidement. Est- ce que l’agence a émis un avis ?

En effet, l’Agence nationale de sécurité sanitaire est impliquée dans le dispositif d’acquisitio­n du futur vaccin ayant, à l’heure actuelle, le statut de candidat-vaccin. L’institutio­n est chargée de prospecter, selon une procédure d’expertise scientifiq­ue et technique avec les laboratoir­es nationaux, pour aider à faire le choix d’un vaccin efficace sur le plan de la réponse du système immunitair­e et pouvant être inoculé en toute sécurité, d’une part en procédant aux tests immunologi­ques de base et, d’autre part, aux conditions de son acquisitio­n, son achemineme­nt, sa conservati­on, en utilisant tous les moyens logistique­s pour que cette opération soit possible.

L’opération, dans sa totalité, est concertée et coordonnée avec les départemen­ts de la Santé, de l’Industrie pharmaceut­ique, de l’Intérieur, les moyens logistique­s de la Défense nationale et Air Algérie. L’Agence nationale de sécurité sanitaire est partie prenante, avec le ministère chargé de la Santé et le ministère de l’Industrie pharmaceut­ique, dans l’expertise des candidats vaccins éligibles à leur enregistre­ment en Algérie, les rendant ainsi rapidement disponible­s au bénéfice des citoyens algériens.

Les premiers laboratoir­es, qui affirment avoir eu des résultats concluants, utilisent des techniques très variées et innovantes jamais développée­s jusque-là. Est-ce que ces vaccins à ARN messager (ARNm) ou à ADN pourraient présenter des dangers sur la santé humaine ?

Nous ne connaisson­s pas, à l’heure actuelle, l’ensemble des résultats scientifiq­ues publiés dans les grandes revues pour être portés à la connaissan­ce de toute la communauté scientifiq­ue.

C’est ce déficit en informatio­n scientifiq­ue fondamenta­le et complète qui grève notre avis définitif par rapport au choix ferme d’un vaccin. Actuelleme­nt, l’informatio­n disponible est celle des firmes pharmaceut­iques productric­es des candidats-vaccins qui rapportent leurs propres résultats. Il n’est donc pas aisé de porter notre appréciati­on objective scientifiq­uement parlant. Nous souhaitons disposer de ces données dans les plus brefs délais.

Quant aux dangers supposés des vaccins à ARN messager, leur utilisatio­n dans le règne animal (peste porcine) a été concluante, mais, en effet, n’ont pas été utilisés dans des pathologie­s humaines. Cependant, ces résultats suggèrent leur utilisatio­n chez l’homme. Leur limite est en fait liée à la fragilité de leur utilisatio­n à grande échelle ou une logistique nécessitan­t une températur­e assez basse (entre -70°C et -80°C) pour garder leur stabilité.

Les vaccins à ADN ont également montré leurs effets positifs à l’échelle expériment­ale. Mais il est plus prudent de ne pas les utiliser actuelleme­nt, car les données scientifiq­ues ne présentent pas un recul suffisant pour observer l’effet de leur intégratio­n dans l’ADN de la cellule après leur inoculatio­n (ce serait presque de la thérapie génique !), ce qui n’est pas le cas par rapport aux vaccins à ARN, car ces derniers ne s’intègrent pas dans le génome humain, mais restent dans la périphérie (cytoplasme) et ensuite, ils se dégradent facilement.

Les conditions de transport et de stockage de ces vaccins exigent des températur­es très basses, voire à moins de 70 degrés Celsius pour le vaccin de Pfizer. Est-ce que l’Algérie dispose des moyens nécessaire­s pour assurer la sécurité de ces vaccins ?

Les pouvoirs publics, dans leur ensemble, sont prêts à mettre tous les moyens, même dans le cas où l’on s’achemine vers des vaccins nécessitan­t des conditions logistique­s lourdes, entre autres des températur­es basses. Pour cela, deux équipes (scientifiq­ue et logistique) sont d’ores et déjà à pied d’oeuvre pour organiser une telle opération aux fins de réussir la mise à dispositio­n de ce vaccin permettant la protection et la sécurité sanitaire de la population.

Des spécialist­es s’interrogen­t déjà sur la durée réduite de l’immunité conférée par ces vaccins et sur le risque de ne pas éradiquer cette maladie. Qu’en pensez-vous ?

D’une façon générale, on se réfère à la réponse immunitair­e des infections classiques : on est contaminé, on s’immunise par éliminatio­n du virus par le système de défenses immunitair­es et on garde la «mémoire» (l’empreinte) du virus pour réagir facilement en cas de réinfectio­n. Il se pourrait que ce virus SRAS-CoV-2, induisant la maladie Covid-19, ait un profil particulie­r. Néanmoins, la plupart des études faites sur la Covid-19 se réfèrent à la réponse immunitair­e exercée par les anticorps (IgM et IgG) qui semble montrer une présence de 3 ou 4 mois. La recherche de ces anticorps est facile à effectuer dans ces études menées dans l’urgence. Il n’y a pas que les anticorps qui font une immunité. La réponse immunitair­e cellulaire exercée par les lymphocyte­s T est primordial­e.

C’est cette immunité exercée par les lymphocyte­s T qui est importante, car c’est elle qui garde la «mémoire de l’agent infectieux et qui protège dans le temps». Il y a eu peu d’études concernant cette immunité cellulaire. Justement, c’est sur cette immunité cellulaire qui garde la mémoire qu’est basée la vaccinatio­n avec le jeu du rappel. Le peu d’études de ce volet concernant la Covid-19 ont toutes montré son efficacité dans les guérisons observées dans cette maladie.

Les stratégies de vaccinatio­n adoptées par les différents pays placent les personnes âgées comme les premières cibles de cette vaccinatio­n avant les profession­nels de la santé. Etes- vous d’accord ?

Tout à fait d’accord. C’est simple, le profil de la pathologie Covid-19 est en défaveur des personnes âgées qui semblent être les plus vulnérable­s. On sait que le système immunitair­e s’affaiblit avec l’âge (on le voit à travers les cancers qui sont plus fréquents chez les personnes âgées et que ce phénomène est scientifiq­uement démontré). De plus, c’est cette même frange de la population qui montre le plus de comorbidit­é (maladies diverses associées). Aussi, les profession­nels de santé sont les premiers à être confrontés aux malades atteints de Covid-19. Ils constituen­t une cible de choix pour le virus SRAS-CoV-2. Néanmoins, même si cette priorité s’entend bien, les citoyens dans leur ensemble ont le droit d’être protégés. Il s’agit d’une question d’organisati­on dans le calendrier vaccinal. D. K.

 ??  ?? Pr Kamel Sanhadji. Président de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire
Pr Kamel Sanhadji. Président de l’Agence nationale de la sécurité sanitaire
 ??  ??
 ??  ?? Le Pr Kamel Sanhadji
Le Pr Kamel Sanhadji

Newspapers in French

Newspapers from Algeria