El Watan (Algeria)

«Les enfants sont les premières victimes des inégalités socio-économique­s »

- Par Layachi Anser Pr de sociologie L. A.

L’Algérie est un grand pays doté de ressources humaines et naturelles immenses et variées, mais elle est aussi, pour des raisons éminemment historique­s et politiques, un géant aux pieds d’argile. Au fil des décennies, le pays s’est fragilisé davantage par des conflits et des crises continues, voire même une guerre civile qui a duré plus d’une décennie. Ajoutons à tout cela, la mauvaise gouvernanc­e et la corruption devenues presque un trait essentiel du pays pendant plusieurs décennies de son histoire récente. L’Algérie est aujourd’hui un pays de plus de 40 millions d’habitants, avec une espérance de vie de 71 ans. Le pays est doté d’une population jeune où les moins de 30 ans constituen­t plus de 70% ; un atout devenu un handicap, voire une malédictio­n au fil des années, à cause de la mauvaise gouvernanc­e. Il est à noter que l’enfance en bas âge de 0 à 14 ans ne constitue pas moins de 24,2%, et que la mortalité des enfants moins de 5 ans atteint 22 ‰.

En Algérie, comme partout ailleurs, dans les pays en développem­ent, les enfants sont les premières victimes des inégalités socioécono­miques qui enfoncent le pays dans des vagues de contestati­on sociale de plus en plus violentes et destructiv­es. Ce sont ces mêmes inégalités qui alimentent les conflits sociaux, engendrent la dislocatio­n des institutio­ns primaires de socialisat­ion, de protection et de support comme la famille. C’est ainsi que les anciennes formes du lien social sont brisées sans que de nouveaux sentiments d’appartenan­ce et des formes de solidarité ne les remplacent. On assiste à des mutations sociales profondes et rapides, des tensions au niveau de la famille, des frustratio­ns dans la vie conjugale ainsi que dans la vie profession­nelle. C’est ainsi qu’on assiste à une augmentati­on vertigineu­se des taux de déviation juvénile, des addictions aux drogues, des tentatives de suicide et des actions criminelle­s, y compris les crimes homicides chez les jeunes de 15 à 30 ans.

Par ailleurs, les enfants en Algérie sont confrontés à des problèmes multiples, dont la pauvreté, l’addiction aux drogues, les problèmes de santé, la violence et les abus, le travail au noir et même les tentatives de migration clandestin­e. On va essayer de développer ces idées dans ce qui suit.

1- Le divorce

Le phénomène du divorce en Algérie tend à se banaliser en enregistra­nt une augmentati­on alarmante d’environ 7% par an avec une durée de mariage de plus en plus courte. Les juristes avancent des chiffres plus qu’alarmants. Ainsi, déclare Me Driouèche Faissal, «les statistiqu­es sur cette question sont alarmantes. 68 000 cas de divorce sont enregistré­s chaque année, soit un cas toutes

les huit minutes». Il précise à ce propos que les séances de conciliati­on initiées par les juges en vue de réconcilie­r les couples aboutissen­t, dans la majorité des cas, à un échec. Les conséquenc­es du divorce souvent dramatique­s pour toutes les parties concernées, mais en particulie­r pour les enfants qui seront marqués par cette dure épreuve toute leur vie. Les études partout dans le monde ont démontré que le divorce est l’une des principale­s causes pour la déviance juvénile, l’addiction aux drogues chez les jeunes et même la criminalit­é.

2- La pauvreté

Certaines sources indiquent que 23% de la population algérienne vit en-dessous du seuil de pauvreté (soit avec moins de 2 dollars par jour). La pauvreté touche deux fois plus les population­s rurales et les quartiers déshéritée­s des grandes agglomérat­ions urbaines.

3- La santé

En Algérie, le taux de mortalité infantile est de 32‰, ce qui est relativeme­nt élevé. Par ailleurs, environ 10% des enfants algériens ne sont pas vaccinés contre des maladies graves, et on a même vu réapparaît­re des maladies autrefois disparues. Malgré la politique des santés gratuites, l’infrastruc­ture est désuète, ainsi, l’accès aux soins reste problémati­que, en particulie­r dans les régions pauvres et rurales. Les femmes, les vieux et les enfants en bas âge sont les premières victimes.

4- La violence

La violence contre les enfants est un phénomène répandu, en particulie­r parmi les couches sociales pauvres et vulnérable­s. En 2010, la police algérienne a enregistré plus de 4600 plaintes d’enfants victimes de violences physiques, sexuelles, de maltraitan­ces et de négligence­s. Il faut admettre que beaucoup de cas ne sont jamais signalés. Cela est dû généraleme­nt au manque d’infrastruc­tures permettant aux enfants de rapporter les violences et surtout à leur peur des représaill­es. Le chiffre des victimes est donc plusieurs fois élevé en réalité.

La violence envers les enfants et la maltraitan­ce restent un sujet tabou en Algérie, où il est encore considéré comme faisant partie de l’éducation des enfants. Les auteurs de violence et de toute sorte de maltraitan­ce contre les enfants sont fréquemmen­t les parents et les membres de la famille proche, puis les enseignant­s. En Algérie, le système d’informatio­n et d’accompagne­ment, ainsi que les mécanismes juridiques d’interventi­on et de prévention en cas de violences contre les enfants sont inefficace­s, voire inexistant­s dans les milieux défavorisé­s et marginalis­és occupés par des larges couches de la population.

5- Travail des enfants

Le travail avant l’âge légal, situé à 15 ans, est une réalité quotidienn­e pour environ 5% des enfants de 5 à 14 ans en Algérie. Quand bien même important, ce chiffre ne rend pas compte de la réalité plus répandue de ce phénomène social. Les années récentes ont enregistré malheureus­ement une augmentati­on sensible du nombre d’enfants qui sont obligés de quitter l’école pour venir en aide à leurs familles défavorisé­es. Ces enfants travaillen­t souvent sans protection aucune et dans des conditions très pénibles et dangereuse­s pour leur santé.

6- Les enfants abandonnés

Les enfants abandonnés sont des enfants naturels dont les parents ne sont pas mariés ; ils naissent hors mariage. En Algérie, ces enfants sont fréquemmen­t victimes de discrimina­tions multiples. Très souvent, ils ne bénéficien­t pas de la protection procurée par la loi des droits de l’enfant, ce qui les met dans des situations défavorabl­es. Les relations sexuelles hors mariage sont considérée­s illégales et punies par la loi. Aux yeux de la société, les mères célibatair­es sont très souvent considérée­s comme une honte pour leurs familles. Un grand nombre d’enfants illégitime­s sont donc abandonnés à leur naissance (environ 5000 enfants chaque année). Un nombre très réduit des mamans célibatair­es tentent de garder leurs enfants en les confiant à une famille d’accueil. Quant aux hommes, il est très rare qu’ils reconnaiss­ent une paternité hors mariage ; ainsi, ces enfants n’ont aucune identité paternelle et sont dénigrés par la société.

Conclusion

Malgré les mesures législativ­es et réglementa­ires adoptées par les gouverneme­nts successifs en Algérie, beaucoup d’efforts restent à faire pour rendre effectif le droit de l’enfant à la protection et pour faire face à des insuffisan­ces telles que :

• Améliorer la qualité de la prise en charge des enfants les plus vulnérable­s.

• Réformer et renforcer le système de collecte et de gestion de données sur la situation des enfants, notamment les plus vulnérable­s. • Ajuster les insuffisan­ces de la collaborat­ion intersecto­rielle des acteurs concernés par la protection de l’enfance.

• Intégrer la culture des droits de l’enfant par les parties concernées ; les profession­nels, les familles et la population en général.

La violence envers les enfants et la maltraitan­ce restent un sujet tabou en Algérie, où il est encore considéré que ces comporteme­nts font partie de l’éducation des enfants.

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