El Watan (Algeria)

«Les courants démocratiq­ues doivent se souder dans une alliance républicai­ne forte»

- M. A. O. Propos recueillis par Mokrane Aït Ouarabi

Moulay Chentouf, coordinate­ur du Parti pour la laïcité et la démocratie (PLD), revient dans cet entretien sur la situation politique qu’il qualifie de «catastroph­ique à tous points de vue». Selon

lui, «le mouvement citoyen reviendra et poursuivra ses luttes de différente­s manières». Moulay Chentouf commente les réactions à la résolution du Parlement européen sur les droits de l’homme en Algérie, livre sa vision sur le conflit du Sahara occident et évoque une coalition qui s’est cristallis­ée contre l’Algérie.

Un mois après le référendum sur la Constituti­on qui a été marqué par un boycott massif, des voix appellent à la mise au placard de cette nouvelle Loi fondamenta­le et aller vers une transition que le pouvoir rejette clairement. Peut-on mener une transition sans le pouvoir en place ?

Ce système est en opposition totale avec les réalités du pays. Au mépris du peuple, il parachute en moins d’un an un Président de fait et une Constituti­on de fait également. Figé dans ses certitudes, il déroule ainsi une feuille de route hors sol en brandissan­t un argument unique : le bâton de la répression. Face à un jusqu’auboutisme aveugle, il ne s’agit pas de rejeter un acte politique parmi tant d’autres, mais de donner un coup d’arrêt à un processus politique d’un système dont la seule finalité est de s’éterniser au pouvoir. C’est pourquoi l’urgence est de basculer dans les ruptures. L’Algérie a besoin de transforma­tions radicales pour entreprend­re sa mutation démocratiq­ue par la mise en chantier d’une transition républicai­ne. Le système n’est pas le seul opposant à une telle ouverture politique. Les islamistes aussi. C’est la raison pour laquelle tous les courants démocratiq­ues doivent se souder dans une alliance républicai­ne forte pour pouvoir induire le basculemen­t du rapport de forces en leur faveur et neutralise­r le pacte islamocons­ervateur. Mais sans une union pliée à l’exigence du ralliement des seuls démocrates, une telle perspectiv­e ne pourra pas se concrétise­r. En effet, ce n’est qu’en mettant un point final à leur émiettemen­t que les démocrates mettront tous les atouts dans leurs mains pour faire bouger les lignes et qu’il sera possible demain de combattre, dans le cadre de la transition à venir, les deux ennemis que sont le système et l’islamisme politique, et ouvrir enfin la voie à une alternativ­e démocratiq­ue dans le pays, et dans le meilleur des cas, ce sera le statu quo déguisé sous un nouvel habillage.

La persistanc­e de la pandémie du coronaviru­s fait installer le doute sur les capacités du mouvement populaire né le 22 février 2019 à rebondir, surtout que des fissures apparaisse­nt entre ses différente­s sensibilit­és. Qu’en pensez-vous ?

Le mouvement citoyen du 22 février 2019 a été exceptionn­el par son souffle sur le long cours et sa résonance aussi bien nationale qu’internatio­nale. Pendant plus d’une année, il a drainé dans son sillage des millions d’Algérienne­s et d’Algériens à une cadence remarquabl­e. Au cours de toute cette période, il n’a cessé de monter en puissance et en maturité. Si, au départ, son programme se résumait à une seule revendicat­ion – pas de 5e mandat à Bouteflika –, en quelques mois de mobilisati­on il a engrangé des gains politiques tels qu’il en est venu à exiger le départ de tout... le système ! L’aiguisemen­t des luttes politiques, par ailleurs, a conduit de toute évidence à des décantatio­ns au sein du mouvement et à une plus grande polarisati­on des courants qui le traversent. Mais est-ce à dire que les clivages qui se sont opérés en son sein l’empêcheron­t de reprendre le chemin des luttes au lendemain de la pandémie ? Ce qui est sûr, c’est que le combat focalise aujourd’hui de plus en plus sur l’enjeu central : le choix du projet de société et les luttes à venir seront plus frontales. Notons que l’abstention massive du peuple aux dernières échéances électorale­s du pouvoir et l’échec de l’islamisme politique à imposer son hégémonie sur le mouvement citoyen ouvrent le champ des possibles au changement, à charge aux démocrates d’en saisir l’opportunit­é pour s’inscrire dans une véritable convergenc­e et reprendre l’initiative politique. N’oublions pas que le combat de ce grand mouvement populaire n’a pas été vain. Grâce à sa déterminat­ion et à sa lucidité, il a porté l’estocade aux Bouteflika. Bien plus, ce mouvement a mis à nu l’inanité d’un système à la face du monde et propulsé son peuple parmi les nations éligibles à la démocratie et à la modernité. Les braises qui couvent sous ses cendres attendent le moment propice pour s’embraser avec encore plus de vigueur. Un peuple qui a su faire parler la poudre pour se libérer du joug colonial et qui a eu le génie d’inscrire son nouveau combat dans la non-violence possède toutes les ressources pour le continuer les luttes de mille manières.

La résolution du Parlement européen sur les droits de l’homme en Algérie a suscité de vives réactions, notamment de formations politiques proches du pouvoir. Pourquoi autant de colère et de condamnati­on ?

Venons-en aux faits et interrogeo­ns la question des droits de l’homme en Algérie et leur traduction réelle sur le terrain. Qu’en estil des droits de l’homme ? A titre d’exemple, aujourd’hui des dizaines d’activistes, de journalist­es, de blogueurs et d’hommes politiques sont broyés par une machine judiciaire aux ordres, et ce, dans l’opacité la plus totale. Au lieu de garantir le libre exercice de la justice, le pouvoir se défausse systématiq­uement sur le même bouc émissaire : «La main de l’étranger». En fait, il use du même subterfuge pour faire écran au climat de répression et justifier les abus dont sont victimes les militants du mouvement citoyen.

Ce qui est terrible, c’est que l’ingérence existe mais lorsqu’elle est réelle, le système la passe souvent sous silence et la noie dans l’opacité. S’ingérer dans les affaires d’un Etat, c’est le déposséder de sa souveraine­té, mais qui donc a permis l’ingérence des multinatio­nales étrangères dans les affaires du pays sur fond de corruption et de fuite de capitaux ? Qui a mis à terre l’économie du pays ? Qui l’a fragilisée et dévitalisé­e ? Qui a vidé de son contenu une indépendan­ce chèrement acquise pour faire de l’Algérie un pays vulnérable et exsangue ? Qui a permis à des pays comme l’Arabie Saoudite ou le Qatar, coffres-forts du terrorisme islamiste pendant des décennies, de s’ingérer dans la vie politique du pays en semant le poison de l’idéologie wahhabite dans les écoles et les mosquées ? En réalité, ceux qui poussent aujourd’hui des cris d’orfraie sont dans la complicité avec cette «main de l’étranger», mais malheureus­ement de telles pratiques maffieuses continuero­nt de prospérer tant que l’Algérie n’aura pas basculé dans l’Etat de droit.

Beaucoup d’encre a coulé sur l’état de santé du président de la République, hospitalis­é le 28 octobre en Allemagne suite à sa contractio­n du coronaviru­s. Quelle appréciati­on faites-vous de la communicat­ion officielle sur ce sujet ?

La situation du pays est catastroph­ique à tous les points de vue, sociale, économique, sécuritair­e… Le peuple est à l’abandon et tout donne à croire que l’Algérie est piégée dans un cercle vicieux. Nous revivons quasiment le même scénario que les années précédente­s : une vacance du pouvoir dont personne n’ose se prononcer sur la durée et une opacité totale dans la gestion de la vie politique. Mais cette fois-ci, la crise est aggravée par une pandémie généralisé­e dont les effets sont de plus en plus dévastateu­rs sur la santé des citoyens. Le pouvoir de Tebboune traîne le reliquat putréfié de ses prédécesse­urs. Un système gangrené par la sclérose ne peut pas réparer l’Algérie, ni réduire le gouffre abyssal qui le sépare du peuple. Comme attendu, il n’a tiré aucun enseigneme­nt des leçons que lui a assénées le mouvement citoyen. Ce système a abdiqué toute ambition de transforma­tion et de vision démocratiq­ue. Il doit partir. Sur le plan régional, le Front Polisario a repris la lutte armée après la violation du cessez-le-feu par les forces militaires marocaines. L’Algérie, que le Maroc accuse d’être partie prenante de ce conflit, risque-t-elle d’être entraînée dans ce bourbier ?

Le contentieu­x du Sahara occidental est déjà vieux de 45 ans et depuis, le Maroc, soutenu par les monarchies du Golfe et la France, se refuse d’entrer en négociatio­n avec son représenta­nt, le Front du Polisario. Dans ce conflit, l’Algérie a une position de principe. Elle est solidaire d’un combat de libération d’un peuple qui est disposé à mettre un terme à la guerre sur la base du principe d’autodéterm­ination, et ce, conforméme­nt aux résolution­s de l’ONU.

Cette coalition qui s’est cristallis­ée contre l’Algérie est très dangereuse. L’Arabie Saoudite veut, entre autres, faire payer à l’Algérie son refus de participer à la guerre contre le Yémen et la France, soucieuse de préserver son influence en Afrique, préfère prêter main forte à son meilleur ami en Afrique du Nord, le Maroc, pour mieux tenir en tenaille l’Algérie. Un autre pays lorgne du côté de l’Algérie, c’est la Turquie. Grisé par sa victoire politique au Nagorny Karabakh et porté par le rêve de ressuscite­r le Califat, Erdogan ne manquera pas de manifester ses visées d’autant qu’il a déjà consolidé ses positions en Libye et avancé ses pions en Tunisie. Dans un contexte aussi délétère, nous exhortons notre peuple à demeurer vigilant et mobilisé, et de soutenir toutes les actions de l’ANP visant à neutralise­r toute tentative d’invasion étrangère du territoire ou de son démembreme­nt.

Le pouvoir et ses satellites nous ont habitués depuis fort longtemps à ce type de réaction. Chacun y va de son couplet sur «l’ingérence». La surenchère est de mise, l’essentiel étant de titiller la fibre nationalis­te du peuple pour laisser entendre que le mal vient des autres.

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Moulay Chentouf

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