Eniem, l’arbre qui cache la forêt
L’Etat propriétaire est intervenu à chaque fois que nécessaire pour mettre de l’argent frais dans ces entités d’un secteur qui a fini par engloutir des sommes colossales de l’argent public.
Le cas de l’Eniem est à méditer à plus d’un titre. Car, en réalité, il jette la lumière sur presque toute la situation d’un secteur public économique qui bat de l’aile depuis de nombreuses années. Combien de fois l’Etat est-il venu à la rescousse de ces entités publiques en injectant des fonds afin de les maintenir en activité et sauver l’emploi. L’entreprise de l’électroménager national de Tizi Ouzou qui a fait parler d’elle cette semaine en raison de ses difficultés à lever des fonds auprès de sa banque, étatique de surcroît, lève le voile, aujourd’hui, sur les limites d’une stratégie qui n’a fait que reporter l’échéance. Car l’Etat propriétaire est intervenu à chaque que nécessaire pour mettre de l’argent frais dans ces entités d’un secteur qui a fini par engloutir des sommes colossales de l’argent public. Le résultat – on le connaît – a rarement suivi cet effort financier de l’Etat. Mais, en même temps, quand on regarde de plus près, cet effort, aussi important soit-il au regard des moyens plus ou moins limités du pays et d’autres priorités qui s’annoncent à l’occasion, ne couvre en réalité, le plus souvent, que la partie liée au crédit d’exploitation. Rarement dans l’investissement susceptible de moderniser l’outil de production et l’innovation. C’est-à-dire que les entreprises auxquelles on tend le bras pour les secourir d’une mort certaine arrivent à peine à maintenir la tête hors de l’eau du fait simplement qu’il s’agit là d’opérations ponctuelles qui permettent d’aider à éviter la paralysie. Autrement dit, il n’y a jamais eu au sein des gouvernements successifs une réelle stratégie industrielle, une vision tout simplement à l’effet de transformer ce potentiel, si potentiel il y a, en un vrai appareil de production capable de relever le défi de la concurrence.
UN AVENIR QUI SE RÉTRÉCIT COMME PEAU DE CHAGRIN
Combien de fois a-t-on entendu des ministres discourir sur l’avenir d’un secteur qui se rétrécit comme peau de chagrin et toujours budgétivore ? S’il est vrai que les pouvoirs publics ne veulent pas d’un secteur public économique brinquebalant et qui coûte cher à l’Etat, il n’en demeure pas moins qu’ils ne savent pas quoi en faire à l’avenir. D’abord les sempiternelles reconfigurations autour des Sociétés de gestion de participation (SGP) et autres formes holdings ou groupes n’ont pas donné la preuve de leur efficacité sur le terrain, si ce n’est que cela a permis l’hypertrophie d’un secteur déjà lourdement impacté par tant de pratiques bureaucratiques. Ensuite, qu’en est-il des multiples programmes de privatisation qui ont vite tourné court tant par rapport à l’absence d’une stratégie claire et consensuelle que par rapport aux doutes et suspicions que certaines privatisations ont suscités au sein de l’opinion ? Menées au milieu des années 2000, certaines privatisations ont laissé voir des stratégies clientélistes des dirigeants politiques et le silence le plus souvent inexpliqué du partenaire social. Aujourd’hui, la chronique judiciaire fait étalage publiquement de certains scandales liés à ces transactions douteuses. Ainsi, les mauvaises performances du secteur public économique ne peuvent, raisonnablement, dispenser d’y voir l’incurie de nos responsables politiques aussi, eux qui dictent la politique à suivre, nomment leurs représentants au sein des organes de surveillance ou de contrôle au sein de ces entités, à commencer par les premiers gestionnaires. Les politiques qui gèrent les capitaux marchands de l’Etat doivent se sentir tout autant concernés par le succès ou l’échec qui en résultent. Il y a bien des raisons de croire que l’activité du secteur public gagnerait à être maintenue non pas dans sa forme d’existence actuelle car contre-performante et coûteuse pour l’Etat, mais dans une perspective de renouveau et de vision qui permettraient à la fois de sauver ce qui peut l’être. L’emploi étant bien entendu un point névralgique. Cela peut donner des sueurs froides au gouvernement. Mais dans ce cas, faut-il encore que les pouvoirs publics puissent avoir une stratégie franche et hardie qui consiste à se donner les moyens d’avoir un secteur public plus ou moins costaud prêt à mener la concurrence, ou alors à sélectionner des filiales qui revêtent un aspect «stratégique» quant à leur utilité. D’autant que le secteur privé algérien est passé par une période de discrédit qui ne laisse guère qu’une très étroite marge de manoeuvre au gouvernement. Quant au reste, l’exemple de l’Eniem peut être édifiant à plus d’un titre. Le comportement des banques publiques peut donc réserver des surprises à l’avenir. Notamment à cause de la situation financière du pays qui vire vers le rouge. Les déficits cumulés des entreprises publiques, surtout en cette période de pandémie, risquent de décourager ces institutions financières, ou même le gouvernement carrément qui voit le déficit du Trésor se creuser à vue d’oeil. Le soutien financier de l’Etat devient improbable. Mais a-t-on vraiment le choix présentement ?