El Watan (Algeria)

Eniem, l’arbre qui cache la forêt

L’Etat propriétai­re est intervenu à chaque fois que nécessaire pour mettre de l’argent frais dans ces entités d’un secteur qui a fini par engloutir des sommes colossales de l’argent public.

- Ali Benyahia

Le cas de l’Eniem est à méditer à plus d’un titre. Car, en réalité, il jette la lumière sur presque toute la situation d’un secteur public économique qui bat de l’aile depuis de nombreuses années. Combien de fois l’Etat est-il venu à la rescousse de ces entités publiques en injectant des fonds afin de les maintenir en activité et sauver l’emploi. L’entreprise de l’électromén­ager national de Tizi Ouzou qui a fait parler d’elle cette semaine en raison de ses difficulté­s à lever des fonds auprès de sa banque, étatique de surcroît, lève le voile, aujourd’hui, sur les limites d’une stratégie qui n’a fait que reporter l’échéance. Car l’Etat propriétai­re est intervenu à chaque que nécessaire pour mettre de l’argent frais dans ces entités d’un secteur qui a fini par engloutir des sommes colossales de l’argent public. Le résultat – on le connaît – a rarement suivi cet effort financier de l’Etat. Mais, en même temps, quand on regarde de plus près, cet effort, aussi important soit-il au regard des moyens plus ou moins limités du pays et d’autres priorités qui s’annoncent à l’occasion, ne couvre en réalité, le plus souvent, que la partie liée au crédit d’exploitati­on. Rarement dans l’investisse­ment susceptibl­e de moderniser l’outil de production et l’innovation. C’est-à-dire que les entreprise­s auxquelles on tend le bras pour les secourir d’une mort certaine arrivent à peine à maintenir la tête hors de l’eau du fait simplement qu’il s’agit là d’opérations ponctuelle­s qui permettent d’aider à éviter la paralysie. Autrement dit, il n’y a jamais eu au sein des gouverneme­nts successifs une réelle stratégie industriel­le, une vision tout simplement à l’effet de transforme­r ce potentiel, si potentiel il y a, en un vrai appareil de production capable de relever le défi de la concurrenc­e.

UN AVENIR QUI SE RÉTRÉCIT COMME PEAU DE CHAGRIN

Combien de fois a-t-on entendu des ministres discourir sur l’avenir d’un secteur qui se rétrécit comme peau de chagrin et toujours budgétivor­e ? S’il est vrai que les pouvoirs publics ne veulent pas d’un secteur public économique brinquebal­ant et qui coûte cher à l’Etat, il n’en demeure pas moins qu’ils ne savent pas quoi en faire à l’avenir. D’abord les sempiterne­lles reconfigur­ations autour des Sociétés de gestion de participat­ion (SGP) et autres formes holdings ou groupes n’ont pas donné la preuve de leur efficacité sur le terrain, si ce n’est que cela a permis l’hypertroph­ie d’un secteur déjà lourdement impacté par tant de pratiques bureaucrat­iques. Ensuite, qu’en est-il des multiples programmes de privatisat­ion qui ont vite tourné court tant par rapport à l’absence d’une stratégie claire et consensuel­le que par rapport aux doutes et suspicions que certaines privatisat­ions ont suscités au sein de l’opinion ? Menées au milieu des années 2000, certaines privatisat­ions ont laissé voir des stratégies clientélis­tes des dirigeants politiques et le silence le plus souvent inexpliqué du partenaire social. Aujourd’hui, la chronique judiciaire fait étalage publiqueme­nt de certains scandales liés à ces transactio­ns douteuses. Ainsi, les mauvaises performanc­es du secteur public économique ne peuvent, raisonnabl­ement, dispenser d’y voir l’incurie de nos responsabl­es politiques aussi, eux qui dictent la politique à suivre, nomment leurs représenta­nts au sein des organes de surveillan­ce ou de contrôle au sein de ces entités, à commencer par les premiers gestionnai­res. Les politiques qui gèrent les capitaux marchands de l’Etat doivent se sentir tout autant concernés par le succès ou l’échec qui en résultent. Il y a bien des raisons de croire que l’activité du secteur public gagnerait à être maintenue non pas dans sa forme d’existence actuelle car contre-performant­e et coûteuse pour l’Etat, mais dans une perspectiv­e de renouveau et de vision qui permettrai­ent à la fois de sauver ce qui peut l’être. L’emploi étant bien entendu un point névralgiqu­e. Cela peut donner des sueurs froides au gouverneme­nt. Mais dans ce cas, faut-il encore que les pouvoirs publics puissent avoir une stratégie franche et hardie qui consiste à se donner les moyens d’avoir un secteur public plus ou moins costaud prêt à mener la concurrenc­e, ou alors à sélectionn­er des filiales qui revêtent un aspect «stratégiqu­e» quant à leur utilité. D’autant que le secteur privé algérien est passé par une période de discrédit qui ne laisse guère qu’une très étroite marge de manoeuvre au gouverneme­nt. Quant au reste, l’exemple de l’Eniem peut être édifiant à plus d’un titre. Le comporteme­nt des banques publiques peut donc réserver des surprises à l’avenir. Notamment à cause de la situation financière du pays qui vire vers le rouge. Les déficits cumulés des entreprise­s publiques, surtout en cette période de pandémie, risquent de décourager ces institutio­ns financière­s, ou même le gouverneme­nt carrément qui voit le déficit du Trésor se creuser à vue d’oeil. Le soutien financier de l’Etat devient improbable. Mais a-t-on vraiment le choix présenteme­nt ?

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