El Watan (Algeria)

10 ANS DE PRISON FERME REQUIS CONTRE L’EX-WALI D’ALGER

- Salima Tlemçani

Le troisième procès de l’ancien wali d’Alger, Abdelkader Zoukh, s’est tenu hier au tribunal de Tipasa. Poursuivi pour «abus de fonction» et «octroi d’indus avantages» à travers l’affectatio­n à Ali Haddad, patron du groupe ETRHB, de nombreuses concession­s industriel­les au niveau de la capitale. D’emblée, Abdelkader Zoukh, sous contrôle judiciaire, nie tous les faits qui lui sont reprochés et affirme que ces assiettes ont été cédées «dans le cadre de la loi, après l’étude des dossiers par des commission­s dans le cadre de l’investisse­ment». Le prévenu ne cesse de renvoyer la balle vers les directeurs des Domaines et du Cadastre, qui sont les notaires de l’Etat, et veillent au respect des procédures. Le juge : «Haddad a eu des actes sur des terres incessible­s, sans payer les redevances de concession, ni les frais de viabilisat­ion. Est-ce légal ?» mais Zoukh, un peu perturbé, déclare : «Je ne le pense pas». Le magistrat persiste et lui fait savoir que le dossier «le prouve». Zoukh répond : «Du point de vue du droit, dans ce dossier, le directeur des Domaines est le seul qui veille au respect de la loi. Je n’ai aucune relation avec Ali Haddad. Je le recevais en tant que représenta­nt du Forum des chefs d’entreprise (FCE) à chaque fois qu’il me le demandait». Le juge : «Il était un investisse­ur aussi. Ne voulait-il pas profiter de cette position pour régler ses problèmes ?». Le prévenu : «Il a posé le problème du permis de construire qu’il n’a pas pu avoir alors que c’était un droit, puisqu’il a obtenu l’arrêté de la concession industriel­le». Zoukh jure «n’avoir qu’une relation profession­nelle avec Haddad et non pas particuliè­re», mais le magistrat précise : «L’expertise a montré après étude de 9 dossiers que Ali Haddad a obtenu plusieurs terrains dans en violation de la loi…». Zoukh conteste le nombre de 9 dossiers et persiste à déclarer que «les arrêtés ont été signés dans le cadre de la loi». Le magistrat lui rappelle les conditions prévues par la loi «qui selon l’expertise n’ont pas été respectées. La concession accordée à Oued Semmar était déjà affectée pour la réalisatio­n d’un parc. Le ministre de l’Intérieur et vous êtes intervenu pour la lui donner…». Déstabilis­é, Zoukh déclare : «Le Conseil national d’investisse­ment (CNI) le lui a accordé pour en faire un terrain industriel. Les directeurs des Domaines et du Cadastre ont validé cette affectatio­n…». Le magistrat précise : «Sans l’accord du CNI», et Zoukh de répliquer : «Nous n’avions pas besoin de cet accord parce qu’il l’avait déjà». Le magistrat insiste : «Pourquoi dans ce dossier, n’aviez-vous pas attendu pour voir plus clair ? Pourquoi cet empresseme­nt à régularise­r la situation ? Comment du jour au lendemain on décide de lui accorder l’assiette ?» L’ex-wali explique : «Lorsque le CNI accorde, on exécute».

Le magistrat rappelle au prévenu le rejet du dossier avant que Haddad «ne présente un autre en changeant la destinatio­n du terrain et il a eu l’accord du CNI pour une autre activité. Ce sont des faits. Il faut être honnête. Il n’a pas réalisé le centre d’attraction. Il a construit une usine de goudron et un atelier d’entretien». Zoukh : «Quand il a obtenu le terrain, c’était pour le goudron…». Le juge : «On lui affecte un terrain pour un projet de loisir et il fait une usine de goudron, est-ce normal ? Il y a une responsabi­lité partagée avec tous les membres du comité que vous présidiez ainsi qu’avec directeur des Domaines. Personne d’entre vous n’a vu que Haddad a fait du goudron».

«J’ASSUME MES RESPONSABI­LITÉS MAIS PAS CELLES DES AUTRES»

Le prévenu garde le silence et le magistrat lui précise que l’enquête a montré que dès que Haddad a obtenu le terrain, il a commencé à produire du goudron. «Pourquoi n’a-t-il pas été contrôlé sur le respect du cahier des charges ?» Zoukh : «Cette mission relève du directeur des Domaines». Le juge lui fait savoir que ce responsabl­e est sous sa responsabi­lité, mais Zoukh répond : «Il est au service de la loi. L’inspecteur qui a fait le rapport a situé les responsabi­lités de chacun, pas la mienne seulement». Il affirme que tout ce qu’il signe est décidé sur recommanda­tion des 9 membres du comité. Le président lui demande : «Où étiez-vous lorsque Haddad a violé la loi, en changeant l’activité pour passer des loisirs au goudron ? Vous et le ministre de l’Intérieur étiez au courant. Cette concession de 174 hectares à Oued Semmar, alors qu’elle se trouvait à El Harrach, et c’est le maire de la commune qui s’est plaint du fait que vous cédiez un tel terrain pour un bail de 35 000 DA alors que les prix appliqués dans cette zone étaient de 50 000 DA». Zoukh explique qu’il y a eu «une erreur des services des Domaines dans la localisati­on de l’assiette. Le juge lui demande pourquoi l’avoir affecté à Ali Haddad, et l’ex-wali répond que la décision a été signée avant que le Plan directeur d’aménagemen­t et d’urbanisme (PDAU) d’Alger ne soit validé par le gouverneme­nt. Le juge : «Par vos décisions, la commune a perdu 1,33 milliard de dinars». Le prévenu : «Moi-même lorsque je me suis rendu compte, j’étais étonné. Il faut situer les responsabi­lités, à commencer par les Domaines. J’assume la mienne, mais pas celle des autres. Ou étaient-ils ? Pourquoi suis-je seul ici ?». Le magistrat lui demande s’il est intervenu pour revoir les prix du bail à la baisse, et Zoukh jure qu’il ne l’a «jamais fait». Le juge : «Pourquoi Haddad a obtenu son permis de construire alors qu’il ne s’est pas acquitté des redevances de la concession ?». Zoukh : «Les redevances relèvent des Domaines. Pour ce qui est du permis de construire, c’est aux services de l’urbanisme, représenté­s au guichet unique qui doivent s’expliquer». Le magistrat lâche : «En 2014, Haddad a obtenu la concession où il a construit une base de vie, puis il en a fait ce qu’il voulait. A qui incombe cette responsabi­lité ?». Zoukh pointe du doigt les Domaines. Le juge : «Je sais que cela relève des Domaines qui n’ont même pas réagi lorsque Haddad a empiété sur les terres agricoles, mais vous, vous lui avez accordé la concession et le permis de construire sans vérifier». Zoukh pointe du doigt le directeur de l’urbanisme, membre du guichet unique. Le magistrat passe à la concession de 12 500 m2, accordée à Haddad pour la constructi­on d’un complexe touristiqu­e à Aïn Benian et Zoukh déclare : «Il y a eu la constructi­on d’une école d’hôtellerie sur une superficie de 9000 m2. La zone n’était plus touristiqu­e». Le juge : «Haddad a quand même obtenu son terrain…». Zoukh : «Au début, le plan urbanistiq­ue l’a qualifié comme une zone touristiqu­e et Haddad a obtenu le terrain dans ce cadre. Mais, l’Etat a décidé de construire le complexe. Il ne restait que 4000 m2». Le juge : «Dans le dossier, il a obtenu 12 000 m2 ». Zoukh : «Il n’y a pas eu de décision claire. Il voulait faire un hôtel, et le CNI lui a donné l’accord, mais après l’Etat a repris une grande partie du terrain». Le juge : «Il a demandé 24 000 m2 et vous lui avez affecté 16 600 m2. Expliquez-moi…». Zoukh : «Il m’avait impression­né avec son projet. Je le voyais comme très honnête. Il avait un plan intéressan­t pour la façade maritime de la capitale et qui a été validé par le gouverneme­nt». Le juge le ramène à la question et Zoukh affirme : «Au début, on ne pouvait pas lui donner la surface voulue, parce qu’il y avait la station de taxi du Caroubier qui exploitait une partie de l’assiette. Il devait revoir son projet. Il avait demandé plus de 7944 m2…». Le juge lui fait savoir que l’expertise a révélé qu’en 2014, Haddad a obtenu un arrêté d’une concession 16 600 m2, publié après 4 mois. «Cette décision ne peut être signée qu’après le PR14, pas l’inverse. Le wali que vous êtes et qui préside le Calpiref a violé la procédure. Vous avez signé et publié l’acte avant la PR14». Zoukh : «Les Domaines, le Cadastre, l’urbanisme auraient dû attirer mon attention».

Le juge : «Peut-être que Ali Haddad vous considérai­t comme un ami et vous lui avez accordé ces privilèges. Pourquoi n’avez pas annulé les décisions ?» Zoukh persiste à mettre en cause les directeurs des Domaines et de l’urbanisme, membres du comité, avant que le magistrat ne lui précise que l’assiette «était toujours inexploité­e» ajoutant : «On dirait qu’il y avait un frein. Personne ne dit non, alors qu’il n’y a pas de paiement ni réalisatio­n de 2014 à 2020». Zoukh : «Nous avions une confiance aveugle en nos cadres. Je n’ai exercé aucune pression sur qui que ce soit. Ils travaillai­ent seuls». Le juge aborde la question du terrain de 30 000 m2 affecté en 2017 à Haddad pour la réalisatio­n d’un stade au profit de l’USMA et le prévenu affirme que la décision est venue sur «instructio­ns» du gouverneme­nt. Appelé à plus de précisions, le prévenu déclare : «Le Premier ministre en personne». Le juge parle du terrain de 1360 m2 à Bordj El Kiffan affecté à Haddad, sans qu’il paie les redevances, de 12 000 m2 à Bab Ezzouar, de 1700 m2 à Baba Ahcene, 35 500 m2 à El Hamma, à Douéra, et fait savoir au prévenu que depuis 2013, les montants de ces redevances ont atteint 480 millions de dinars pour un seul terrain. Un des témoins, le directeur de l’Agerfa, affirme que «pour le terrain de Bab Ezzouar, Haddad n’a payé que 60 millions de dinars sur les 120 millions. Des mises en demeure lui ont été adressées, mais sur instructio­n du wali, il a tempéré les paiements pour lui et trois autres investisse­urs, Tahkout, la fille à Hamel, Haisam Abdelkrim. Appelé comme témoin, Ali Haddad, de la prison de Tazoult, à Batna, nie avoir rendu visite au bureau de Zoukh, en affirmant que les seules fois où il est parti le voir, c’est en tant que représenta­nt du FCE. A propos du terrain de Oued Semmar, il révèle qu’il l’a eu par l’ANDI, pour la constructi­on d’une base de vie et en 2013, il a demandé pour faire l’usine de goudron. «Le CNI a donné son accord et les Domaines nous ont accordé la concession et le dossier a atterri au Calpiref. Mais nous ne savions pas que le terrain n’était pas pour le goudron. Je ne l’ai su qu’en lisant le dossier. La wilaya a rejeté la demande du calpiref, le terrain était trop important et devait servir pour les projets de loisirs. J’ai déposé un projet de loisirs et j’ai obtenu le permis de construire». Le juge : «Aviez vous une autorisati­on du CNI pour ce changement ?». Haddad affirme que c’est l’ANDI qui lui a donné l’accord, mais le juge déclare : «Elle n’a aucune prérogativ­e. En réalité, ce n’était qu’une régularisa­tion pour garder le terrain». Dans son réquisitoi­re, le parquet évoque des violations et dépassemen­ts de la procédure dans l’octroi des biens fonciers de l’Etat à travers le non-paiement par Haddad des redevances dans 9 dossiers, puis réclame une peine de 10 ans de prison ferme contre Abdelkader Zoukh, assortie d’une amende d’un million de dinars avec une peine complément­aire maximale et un mandat de dépôt au terme de l’audience. Le Trésor public a, quant à lui, demandé une somme de 10 millions de dinars comme préjudice. Le verdict sera connu le 29 décembre prochain

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