Des atteintes multiples aux libertés
«Quand on arrive à créer des collectifs d’avocats, c’est que des atteintes sont commises», affirme Me Salem Khatri, le bâtonnier de Béjaïa, qui dresse un tableau noir de la justice algérienne.
Le 9e Forum des droits de l’homme s’est tenu hier dans sa première version virtuelle imposée par les impératifs de la crise sanitaire. L’organisatrice, la Ligue algérienne de défense des droits humains (LADDH), a invité à intervenir, à partir de son siège et d’ailleurs, différents militants et intervenants sur la question des libertés que d’aucuns estiment en nette régression du fait de multiples violations. C’est ce qui ressort du rapport annuel de la LADDH, «un rapport exhaustif», selon le vice-président de la Ligue, Saïd Salhi, qui reprend les violations des droits des femmes, les libertés de manifestation, de réunion et d’association, d’information, d’expression et de presse, de culte et de conscience, les droits économiques, sociaux et culturels, les libertés syndicales, le droit à une justice indépendante et à un procès équitable… Le rapport est ponctué par la liste nominative de 95 détenus d’opinion recensés jusqu’au 4 décembre dernier à travers 33 wilayas. «Plusieurs militants sont victimes d’acharnement judiciaire et parfois policier», rappelle Saïd Salhi, qui évoque les cas de Karim Tabbou et
Brahim Laalami.
Hassina Oussedik, directrice d’Amnesty International section Algérie, estime que le «hirak» a permis qu’aujourd’hui «la notion de détenu d’opinion (soit) largement partagée par la société», précisant que Khaled Drareni en est un. La pandémie de la Covid-19 n’est pas sans effet sur la situation des droits humains. «Elle l’a fortement impactée de par le monde», estime Hassina Oussedik, en voulant pour exemple, entre autres, la mise en cause du droit à la santé, les restrictions fondamentales des libertés, dont celle de circulation. Comme elle relève aussi le cas des personnes sans revenus et l’augmentation sensible des violences à l’encontre des femmes. La conjoncture de la pandémie dans notre pays est aussi marquée par la multiplication des arrestations ciblant les activistes du mouvement populaire mais aussi les professionnels des médias. Le journaliste El Kadi Ihsan est revenu sur le cas de Drareni, «emprisonné pour notre droit à l’information», précise Hassina Oussedik. «Khaled Drareni incarne pour beaucoup la répression du hirak.
Il y a de vrais militants du hirak, Khaled Drareni étant d’abord un journaliste même s’il est un partisan de la transition démocratique, qui mériteraient qu’on mette la lumière beaucoup plus sur eux parce qu’ils se sont engagés tous les jours dans la rue», considère El Kadsi Ihsan. «Mais la liberté de la presse étant tellement emblématique et sensible, ajoutons à cela la figure charismatique de Khaled Drareni, c’est un peu le critérium sur l’évolution des libertés en Algérie et donc ça c’est cristallisé sur lui», ajoute-il. «Quand on arrive à créer des collectifs d’avocats, c’est que des atteintes sont commises», affirme Me Salem Khatri, le bâtonnier de Béjaïa, qui dresse un tableau noir de la justice algérienne à qui il reproche ses «incohérences qui donnent l’image d’un appareil judiciaire aux ordres», en étayant avec les exemples des détenus du drapeau amazigh, le cas de Tabbou, de Boumala et de bien d’autres détenus, que reprend également Me Salah Abderahmane, du réseau des avocats RADDH, qui n’est pas moins critique envers la justice et qui regrette le fait que «le parquet soit dépendant du ministère de la Justice». «Le hirak porte les valeurs des droits humains», soutient Abdelwahab Fersaoui, président du RAJ, qui charge le pouvoir d’entreprendre tout le contraire de ce que réclame le peuple. «Le pouvoir essaye de s’accaparer le discours du hirak et c’est de la schizophrénie politique», assène-t-il, accusant le régime en place d’oeuvrer à faire taire toutes les voix discordantes, y compris dans le mouvement associatif et syndical. «On a tout fait pour nous isoler de la base, et on a combattu les attaques sans aucun soutien», déplore Abdelmalek Azzi, coordinateur du CNES. Adila Bendimerad, militante et actrice, en veut, quant à elle, à «l’élite» concernant la «question qui fâche» des droits des femmes. «La situation de la femme est dramatique et malheureuse et elle implique l’homme», assène-t-elle, considérant que pendant le «hirak», «il y a eu de la timidité pour dire que la question de la femme n’est pas centrale». «Beaucoup font semblant de ne pas savoir. L’élite a démissionné et, comme le pouvoir, elle a voulu cadrer cette question», soutient-elle.