«Nous observons avec intérêt le processus de réformes en Algérie»
Ambassadeur de l’Union européenne en Algérie
Le chef de la délégation de l’Union européenne à Alger aborde dans cet entretien les discussions qui ont eu lieu lundi dernier au sein du conseil d’association et qui portent sur les différends liés à la mise en oeuvre de l’Accord d’association. Aussi at-il commenté certaines questions politiques qui ont fait l’objet de l’attention de la commission européenne, qui a rendu public un rapport sur l’état des relations UE-Algérie 2018-2020.
Comment qualifieriez-vous les relations entre l’Algérie et l’Union européenne au terme de cette 12e session du conseil d’association qui s’est déroulée lundi dernier ?
Il y avait une réelle volonté de dialoguer sur nombre de sujets sur lesquels nous sommes d’accord ; comme il y a des points sur lesquels nous avons des différends à régler et des divergences de points de vue sur lesquelles nous discutons. J’ai senti une atmosphère sereine de parler de choses sans qu’une partie ou l’autre se sente acculée ou sur la défensive.
La commission européenne a cette fois-ci fait une déclaration en solo, et non conjointe avec l’Algérie comme lors de la 11e session en 2018. Pourquoi et quels sont ces points de divergence que vous évoquez ?
Je pense qu’il n’y a pas de format précis… Suivant toutes sortes de circonstances, on peut négocier une déclaration conjointe ou pas, mais là, nous étions dans un contexte particulièrement difficile logistiquement. Il y a eu une réunion qui s’est tenue à distance. Normalement, les communiqués conjoints sont négociés à la virgule près, mais c’est beaucoup plus facile de le faire lorsque les personnes s’assoient en négociant directement… Je ne peux pas vraiment commenter là-dessus parce que je n’ai pas été principalement actif dans cette partie du processus de la négociation. Ce que je peux vous dire, c’est que nous avons fait ceci en toute transparence. Nous avons communiqué notre déclaration à la partie algérienne, comme l’Algérie a communiqué aussi sa déclaration avant la réunion.
Ainsi, il s’agit donc beaucoup plus de contraintes techniques liées à la pandémie de Covid-19, comme vous l’affirmez, que le résultat d’un différend politique, comme on peut être amené à le croire...
Vous devriez poser aussi à la partie algérienne cette question de savoir s’il y avait quelque chose qui la gênait dans le texte. Notre communiqué reprend largement la déclaration de l’Union européenne. Je ne pense pas qu’il y ait quelque chose de très gênant dans cette déclaration.
Dans ce communiqué justement, l’UE croit utile et nécessaire de rappeler, certes en des termes très diplomatiques, à son partenaire, son profond attachement au respect de la question des droits de l’homme et de l’Etat de droit. Pourquoi et comment avez-vous accueilli la réaction d’Alger par rapport à la déclaration très critique du Parlement européen ces derniers jours sur la situation des droits de l’homme, des libertés et de l’Etat de droit en Algérie ?
Les lecteurs se projettent souvent dans le texte qu’ils lisent. Vous savez très bien que les libertés fondamentales, l’Etat de droit sont des valeurs qui sont consignées dans les traités fondateurs de l’Union européenne. Nous les soulevons régulièrement avec tous nos partenaires. Elles font également partie des textes de l’accord d’association, de nos priorités de partenariat. Et la référence dans le communiqué que vous avez lu à l’issue de cette réunion du conseil d’association est tirée directement des priorités du partenariat. Donc, ce n’était pas un scoop. Evidemment, l’intérêt que cela a suscité est lié à la déclaration du Parlement européen que je ne vais pas commenter.
Le Parlement est une institution indépendante, qui a sa propre dynamique, ses propres règles de fonctionnement et qui émet régulièrement des résolutions qui invitent l’Exécutif européen à poursuivre certaines démarches, certaines politiques, etc. Je dis cela parce que dans certains commentaires que j’observe sur la Toile, il y a le sentiment que l’Algérie est ciblée par le Parlement européen. Le Parlement européen a émis des résolutions sur le Territoire palestinien occupé, sur la situation des droits de l’homme en Chine. Cela fait partie de ce que le Parlement européen conçoit comme son travail. Il ne se prive pas non plus de faire des déclarations assez critiques sur la situation au sein de l’Union européenne. Nous avons aussi nos soucis sur l’Etat de droit…Vous savez qu’il y a eu des journalistes qui ont été assassinés dans l’Union européenne. Je dis cela parce que vous êtes journaliste et donc vous serez sensible à la question. Nos avons aussi nos préoccupations. Le Parlement est dans son rôle. Nous, l’Exécutif européen, nous sommes dans le nôtre. Et notre approche, comme le communiqué le souligne, est d’engager et d’approfondir au maximum la coopération et le dialogue.
Quelle est votre perception concernant les réformes engagées en Algérie, notamment le référendum sur la révision de la Constitution de novembre dernier ?
La partie algérienne a fait état de la révision de la Constitution qui a été votée le 1er novembre. Il y a des avancées dans ce document au vu de…, enfin… j’hésite à exprimer un point de vue parce que cela va être tout de suite perçu comme une ingérence, mais notre sentiment est qu’il y a des avancées dans ce texte, la séparation des pouvoirs, c’est-à-dire l’indépendance du judiciaire est accentuée, le mandat présidentiel est limité à deux. Il y a là déjà, à notre sens, incontestablement des avancées. Nous saluons également la transparence qui a marqué la manière de communiquer sur le vote, qui est une nouveauté, si je puis dire, par rapport à d’autres scrutins. Cette question a été discutée. Peut-être que j’ajouterais que, comme on l’a vu dans le passé, la mise en oeuvre de la Constitution est évidemment très importante. Les textes d’application, la pratique, c’est au final ce qui compte. Nous observons le processus avec intérêt et nous soutenons les efforts de l’Algérie.
La commission européenne vient de transmettre une proposition visant à résoudre le différend avec l’Algérie dans le domaine de la mise en oeuvre de l’accord d’association, notamment dans son volet commercial. En quoi consiste-telle ?
On peut effectivement détailler le différend. Il s’agit de cinq éléments : la question d’interdiction d’importation des voitures, les DAPS (Droits additionnels provisoires de sauvegarde), certaines positions tarifaires qui sont encore soumises à des tarifs qui, au titre de l’accord d’association, auraient dû être démantelés, les licences d’importation, une série de questions autour des modalités de l’acte d’importation (délais de paiement, utilisation du pavillon national, etc.). Je ne veux pas trop entrer dans les détails parce que les consultations se poursuivent, mais je pense que nous avons progressé et peut-être que, quelque part, notre principale préoccupation, c’est que nous souhaitons pouvoir parler avec notre partenaire algérien et être consulté sur les mesures prises au lieu de les apprendre ex post dans les journaux.
Nous nous félicitons du fait que nous sommes entrés dans le vif du sujet. Nous sommes d’accord déjà sur l’identification du différend. Sur trois de ces cinq éléments, la question est résolue parce que ces mesures sont soit abrogées soit suspendues. Et ce qui manque pour résoudre les différends formellement ce sont les textes d’application ou la confirmation écrite de la position. Mais je pense qu’il n’y a pas de désaccord de principe. Sur deux de ces éléments, nous voudrions avoir une précision sur la durée et les motivations derrière certaines de ces mesures. Les experts peuvent avoir plus de détails, mais je pense que cela constitue un réel progrès que d’avoir cerné le problème.
Peut-on connaître les trois premiers qui ont pu être réglés ?
D’abord l’importation de voitures. Il a déjà été annoncé que cette mesure sera révoquée. La question des licences d’importation et celle liée à l’acte d’importation.
S’agissant de la mise en place de la zone de libre-échange, qui devait entrer en vigueur en septembre 2020, avez-vous trouvé un terrain d’entente ?
La commission européenne a fait des propositions dans ce sens, mais je ne pourrai pas en parler parce que cela fait encore partie des discussions.
L’Union européenne est-elle sensible à l’argument de l’Algérie, qui considère que l’accord d’association a généré une telle déception et un tel déséquilibre, notamment dans les échanges commerciaux entre les deux partenaires, qu’il y a lieu de revoir bien des aspects ?
Nos relations avec l’Algérie dépassent très largement les questions commerciales. Nous avons des intérêts communs dans beaucoup de domaines. Nous ne voulons pas d’une vision réductrice. Ce qui m’inquiète dans ce que je lis dans la presse, c’est qu’on se focalise tantôt sur les droits de l’homme tantôt sur les questions commerciales comme si rien d’autre n’existait. Nous sommes dans une relation qui est très multidimensionnelle. L’intérêt de l’Union européenne est, avant tout, dans une économie algérienne prospère. Mais pour revenir à votre question, plus précisément, nous comprenons tout à fait que l’Algérie se trouve dans une phase difficile avec son équilibre commercial. Il y a très certainement du côté de l’UE une compréhension. Je note toutefois que votre déficit commercial se creuse, non pas avec l’UE mais avec d’autres pays. Avec l’UE, les échanges sont plus ou moins équilibrés, puisque vous êtes notre troisième fournisseur d’hydrocarbures. Je souligne ceci parce que j’entends souvent des commentaires que, hors hydrocarbures, l’Algérie est fortement déficitaire avec l’UE. C’est un peu comme parler de l’économie allemande hors industrie automobile. Il y a effectivement un problème lié à l’amenuisement des réserves de change dû à ce déséquilibre sur le bilan commercial depuis quelques années. Nous en sommes conscients. Je pense que ce serait ni correct ni utile de faire porter le chapeau à l’accord d’association. N’empêche, il faut la résoudre. La question est de savoir si on peut parvenir à la résoudre simplement en limitant les importations. Il me semble que la question est plus complexe. Là, il y a une réelle question qui se pose. Le ministre de l’Industrie a également souligné lors de la réunion de lundi : «Il faut s’interroger comment assurer la diversification de l’économie algérienne.» Mais quelle diversification ? C’està-dire comment attirer des investissements à haute valeur ajoutée, parce que finalement, c’est cela qui importe. Il y a une stratégie qui se met en place. Je ne peux que regretter que ce dont nous parlions déjà à mon arrivée en 2016 n’ait pas été poursuivi de manière plus soutenu dans le passé. Le fait est que pour ce qui est de l’investissement (domestique et étranger), ce qui est primordial, c’est le climat des investissements. Ce sont des choses assez complexes qui relèvent des décisions qui sont entièrement souveraines de l’Algérie (fiscalité, stabilité juridique, garanties offertes aux investisseurs, la règle 51-49 abrogée maintenant partiellement). Nous sommes tout à fait prêts à travailler là-dessus avec notre partenaire, avec le secteur privé ou public, que ce soit par la coopération ou la Banque européenne d’investissement qui ne demande pas mieux que travailler ici si les conditions sont correctes. C’est un chantier grand ouvert et nous sommes disposés à entreprendre la tâche. L’autre point qui a été soulevé par la partie algérienne est la fraude douanière. En aucun cas l’Union européenne ne voudrait être perçue comme favorisant le phénomène de la fraude douanière. Je le dis parce que je lis des critiques sur l’accord d’association, à part les recettes douanières qui sont réduites, parce que les tarifs sont démantelés, mais en principe ce que les Douanes perdent le consommateur le gagne puisque les prix des produits sont plus bas au final. Mais à côté de cela, le sous-entendu c’est qu’il y a eu des fraudes douanières. Il faut voir comment coopérer pour endiguer ce phénomène, dont je ne connais ni l’ampleur ni les contours. Mais nous ne pouvons qu’être d’accord…
En plus des conflits libyen et malien, la situation au Sahara occidental qui enregistre un regain de tensions militaires suite à la violation marocaine des accords de cessez-le-feu risque d’aggraver l’instabilité dans la région. Que fait l’Union européenne pour aider le peuple sahraoui à accéder au droit à l’autodétermination ?
Nous pensons que cette question doit être réglée dans le cadre de l’ONU. Nous appelons à la nomination rapide de l’envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU pour que ce processus puisse avoir lieu. Et nous appelons à une résolution pacifique de cette situation qui dure déjà depuis beaucoup trop longtemps. Par ailleurs, nous sommes les principaux bailleurs de l’aide humanitaire au peuple sahraoui dans les camps de Tindouf. Je dis principaux, mais je le mets entre parenthèses parce que je crois que l’Algérie accueille les Sahraouis depuis des années et fait un énorme effort dans ce domaine. Donc, notre position reste inchangée. Nous appelons au respect du cessez-le-feu et à la résolution pacifique du conflit sous l’égide de l’ONU. A. B.