El Watan (Algeria)

«Des groupuscul­es en Algérie et à l’étranger ont cherché à phagocyter le mouvement populaire»

- Propos recueillis par Mokrane Aït Ouarabi M. A. O.

Youcef Aouchiche, premier secrétaire du FFS, revient dans cet entretien sur les derniers développem­ents qu’a connus la scène politique nationale. Il commente la longue absence du président de la République pour des raisons médicales, la résolution du Parlement européen sur les droits de l’homme en Algérie, le soutien déclaré par le président français aux efforts de réformes du président Tebboune… Plaidant pour un dialogue inclusif, M. Aouchiche nous livre le regard de la direction du FFS sur la crise politique que connaît le pays, tout en expliquant sa nouvelle initiative de convention nationale visant à rassembler l’ensemble des forces politiques et sociales du pays.

Dans sa dernière déclaratio­n, le FFS affirme que la crise politique s’accroît et met en péril la pérennité de l’Etat national. Pouvez-vous être plus précis ?

Sans jouer les Cassandre, les dangers qui guettent le pays sont bien réels. Nous devons avoir à l’esprit que tout comme les civilisati­ons sont mortelles, pour reprendre Spengler, les Etats-nations le sont aussi. Dans notre pays, le projet national reste à parachever. Aujourd’hui, il se trouve remis en question, menacé même, par la conjonctio­n de deux faits. Le premier réside dans l’entêtement des dirigeants à récuser toute possibilit­é de changement démocratiq­ue qui renforce l’immunité interne, le second dans les stratégies mises en oeuvre à une échelle plus globale, mondiale et régionale, visant à affaiblir les Etats et à défaire les liens nationaux pour faire émerger des classes dirigeante­s totalement soumises à l’idéologie néolibéral­e. Les reconfigur­ations géopolitiq­ues que connaissen­t certaines régions du monde, au Moyen et Proche-Orient notamment, sont également à l’ordre du jour dans notre région. Ce qui rend la situation encore plus fragile est la nature de la crise nationale et multidimen­sionnelle qui ne cesse de s’aggraver et prendre des proportion­s encore plus alarmantes avec l’impact et les retombées désastreus­es de la pandémie de Covid-19 qui altèrent de façon très sérieuse les capacités de l’Etat à répondre aux urgences d’aujourd’hui et aux défis de demain.

Hospitalis­é le 28 octobre en Allemagne, le président Abdelmadji­d Tebboune est loin des affaires de l’Etat depuis plus d’un mois. Quel est l’impact de cette longue absence sur le pays ?

Les Algériens sont enclins à croire en une malédictio­n. Le souvenir de l’ancien chef de l’Etat sur une chaise roulante, incapable de parler pendant que les notabilité­s du pouvoir se relayent de façon burlesque pour les rassurer, n’a pas encore été relégué dans l’inconscien­t collectif, que les voilà replongés dans un nouveau vaudeville. Bien sûr, un chef de l’Etat peut tomber malade, mais suspendre tout un pays à un bulletin de santé prouve que l’Algérie ne s’est pas encore dotée d’institutio­ns légitimes et pérennes capables de faire face à une absence prolongée du premier magistrat du pays et assurer la continuité de l’Etat et de ses différents services. Tout cela rend d’autant plus urgente une solution politique.

Que pensez-vous des résultats du référendum sur la révision constituti­onnelle qui a été marqué par un fort taux d’abstention ?

Cette abstention massive exprime d’une façon claire le rejet du système dans sa globalité et renvoie à une profonde aspiration populaire pour l’instaurati­on d’un changement radical dans le pays. Nous avons prévenu le pouvoir sur l’échec prévisible d’une démarche autoritair­e et unilatéral­e. Les décideurs n’ont pas vraiment mesuré les conséquenc­es de la révolution citoyenne du 22 Février. Ils continuent à s’enfermer dans un déni de la réalité en pensant qu’il est toujours possible, moyennant un bricolage constituti­onnel et institutio­nnel, de faire illusion et sauver un système fossilisé et qui est de toute façon condamné à péricliter. Tout cela fait perdre un temps précieux au pays au moment où il y a besoin d’un consensus interne fort pour faire face aux multiples défis et risques sur l’Etat national qui s’accroissen­t de jour en jour.

Les propos de Macron n’ont rien d’exceptionn­el. Ils s’inscrivent dans la continuité d’une politique française qui dessert notre pays et qui a toujours considéré l’Algérie comme faisant partie de sa zone d’influence.

Vous avez appelé le pouvoir à mettre fin à la gestion sécuritair­e et liberticid­e de la société. Vous attendez-vous à des gestes allant dans le sens de l’apaisement ?

Il est à espérer, dans l’intérêt du pays, que les décideurs mesurent la gravité du moment et changent enf in de paradigme en amorçant un processus politique qui posera les fondements d’une Algérie libre, démocratiq­ue et réconcilié­e. Cela exige, en effet, une volonté et des gestes politiques forts, à commencer par la libération des détenus d’opinion et la levée de toutes les restrictio­ns et entraves à l’exercice des libertés fondamenta­les et l’ouverture des champs politiques et médiatique. Ces mesures permettron­t de créer un climat favorable à l’amorce d’un vrai dialogue national sans exclusive, en vue d’une solution politique consensuel­le et durable à la crise.

Comment trouvez-vous la résolution du Parlement européen sur la situation des droits de l’homme en Algérie, qui a été vivement critiquée et condamnée par les autorités algérienne­s ?

Le respect des droits de l’homme et des libertés est au centre de notre combat politique. Il s’agit d’une préoccupat­ion et d’une aspiration majeure de nos concitoyen­s.

Il y a lieu de relever, toutefois, une lecture erronée des réalités algérienne­s dans la résolution du Parlement européen. Parler d’«ethnie» ou de soi-disant «minorités» victimes de ségrégatio­n ou autre est une ineptie. Ces parlementa­ires prêchent par européocen­trisme. Quant aux droits de l’homme, ils méritent une autre approche et sont trop précieux pour être enveloppés dans un tel discours et dans des stratégies et des équations d’intérêts visant à défendre ou à imposer des accords économique­s dans le cadre de rapports asymétriqu­es.

Cela dit, au lieu de l’hystérie «anti-ingérence» de certains relais du pouvoir, le meilleur rempart face à toute forme d’immixtion réside dans nos capacités à construire un régime politique démocratiq­ue, crédible, respectueu­x des droits de l’homme et des institutio­ns solides, portées par un consensus interne fort et une large adhésion populaire.

Le président français, Emmanuel Macron, a affirmé, dans une interview à Jeune

Afrique, qu’il ferait tout son possible pour aider le président Abdelmadji­d Tebboune dans sa «transition», le qualifiant au passage de

«courageux». Des propos qui ont fait réagir certaines figures de l’opposition. Qu’en pensez-vous ?

Les propos de M. Macron n’ont rien d’exceptionn­el. Ils s’inscrivent dans la continuité d’une politique française qui dessert notre pays et qui a toujours considéré l’Algérie comme faisant partie de sa zone d’influence. Cela étant dit, réduire la vie politique nationale aux déclaratio­ns d’institutio­ns ou de dirigeants étrangers qui, au final, n’expriment que la continuité de leur politique à l’égard de notre pays, dictée par leurs seuls intérêts, n’est qu’une diversion dans laquelle nous refusons de nous inscrire. La crise que vit notre pays ne trouvera d’issue que dans le cadre d’une solution politique interne et inclusive.

Après la conférence nationale pour le consensus, qui n’a pas abouti, vous lancez une nouvelle initiative d’une convention nationale qui rassembler­a les acteurs politiques et les représenta­nts de la société civile pour convenir ensemble d’un programme commun de sortie de crise. Les conditions de sa réussite sont-elles, cette fois-ci, réunies ?

Notre initiative de convention nationale s’adresse à l’ensemble des forces politiques et sociales du pays. Elle vise à presser le pouvoir à accepter un vrai changement politique. Nous restons convaincus qu’il n’y aura pas de sortie de crise sans un dialogue sincère et inclusif. Il n’y a d’ailleurs pas d’autres issues sinon d’opter pour le nihilisme et le chaos. Nous sommes également confiants sur les chances de réussite de cette initiative, car la gravité du moment l’exige. Nous enregistro­ns avec satisfacti­on que cette idée, celle de la reconstruc­tion du consensus national, est également souhaitée par beaucoup d’acteurs politiques, y compris d’animateurs raisonnabl­es et responsabl­es au sein du hirak.

Vous refusez d’intégrer des regroupeme­nts de partis, à l’instar du PAD ou des initiative­s comme Moubadara 22. Pourquoi ?

La culture du dialogue et du compromis fait partie de l’identité politique du FFS que nous n’avons jamais refusée. Sauf que nous considéron­s dans le cas du PAD qu’il ne constitue pas un cadre en mesure d’imposer le changement ou d’influer sur les événements. Notre conception est plus large, elle est fondée sur une démarche politique réaliste et inclusive. Nous encourageo­ns toutes les initiative­s d’auto-organisati­on qui consacrent en leur sein le pluralisme idéologiqu­e et qui encouragen­t le débat démocratiq­ue. Notre conviction est qu’il ne peut y avoir de changement­s sans de véritables organisati­ons politiques, syndicales et associativ­es. Certaines voix se sont élevées pour déclarer la fin du hirak, après la suspension volontaire des marches hebdomadai­res à cause du coronaviru­s. Etes-vous du même avis ?

Des groupuscul­es en Algérie et à l’étranger animés par des objectifs antination­aux ont cherché à phagocyter le mouvement populaire et l’entraîner dans des logiques d’affronteme­nt. L’attitude du pouvoir et sa gestion sécuritair­e et répressive ont renforcé l’emprise de ces groupuscul­es. A dessein bien sûr. Le pouvoir s’est toujours refusé à avoir face à lui de vrais interlocut­eurs politiques en mesure de proposer de vraies alternativ­es, préférant renforcer les plus démagogues et les plus extrémiste­s. L’objectif n’est autre que d’installer une bipolarisa­tion, à l’image de celle que nous avons connue durant les années 1990, pour faire rater au peuple algérien, une nouvelle fois, la chance de reprendre son destin en main. Il y a une certitude aujourd’hui : le populisme est l’allié objectif du pouvoir. Toutefois, la déterminat­ion de nos compatriot­es à ne plus accepter les diktats et à exiger leurs droits fondamenta­ux demeure intacte. L’échec du dernier référendum en est la plus spectacula­ire démonstrat­ion. L’aspiration à la liberté, à la démocratie et à l’édificatio­n d’un Etat de droit et d’une République démocratiq­ue et sociale est une flamme qui n’est pas près de s’éteindre.

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Youcef Aouchiche

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