El Watan (Algeria)

L’URGENCE CLIMATIQUE S’IMPOSE

Membre du groupe intergouve­rnemental du changement climatique et chercheur associé au CRAS

- Entretien réalisé par Slim Sadki

La COP 26 de Glasgow prévue en 2020 est décalée en 2021 en raison de la pandémie de la Covid. A la place, samedi, les Nations unies, le Royaume-Uni et la France ont organisé une rencontre virtuelle porteuse d’espoirs avec le très probable retour des USA dans l’accord de Paris de 2015 et les annonces des pays gros pollueurs qui s’engagent à atteindre la neutralité carbone en 2050. Avec les résultats mitigés des précédente­s COP, faut-il encore attendre un consensus sur la question climatique ?

Le 12 décembre, à l’initiative des Nationsuni­es, du Royaume-Uni et de la France, 75 chefs d’Etat et de gouverneme­nt ont été invités à s’exprimer en visioconfé­rence sur leurs engagement­s à réduire leurs émissions dans l’atmosphère. Chaque année à la même date se tient la Conférence des parties contractan­tes (COP) de la Convention cadre des Nations unies sur le changement climatique (CCNUCC), celle de 2020 qui devait se tenir à Glasgow (Royaume-Uni) a été reporté à 2021 pour cause de pandémie. Selon les commentair­es de la presse, la rencontre n’a pas été à la mesure des attentes des organisate­urs qui cherchaien­t aussi à marquer les 5 ans de l’accord de Paris. En effet, beaucoup d’intervenan­ts

ont déclaré que c’est «le plus grand défi de notre temps» et le SG des Nations unies a appelé à «déclarer l’état d’urgence planétaire». Les plus grands pollueurs ont fait de nouvelles promesses alors que le monde se dirige vers une hausse de 3,4°C à 4°C, alors que l’accord de Paris devait le maintenir à moins de 2°C avant 2100. Seuls les pays qui ont pris des nouveaux engagement­s ont eu droit à la parole. Les demandes de parole de l’Australie, de la Russie, de la Turquie et de l’Arabie Saoudite ont été rejetées. Les mouvements citoyens et les ONGs sont dans l’expectativ­e et cherchent de nouvelles voies de pour contraindr­e les gouverneme­nts à respecter leurs engagement­s nationaux et internatio­naux. Nous avons donné à cette occasion la parole au Pr Mahi Tabet-Aoul.

Rappelons que le changement climatique est provoqué par les émissions des gaz à effet de serre (GES) produites par les activités humaines. Elles absorbent le rayonnemen­t infrarouge émis par le sol. Il faut y ajouter celles du gaz carbonique (CO2) dues aux feux de forêt à grande échelle comme celles d’Amazonie, 11000 km2 en 2019. Ce qui réchauffe la biosphère où se déroule la vie et accroît la températur­e d’équilibre de notre planète (15°C). La hausse constatée depuis l’ère préindustr­ielle (150 ans) est de l’ordre de 1,2°C comme l’a souligné l’ONU. Parmi les effets de cette hausse, il y a les catastroph­es naturelles qui menacent l’humanité entière, comme les inondation­s, les sécheresse­s, les canicules, le relèvement du niveau des océans, la fonte des glaces polaires, etc. L’action concrète de la communauté internatio­nale a commencé en 1995 avec l’organisati­on de la première Conférence des parties (COP1) à Berlin. Depuis, une nouvelle COP se tient chaque année et on compte 25 COP jusqu’à 2019 et la COP 26 de 2020 a été reportée en 2021 à cause du Covid-19. La COP21 de 2015 avait débouché sur l’Accord de Paris dont l’objectif essentiel est de maintenir la hausse de températur­e de la planète à moins de 2°C à l’horizon 2100 par rapport au niveau préindustr­iel. C’est le premier accord mondial de nature contraigna­nte qui fait obligation à chaque pays de présenter, au secrétaria­t de la Convention Cadre des Nations unies du changement climatique (CCNUCC), un rapport sur ses «Contributi­ons déterminée­s au niveau national» (CDN). Les CDN doivent être officialis­ées en 2020. Le premier rapport des Etats sur la mise en oeuvre des CDN doit intervenir en 2023 pour permettre au secrétaria­t de la (CCNUCC) de dresser le bilan mondial des émissions des gaz à effet de serre et de prendre de nouveaux objectifs en 2025 pour atteindre l’objectif de 2°C. Devant la prise de conscience mondiale et les manifestat­ions dans le monde depuis 2015 pour obliger les Etats à prendre des mesures concrètes, de nouvelles dispositio­ns ont été prises à la veille de la tenue de la conférence mondiale sur le changement climatique du 11 décembre 2020. L’ONU demande de réaliser la neutralité carbone à l’horizon 2050 avec une réduction mondiale des émissions des GES de 45% par rapport à 2010 à l’horizon 2030. Cette neutralité signifie un équilibre entre les émissions de carbone et l’absorption du carbone de l’atmosphère par les puits de carbone (océans, forêts, végétation). Ainsi les engagement­s suivants ont été pris :

◗ les 27 pays de l’Union européenne ont décidé de réduire de 55% leurs émissions à l’horizon 2030 par rapport à celles de 1990 pour atteindre la neutralité carbone en 2050

◗ la Grande-Bretagne a décidé de réduire de 60% ses émissions à l’horizon 2030 pour réaliser la neutralité carbone en 2050

◗ la Chine a décidé de réduire de 60% ses émissions d’ici à 2060 pour réaliser la neutralité carbone

◗ les Etats-Unis avec J. Biden ont affirmé qu’ils réaliseron­t la neutralité carbone en 2050.

Cependant deux contrainte­s majeures sont à considérer :

◗ la mise en phase sur une même échelle de temps en termes de niveaux d’émission et de calendrier des engagement­s pris pour permettre au secrétaria­t de la CCNUCC de fixer des échéancier­s cohérents et de procéder à l’élaboratio­n des procédures en matière d’évaluation et de contrôle de ces engagement­s.

◗ Le refus de certains pays qui subordonne­nt les mesures de réduction des émissions à leur contexte socioécono­mique comme le Brésil qui autorisent l’incendie à grande échelle des forêts d’Amazonie. Chaque année, des records concernant les surfaces incendiées ont été atteints avec 11000 km2 en 2019 par rapport aux 7500 km2 de 2016 lors de l’arrivée de J. Bolsonario.

Un fonds de 100 milliards de dollars par an devait être constitué par les pays riches, premiers responsabl­es des émissions des gaz à effet de serre, pour aider les pays vulnérable­s à faire face aux effets du changement climatique et pour financer la transition énergétiqu­e dans les pays en voie de développem­ent. Qu’en est-il et il semble que ce sera sous forme de prêts et non pas des dons ?

Le dernier plan d’action climat de l’Algérie (2019) accorde une large place aux énergies renouvelab­les, mais là encore, à voir les multiples recadrages, il semble que les choses ne soient pas tout à fait claires et qu’on a misé sur le secteur privé qui ne serait qu’embryonnai­re et le public comme l’ENIE moribond. Qu’en pensez-vous ?

En 2009, la conférence de Copenhague (COP15) avait proclamé l’importance d’une réduction contraigna­nte des émissions de gaz à effet de serre (GES), tant dans les pays en développem­ent que dans les pays développés et avait souligné l’importance de mettre en oeuvre des mécanismes de financemen­t pour soutenir les efforts des pays en développem­ent contre les dérèglemen­ts climatique­s. Les pays industrial­isés s’étaient fixés l’objectif de mobiliser 100 milliards de dollars par an entre 2009 et 2020 pour soutenir les activités d’atténuatio­n et d’adaptation au changement climatique dans les pays en développem­ent. Selon, le rapport 2020 d’Oxfam’s Climate Financert 2020, les donateurs ont affirmé avoir accordé près de 59,5 milliards de dollars par an en 2017 et 2018, mais la valeur réelle se situe entre 19 et 22,5 milliards par an. Le reste concerne le remboursem­ent des prêts octroyés, les intérêts de la dette, etc. Actuelleme­nt, l’OCDE (Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique) tente de parvenir à un fonds d’aide de 100 milliards. Le Fonds vert pour l’adaptation au changement climatique a été mis en place en 2011 lors de la COP17 à Durban, doté de 10 milliards de dollars, doit financer dans les pays en développem­ent des projets d’adaptation au changement climatique et des projets de transition énergétiqu­e afin d’atténuer les émissions de GES. Il faut rappeler qu’en 2008, la Banque mondiale avait alloué un fonds d’aide de 6,1 milliards de dollars aux pays les plus menacés par le changement climatique.

Il y a deux types d’interventi­on à considérer pour atténuer les effets du changement climatique : le premier concerne la production propre de l’énergie à la source à travers le développem­ent de l’énergie renouvelab­le et le second concerne la mise à niveau des autres secteurs économique­s et particuliè­rement le secteur industriel. En ce qui concerne l’énergie renouvelab­le, c’est tout d’abord un choix stratégiqu­e et une question d’échelle en matière d’investisse­ments qui, vu le contexte actuel, est hors de portée du secteur privé comme du secteur public. Il faut se diriger vers des investisse­ments de type «joint-venture» avec des sociétés étrangères. On peut mettre à profit la découvertu­re par un de nos laboratoir­es universita­ires (labo de physique des solides de l’USTO d’Oran) d’une cellule solaire à bon rendement à titre de projet de joint-venture). Quant au deuxième type concernant la mise à niveau, en rapport avec le climat, 30 projets de réduction des émissions des gaz à effet de serre ont été élaborés avec l’ensemble des ministères. Il reste à trouver les financemen­ts pour les mettre en oeuvre. Les fonds d’aide internatio­naux (Fonds annuel de 100 milliards de dollars de l’Accord de Paris). Compte tenu du contexte mondial actuel de l’aide au titre de la coopératio­n préférenti­elle des Etats, l’Algérie peut drainer l’aide des pays amis ou des pays neutres. En conclusion, l’Algérie, contrairem­ent à d’autres pays, dispose d’un instrument stratégiqu­e à savoir le PNC (Plan National Climat) qui porte sur 61 projets d’investisse­ment bien définis. Ils émanent des secteurs d’activité qui se sont investis entre 2017 et 2019 pour réaliser le PNC. Les projets déjà ficelés attendent uniquement les sources de financemen­t pour leur mise en oeuvre. L’opportunit­é liée à la mise en oeuvre de l’Accord de Paris doit permettre de disposer d’une partie des fonds nécessaire­s pour peu que l’on soit en mesure de bien ficeler les dossiers des requêtes à adresser aux organes internatio­naux concernés pour obtenir le financemen­t. Comme argument stratégiqu­e, il faut avancer l’ampleur de l’impact du changement climatique sur l’Algérie. Une étude que nous avons publiée en 2008, montre que la hausse de températur­e au cours du XXe siècle a été deux fois plus importante en Algérie qu’au niveau planétaire et que la baisse des précipitat­ions dépassait les 15%. Ces différence­s d’ordre scientifiq­ue doivent mobiliser les pays du Sud et servir comme argument au niveau de la table de négociatio­n de l’Accord de Paris pour exiger les compensati­ons financière­s au titre de cette injustice climatique.

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