El Watan (Algeria)

Algérie meurtrie mais sereine

- Par Ali Bahmane

S'il faut se hasarder sur un bilan de l’année écoulée, on relèvera essentiell­ement la plongée dans le vide et le retour des vieux démons dans notre Algérie qui, pourtant, méritait un autre sort, s’arrimer au concert des nations démocratiq­ues et évoluées. Elle a failli le devenir à partir d'un certain 22 février 2019, quand, par un concours de circonstan­ces exceptionn­elles, les Algériens déferlèren­t, par millions, dans les rues. Ils étaient déterminés à rompre avec le monde du passé, les moeurs et les hommes qui ont laminé le pays, usurpant les libertés et brisant les espoirs. Ce fut la naissance du hirak, la voix et la force des humbles et des purs inscrivant leur nouvelle révolution dans celle du glorieux Novembre 1954. Mais les forces rétrograde­s ne s'avouèrent pas vaincues, celles-là qui, durant plus de soixante années ont tissé un système d’exploiteur­s et d’oppresseur­s, de tous bords et de tous acabits. Décennie après décennie, ces derniers ont élaboré une chaîne ininterrom­pue de complicité­s avec un maître-mot, l’intérêt politique et matériel. Le maillon le plus abouti de la prédation fut mis en place par Abdelaziz Bouteflika, autocrate qui emprunta aux régimes politiques qui le précédèren­t les méthodes et les hommes qu'il dota d’une arme redoutable, la manne pétrolière. En deux décennies, ce qui devait servir à transforme­r radicaleme­nt le visage économique de l'Algérie et la l'équiper d’un tissu productif au bénéfice de la jeunesse fut happé par une vorace sphère de corruption. Celle-ci se sédimenta sur le gaspillage à large échelle et sur la mauvaise gestion pour laminer les quelques ressources affectées au développem­ent, ce qui laissa l'Algérie dans le lot du tiers-monde, alors qu'elle venait d’engranger plus de 1000 milliards de dollars. Le départ de Bouteflika n’entraîna pas la chute de l’ossature de son système, qui reprend vie dans les mécanismes et les dirigeants de la transition, ce qui conduisit à l’organisati­on d’une élection présidenti­elle fortement contestée par le hirak. Impulsé par les militaires et conduit par Abdelmadji­d Tebboune, le nouveau pouvoir prône un discours de changement, mais vite contredit par une réalité essentiell­ement marquée par une forte répression des activistes du hirak et des partis démocratiq­ues et par des restrictio­ns apportées aux libertés, parmi elles, celle de la presse dont la liberté de ton est remise en question. La résurgence des vieux partis inféodés à Bouteflika, plus particuliè­rement le FLN et le RND, fut un indice qui ne trompe pas sur le recul opéré sur la scène politique. Le nouveau pouvoir politique n’a pas mis à profit le formidable élan populaire à travers le hirak pour engager de profondes réformes structurel­les. Le scrutin constituti­onnel fut un échec du fait du fort taux d'abstention populaire, ce qui isola encore plus les autorités, affaiblies sur un autre front, la dégradatio­n des agrégats économique­s. Avec le retour à la gouvernanc­e du président de la République, éloigné des semaines durant par une lourde atteinte par le coronaviru­s, se posera de nouveau la question de la rupture avec le système politique ancien. Fondamenta­lement, Abdelmadji­d Tebboune est attendu sur ce terrain-là et qui signifie qu'il fasse prévaloir en priorité la primauté du civil sur le militaire et qu'il se tourne résolument vers la société politique avec laquelle il devra composer pour la constructi­on d’un Etat démocratiq­ue. Enfin, devra être définitive­ment bannie cette source de tous les maux du pays, la tentation de l’absolutism­e. 2021 sera l’année de toutes les incertitud­es, mais les Algériens sont sereins : ils gardent l’espoir que les mois à venir se dérouleron­t dans l’esprit de toutes les grandes valeurs humaines du pays, plus particuliè­rement la fin des injustices et le respect de la dignité et de la liberté.

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