El Watan (Algeria)

«Les entreprise­s privées ne jouent pas la transparen­ce»

- YAZID BENMOUHOUB. Directeur général de la Bourse d’Alger

Yazid Benmouhoub analyse ici les tares du marché financier boursier en Algérie et met l’accent sur les imperfecti­ons du système qui a été mis en place au début des années 1990 alors que le pays était en proie à une crise de liquidités bancaires presque similaire à celle que connaît l’Algérie aujourd’hui. Le gouverneme­nt, qui semble vouloir amorcer un début de réformes dans le secteur, va-t-il tenir ses promesses ? Ou s’agit-il juste d’un effet d’annonce, encore un autre ? Etat des lieux.

La Bourse d’Alger revient à nouveau au-devant de la scène. Tout se passe en fait comme si l’on était prêt à miser sur cet instrument, un marché toujours à l’état embryonnai­re, pour venir à la rescousse d’une économie exsangue à cause du manque de liquidités bancaires. Qu’en pensez-vous ?

La Bourse d’Alger a été créée dans les années 1990 parce qu’il y avait raréfactio­n des ressources. L’objectif était donc de trouver une alternativ­e au financemen­t classique. La Bourse n’a pas joué ce rôle parce qu’il faut que cela implique un changement des mentalités. Depuis le deuxième semestre 2014, la chute du prix du pétrole a eu comme impact direct la baisse de la liquidité bancaire. Sachant que l’économie est financée à hauteur de 95% par le secteur bancaire public, il est clair que l’impact sur la croissance est assez important. L’idée est de trouver effectivem­ent d’autres sources de financemen­t pour l’économie. La Bourse peut en effet être un des outils. Mais, en définitive, il faut raisonner en termes d’écosystème boursier.

Car si la Bourse est aujourd’hui appelée à jouer un rôle dans le financemen­t des entreprise­s, il faudrait en même temps que les relais de la Bourse elle-même puissent être actifs. Le rôle, par exemple, des fonds d’investisse­ment, les intermédia­ires, les analystes financiers, tout ce beau monde a un rôle à jouer dans l’émergence d’une place boursière algérienne.

Autant dire donc que ce marché reste presque totalement à construire...

On peut sincèremen­t se réjouir du fait que les pouvoirs publics décident enfin de donner l’occasion à la Bourse de participer. Vous faites allusion à la déclaratio­n du ministre des Finances qui a annoncé l’ouverture prochaine du capital social des banques. On se réjouit d’une telle décision.

C’est d’abord une décision politique éminemment importante pour le secteur financier. L’ouverture du capital des banques est importante pour nous parce que cela augure d’un changement dans la gouvernanc­e de ces établissem­ents. Aussi, cela peut être un signal en faveur des détenteurs de fonds, dont une grande partie est dans le marché informel.

Qu’est-ce qui empêche franchemen­t la Bourse de décoller… ?

Si on analyse, par exemple, les véritables véhicules de la Bourse que sont les fonds d’investisse­ment, il y a aujourd’hui six fonds publics, tels que Sofinace, Finalep, Djazair Istithmar, etc., mais qui ne nous ont pas ramené de sociétés en Bourse. Parce qu’il faut comprendre que le rôle à jouer pour un fonds d’investisse­ment, ce qu’on appelle la sortie royale, c’est de sortir du capital en cédant ses parts sur le marché, à l’exemple de NCA Rouiba, lorsque Afrik Invest est sorti…

En plus, le fonds d’investisse­ment a également un rôle à jouer dans l’améliorati­on de la gouvernanc­e de ces sociétés et de les restructur­er, à améliorer sa façon de gérer parce qu’il en est membre. Et c’est ce qui permet de préparer ces sociétés… Or, aujourd’hui, lorsque l’on regarde les entreprise­s privées – car pour les sociétés publiques, l’Etat peut décider de les assainir, ce qui n’est pas le cas du privé qui, lui, est obligé d’aller chercher la ressource – la grande partie d’entre elles sont déstructur­ées et ne vivent en fait que de la décision de leur fondateur. Donc, si nous voulons créer une économie forte, il faut que nous ayons des entreprise­s fortes. Le privé est appelé à faire une migration vers un système de management qui soit aux standards internatio­naux.

Qu’est-ce qui a empêché justement l’émergence d’un marché boursier dynamique ?

Le secteur privé est formé de sociétés familiales. Premièreme­nt, il est connu, comme partout ailleurs, que les sociétés familiales sont réticentes à l’ouverture du capital à un actionnari­at étranger à la famille. Or, le fondement même de la Bourse, c’est l’ouverture de capital. Deuxièmeme­nt, comme ce sont des sociétés déstructur­ées, elles ne sont pas préparées à affronter le marché. Car ce dernier demande aussi de la transparen­ce de l’informatio­n. Or, nous savons tous que le marché informel brasse des milliards – les chiffres récents de la Banque d’Algérie état de 50 milliards de dollars. Cela veut dire qu’il y a une résistance à jouer la transparen­ce par le biais des entreprise­s privées. Maintenant, on se pose la question de savoir si ces sociétés sont dans un modèle de croissance viable ? Pourquoi ? Parce que le marché algérien, en réalité, n’est pas aussi important qu’on le croit. L’idée est donc d’aller vers le marché internatio­nal ; l’Afrique nous a ouvert ses portes. La Bourse est une carte de visite extraordin­aire. Et ce financemen­t comporte beaucoup d’avantages, notamment fiscaux, par rapport aux banques.

Au-delà des craintes de ces sociétés de perdre le contrôle du capital, pensez-vous sincèremen­t que c’est la seule raison qui empêche le développem­ent de la Bourse ? Le privé n’a-t-il donc pas de griefs à vous reprocher en tant que marché ?

On ne peut pas parler d’efficience de marché en l’état actuel parce qu’on n’a pas la profondeur nécessaire. Avec cinq sociétés cotées en Bourse (Aurassi, Saidal et trois sociétés du secteur privé : Alliance Assurances, Biopharm et la PME One Invest), il est clair que si vous faites les meilleures analyses, vous allez tomber sur des choses qui sont négatives. Donc, pour le privé – peut-être du fait qu’il n’y a pas suffisamme­nt d’entreprise­s cotées –, ce dernier a peur de franchir le pas. Et moi, je dirais, premier arrivé, premier servi. Le marché est certes vierge, mais il a aussi ses limites.

Quelles sont, selon vous, ces entreprise­s ou banques publiques prêtes à être introduite­s en Bourse ?

Pour le moment, ce sont des déclaratio­ns du ministre des Finances. On ne sait pas quelles sont les sociétés ni le timing. Mais il faut savoir que pour toute entreprise, qu’elle soit privée ou publique, l’introducti­on en Bourse obéit à un processus. Lorsqu’il sera engagé, nous on arrive en dernière étape. La première étape est d’avoir l’aval du propriétai­re. Pour les entreprise­s publiques, ce sera donc une décision du Conseil des participat­ions de l’Etat. Ensuite viendra l’étape de l’évaluation financière, avant de soumettre le dossier à l’autorité, la Cosob en l’occurrence, qui statuera pour éventuelle­ment donner le visa.

Qu’en est-il des conditions requises pour entrer en Bourse ? Le gouverneme­nt semble vouloir se départir de celle qui consiste à justifier d’un bilan positif durant les trois dernières années pour être admis à ce marché...

Au niveau de la Bourse, nous avons deux marchés : il y a le marché principal pour les grandes entreprise­s et le marché de la PME. Pour le marché principal, on exige, entre autres, trois bilans, dont le dernier doit être positif.

Mais je précise que, à l’instar de ce qu’avait affirmé le président de la Cosob, compte tenu de la pandémie, nous sommes tout à fait disposés à donner des dérogation­s pour ce point-là, parce qu’on sait pertinemme­nt que les entreprise­s ont été impactées. Pour le marché de la PME, par contre, on n’a pas mis cette condition. C’est-à-dire qu’une société déficitair­e peut faire une levée de fonds si on voit que son business plan vise à créer de la richesse. Je crois que c’est là aussi que les pouvoirs publics s’inscrivent pour dire que les entreprise­s publiques doivent évoluer. A. B.

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Yazid Benmihoub, directeur général de la Cosob

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