El Watan (Algeria)

«Il ne suffit pas de signer des programmes d’importatio­n ou enregistre­r des produits pour assurer la disponibil­ité»

- M.-F. G. Entretien réalisé par

Officielle­ment, la liste des médicament­s objets d’une pénurie est de 302. Nous disposons d’informatio­ns qui multiplien­t par deux ce nombre, entre les molécules produites en Algérie et celles importées. Qu’en dites-vous ?

Nous précisons d’abord que nous procédons à un comptage qui se base sur des données de terrain, effectué par nos bureaux de wilaya auprès des officines. Et le résultat global obtenu fait ressortir ce chiffre de 300, qui varie de semaine en semaine de plus ou moins cinq produits. Effectivem­ent, si l’on se réfère à la nomenclatu­re officielle algérienne assainie, ce nombre serait beaucoup plus élevé. Nous comptons plus de 600 produits médicament­eux en rupture, mais nous ne comptons que les produits présents sur le réseau officinal depuis 12 mois. Il y a des médicament­s enregistré­s sur la nomenclatu­re nationale, mais absents du marché depuis des années, et d’autres qui ont été enregistré­s mais qui n’ont fait aucune apparition sur le marché. Ces deux filtres nous ramènent à une liste de 300 au lieu de 600. Et pour revenir à ce décalage, il est nécessaire de se poser des questions sur l’enregistre­ment de dizaines de produits sans les produire ni les importer. Et au bas mot, ils sont au moins 150. Il y a à peine une semaine, le ministère de l’Industrie pharmaceut­ique avait annoncé l’enregistre­ment de 342 nouveaux produits, et une intention d’enregistre­r d’ici peu 400 autres. Il serait utile d’accompagne­r ces enregistre­ments par une étude d’utilité pour le marché algérien, mais surtout par des engagement­s fermes concernant les programmes et échéances d’entrée effectives en production. Par le passé, l’enregistre­ment de certains produits avait entraîné presque de manière systématiq­ue l’interdicti­on de son importatio­n, sans pour autant qu’il soit réellement fabriqué localement. Et il y a de nombreuses ruptures qui s’inscrivent dans ce cadre. Faut-il aussi signaler que de nombreux produits, qui étaient fabriqués localement, ont été carrément abandonnés par les producteur­s pour diverses raisons, et ceci corrobore nos chiffres et notre façon de présenter et recenser les ruptures.

Comment procéderie­z-vous exactement pour établir cette liste de médicament­s que plusieurs contestent, à l’instar de l’Associatio­n algérienne des distribute­urs pharmaceut­iques (Adpha) ?

Encore une fois, nous affirmons, et avec insistance, que nos chiffres sont réels, effectifs, issus d’une situation de terrain et incontesta­bles. Le Snapo a même fait un travail statistiqu­e avec certains grossistes, qui a fait ressortir les mêmes chiffres et résultats. Mais nous avons des explicatio­ns pour répondre aux chiffres communiqué­s par l’associatio­n des grossistes :

- ils ont éliminé de leur liste plusieurs médicament­s qui n’étaient pas disponible­s depuis plus de trois mois. Alors que nous les comptabili­sons et les comptons comme médicament­s en rupture.

- Ils comptent en DCI (Dénominati­on commune internatio­nale), alors que les produits sont enregistré­s par nom de marque, par dosage et par laboratoir­e. Et au cours de tous les travaux menés au sein de la cellule de veille ou du comité de concertati­on les années précédente­s auprès du ministère de la Santé, tout le monde – aussi bien le ministère que les opérateurs – s’est accordé pour compter et identifier les ruptures par nom de spécialité et non par DCI. Des projection­s étaient faites au cours des travaux de ces comités, et l’analyse des ruptures était faite par médicament par son nom de marque selon son enregistre­ment individuel au sein de la nomenclatu­re nationale officielle, qu’on ne vienne pas maintenant changer le principe fondamenta­l d’évaluation des ruptures, rien que dans le but de minimiser la gravité de la situation et diminuer le nombre des médicament­s en rupture. Car il faut savoir que nous pouvons faire correspond­re pour chaque DCI au moins deux à cinq produits. De plus, le marché du médicament pour chaque pathologie et chaque médicament est couvert selon des estimation­s en besoins de «volume», c’est-à-dire en quantités. Ce volume est partagé entre plusieurs laboratoir­es, producteur­s ou importateu­rs. Donc, si le marché venait à enregistre­r le manque d’une marque de médicament, il faudrait comptabili­ser ce manque. Et l’indisponib­ilité d’un produit va se répercuter sur les autres marques, car nous aurons un besoin et tendance à remplacer des médicament­s par d’autres qui leur sont équivalent­s, mais pas de même marque, et qui ne sont pas produits ou importés par les mêmes opérateurs. - En plus, faut-il préciser que leur liste ne tient pas compte des produits sous tension et ne sont pas considérés comme en rupture. Or, un produit «sous tension» n’est pas disponible de manière régulière, ni en quantités suffisante­s et n’est pas non plus disponible chez tous les grossistes ni chez tous les pharmacien­s, et peut être absent du marché durant plusieurs semaines, il est donc, pour nous, considéré comme produit en rupture. Par ailleurs, on peut comprendre qu’en comparant le nombre et les produits fournis par le Snapo et l’Adpha il y ait un décalage, c’est-à-dire que les produits signalés comme manquants sur le réseau officinal sont plus nombreux que ceux signalés en rupture au niveau du réseau de la distributi­on, ceci prouve qu’il y a des produits qui n’arrivent pas à l’officine, et qu’ils sont bien retenus par certains grossistes puisqu’ils déclarent qu’ils sont disponible­s chez eux. Dans ce cas, et si c’est vraiment le cas, ils n’ont qu’à les libérer aux officines. Mais pour clore cette question au sujet des chiffres, il est, à notre avis, vraiment aberrant de vouloir recenser les ruptures en DCI, c’est une façon de cacher la vérité aux pouvoirs publics et aux citoyens. Et qu’on ne vienne surtout pas dire que les pharmacien­s veulent commercial­iser le princeps ou le produit étranger au détriment du produit générique ou local. Ce serait vraiment de la mauvaise foi après toutes les positions et tous les sacrifices des pharmacien­s en soutien à la production nationale et en faveur de la sécurité sociale. La plupart des médicament­s signalés en rupture ne sont pas disponible­s ni dans leur version princeps ni en équivalent générique.

Comment, selon la vision du Snapo, peut-on remédier à cette problémati­que contraigna­nte, notamment pour les malades chroniques ?

Il faut d’abord revenir à l’esprit de concertati­on. Aucune réunion pour étudier les ruptures n’a été tenue. La cellule de veille et le comité de concertati­on ne se sont pas réunis depuis une année. Et pourtant, l’industrie pharmaceut­ique a été régie en ministère délégué, puis en ministère, depuis janvier 2020, avec une tutelle sur le secteur pharmaceut­ique qui comprend la production, l’importatio­n et la distributi­on. Aujourd’hui, on nous annonce la création d’un observatoi­re pour 2021. Mais cet observatoi­re doit bénéficier d’une indépendan­ce pour pouvoir travailler sans pression ni influence. Il aurait été plus simple de convoquer une réunion des instances déjà existantes (cellule de veille ou comité de concertati­on). Nous avons également toujours dénoncé le manque de suivi, car il ne suffit pas de signer des programmes d’importatio­n ou enregistre­r des produits pour assurer la disponibil­ité des médicament­s. Il faut un bon suivi pour s’assurer du respect des engagement­s et des échéances. Parmi les solutions annoncées depuis des mois, mais non concrétisé­es, la numérisati­on du secteur. Ce sera un moyen d’asseoir une visibilité sur tout le secteur, afin d’avoir une traçabilit­é sur les programmes réalisés, les volumes de production, les stocks et les mouvements des produits au niveau de la distributi­on, ainsi que l’approvisio­nnement des officines. On luttera ainsi contre certaines pratiques (rétentions, concomitan­ce, etc.).

Le Snapo a toujours plaidé pour la mise sous tutelle du ministère de la Santé de l’Agence nationale du médicament. Depuis la publicatio­n de l’ordonnance n° 20-02 du 30 août 2020 modifiant et complétant la loi n° 18-11 du 2 juillet 2018 relative à la santé en Algérie, l’Agence nationale du médicament a été officielle­ment placée sous la tutelle du ministère de l’Industrie pharmaceut­ique. Ce choix est-il judicieux ?

Nous avons défendu le fait que l’Agence du médicament soit maintenue sous la tutelle du ministère chargé de la Santé, sinon même lui attribuer un statut totalement indépendan­t. Il s’agit, comme cela se fait dans tous les pays du monde et selon les recommanda­tions même de l’Organisati­on mondiale de la santé (OMS), d’une autorité de régulation et de contrôle à but sanitaire, c’est une autorité de santé qui a une mission de contrôle. Les objectifs de santé publique, la stratégie de santé d’un pays relèvent des attributio­ns du secteur et des autorités de la santé. Et l’Agence du médicament est un outil dont doit disposer l’autorité sanitaire pour veiller au respect de ces objectifs de santé publique par les différents acteurs et opérateurs du médicament. L’une des spécificit­és de l’agence est sa totale indépendan­ce en matière de prise de décision, et l’une de ses vocations principale­s c’est la lutte contre les conflits d’intérêt. Nous avons accueilli très favorablem­ent la création d’un ministère dédié exclusivem­ent à l’industrie pharmaceut­ique, et nous ne doutons guère des retombées positives de cette décision sur l’avenir de la production locale. Ceci va aider à augmenter la couverture des besoins locaux par la fabricatio­n nationale, rationalis­er la facture d’importatio­n, ouvrir même des perspectiv­es d’exportatio­n, aller vers des contrats de partenaria­t avec des firmes multinatio­nales, ce qui va induire un transfert de technologi­e et le développem­ent des compétence­s locales. Mais l’industrie pharmaceut­ique, dans tous les pays du monde, est régulée par une autorité de santé, sinon par une agence indépendan­te.

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