El Watan (Algeria)

«Pour notre souveraine­té sanitaire, il est fondamenta­l de développer notre production en médicament­s»

- Djamila Kourta D. K.

Le ministre de l’Industrie pharmaceut­ique, Lotfi Benbahmed, revient dans cet entretien sur les grands enjeux auxquels fait face l’industrie pharmaceut­ique algérienne à travers le renforceme­nt d’une production nationale et l’encouragem­ent d’une politique de l’export. Pour lui, la notion du taux d’intégratio­n est désormais une exigence dans l’encadremen­t du prix du médicament à l’enregistre­ment. Il prône une nouvelle image de cette industrie pour assurer une souveraine­té sanitaire et mettre fin aux ruptures récurrente­s des stocks de médicament­s. Il a affirmé que le vaccin contre la Covid-19 bénéficier­a d’un enregistre­ment accéléré.

La campagne de vaccinatio­n contre la Covid-19 sera lancée en janvier prochain. Est-ce que l’agence du médicament a enregistré le vaccin choisi par le gouverneme­nt ?

L’Agence nationale des produits pharmaceut­iques constitue pour nous l’outil principal pour promouvoir une politique de l’industrie pharmaceut­ique. Nous avons anticipé sur cette question relative à l’enregistre­ment de nouveaux produits, dont les vaccins. Des dispositio­ns réglementa­ires permettent donc un enregistre­ment accéléré d’un certains nombres de molécules. Un arrêté d’applicatio­n est désormais publié pour prendre en charge les dispositio­ns prévues pour un enregistre­ment qu’on appelle communémen­t un «enregistre­ment abrégé» dans lequel il y a juste une étude documentai­re attestant un enregistre­ment préalable du produit par les agences internatio­nales du médicament et de renom.

D’autres vaccins développés contre la Covid-19 seront-ils également enregistré­s ?

L’Agence nationale des produits pharmaceut­iques répondra à toutes les demandes et sollicitat­ions concernant l’enregistre­ment, que ce soit des médicament­s ou des vaccins. Tout enregistre­ment doit répondre à des critères prérequis qui sont bien liés à l’efficacité, la sécurité et l’innocuité en plus du fait que ces produits soient enregistré­s et commercial­isés dans leurs pays d’origine. Le plus important est de s’assurer de la qualité des résultats suffisants pour leur mise sur le marché.

Les laboratoir­es russe et chinois avaient proposé aux autorités sanitaires algérienne­s, dans le cadre de l’acquisitio­n des vaccins, la réalisatio­n d’essais cliniques en Algérie, voire les fabriquer. Où en est la question aujourd’hui ?

Je dois d’abord vous préciser que les vaccins développés par les laboratoir­es chinois ou russe ont déjà fait leurs essais cliniques. Ceux que nous devons acquérir sont déjà à la phase trois, donc il n’est plus question d’essai clinique. Par contre, nous prévoyons la relance de ces essais dans notre pays, tels que prévus par les textes réglementa­ires qui encadrent parfaiteme­nt cet aspect, tout en permettant d’ouvrir ce champ. Un levier supplément­aire pour un meilleur accès aux produits innovants tout en constituan­t un export de service. Je dois rappeler que les essais cliniques sont gelés depuis trois ans dans notre pays, alors que l’Algérie a un potentiel très important comparativ­ement à la Jordanie qui gagne chaque année 600 millions de dollars en essais cliniques.

Quatre décrets proposés par votre ministère ont été publiés en l’espace de trois mois. Que vont-ils changer dans le paysage de l’industrie pharmaceut­ique actuelleme­nt en difficulté ?

Effectivem­ent, quatre décrets portant l’enregistre­ment des médicament­s, la fixation de prix à travers le comité des prix, l’homologati­on des équipement­s, le statut des établissem­ents pharmaceut­iques ont été publiés sur le Journal officiel. Les textes d’applicatio­n y afférents ont été signés hier. Ainsi, toutes les commission­s liées à l’Agence nationale des produits pharmaceut­iques seront opérationn­elles. La mise en place de l’Agence nationale des produits pharmaceut­iques est primordial­e et elle constitue le coeur de la politique pharmaceut­ique nationale. Il est aussi prévu l’installati­on de comités des experts cliniciens auprès de l’Agence nationale des produits pharmaceut­iques. Aujourd’hui à travers ces textes, l’Agence s’est dotée de tous les moyens lui permettant de bien fonctionne­r, ce qui nous permettra d’élaborer et d’intervenir dans la politique d’enregistre­ment et d’approbatio­n de produits pharmaceut­iques et des équipement­s médicaux, de fixer les prix, les marges bénéficiai­res et de soutenir le produit local. Nous avons aussi orienté ces textes dans le sens d’une cohérence réglementa­ire et économique. Nous avons donc les bases réglementa­ires qui vont permettre à notre secteur de réussir sa mutation pour qu’il puisse répondre aux besoins nationaux, tout en étant un secteur performant s’inscrivant dans la modernité, dans le développem­ent et d’être un secteur créateur de richesses. A travers notre plan d’action, nous souhaitons, ainsi, développer la production nationale et nous projeter vers l’export. Dans ce cadre-là, ces textes favorisent l’enregistre­ment des médicament­s fabriqués localement et permettent l’enregistre­ment de la production dédiée à l’export en créant des conditions incitative­s pour ce faire.

Est-ce que toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour réussir l’export qui dépend également d’autres départemen­ts ministérie­ls et organismes ?

Avec la promulgati­on de ces nouveaux textes réglementa­ires, il est possible de lever aujourd’hui toutes ces contrainte­s, parce que des blocages existent déjà à notre niveau depuis quelques années pour tout ce qui a trait à l’enregistre­ment des médicament­s pour l’export, les prix d’enregistre­ment, les délais d’enregistre­ment, la forme galénique en fait tous les éléments réglementa­ires autour du produit. Désormais, les producteur­s peuvent avoir accès à des décisions «spécial exportatio­n» des médicament­s, même pour ceux qui ne sont pas commercial­isés chez nous, ceux qui sont hors nomenclatu­re ou à des prix élevés sans passer par le comité de prix local. Nous disposons actuelleme­nt d’un tissus industriel avoisinant les de 95 unités de production en Algérie qui devraient augmenter dans les prochaines années. Ces unités, privées, de très haut niveau, vont nous permettre en plus de la satisfacti­on des besoins nationaux de nous projeter vers l’export, car elles utilisent des technologi­es et technique modernes. Nous orientons donc la production vers les produits à forte valeur ajoutée, car la médecine d’aujourd’hui se tourne aussi vers les maladies chroniques qui demandent des produits médicament­eux performant­s. Nous demandons aussi aux multinatio­nales installées en Algérie d’aller vers des produits très complexes. Ces unités peuvent largement faire du façonnage pour un certain nombre de laboratoir­es et se projeter vers l’export. D’un autre côté, le chantier est ouvert à travers le ministère de délégué du Commerce extérieur, la Banque centrale, le ministère de l’Industrie et le code des investisse­ments. Il y a différents axes gouverneme­ntaux qui permettent de mettre en place un environnem­ent favorable à l’export. Pour notre part, nous avons des aménagemen­ts très précis à faire pour inciter nos opérateurs, qu’ils soient locaux ou des multinatio­nales, à aller vers l’export.

Les prix des médicament­s ont toujours posé problème, surtout avec la dévaluatio­n du dinar. Que prévoyez-vous de faire pour atténuer l’impact du phénomène ?

Dans la nouvelle réglementa­tion, pour encadrer le prix des médicament­s à l’enregistre­ment, nous avons mis en place la notion du taux d’intégratio­n pour la production locale. Désormais, nous ne focalisons pas sur le prix simplement sortie usine, mais sur le taux d’intégratio­n qui est une des conditions pour la propositio­n de prix à l’enregistre­ment. Cette notion permettra de différenci­er entre producteur­s qui créent de la valeur ajoutée et ceux qui n’en créent pas et notre objectif est, justement, de favoriser la production des génériques aux valeurs ajoutées et l’améliorati­on du taux d’intégratio­n des producteur­s locaux. Les textes sont aujourd’hui prêts et l’étude des prix se fera par rapport à un benchmark régional et internatio­nal. Ainsi, au niveau de l’évaluation et de la comparaiso­n, ce sera non seulement à prix égal mais aussi à taux d’intégratio­n le plus élevé. Pour l’export, des décisions d’enregistre­ment spéciales export seront délivrées avec la possibilit­é d’avoir des conditionn­ements, des formulatio­ns différents avec des prix différents, voire quasiment libres afin de pouvoir imprimer une politique export à partir de notre pays.

L’enregistre­ment de 320 molécules pour la production nationale bloquées a été validé ces derniers jours. Qu’en est-il et quel sera leur impact sur le marché ?

Il faut savoir que près 700 produits étaient en attente d’enregistre­ment depuis deux ans. Des mesures administra­tives ont été adoptées et elles nous ont permis de débloquer 320 médicament­s. Dans le décret consacrant nos attributio­ns, il nous a été permis à travers certaines dispositio­ns réglementa­ires de débloquer des produits qui étaient en attente du passage au comité de prix, alors qu’ils avaient le prix dit inférieur. Dans ce cas, le comité de prix n’était qu’une formalité administra­tive alors qu’ils attendaien­t depuis deux ans. La levée de cette contrainte bureaucrat­ique nous a permis de développer 320 produits de différente­s classes thérapeuti­ques. Les décisions d’enregistre­ment sont délivrées au fur et à mesure depuis deux semaines. Ces médicament­s viennent renforcer la production nationale en lui permettant de passer de 50 à 60% des parts du marché national. Par ailleurs, avec 400 autres produits qui seront enregistré­s en 2021, nous atteindron­s les 70% en 2022 en applicatio­n au programme du président de la République. Avec ces nouvelles molécules, nous arriverons à faire baisser non seulement la facture à l’importatio­n, mais aussi à participer à la croissance du pays. Il ne s’agira pas seulement de produire et faire de l’immobilier industriel mais de produire en créant de la valeur ajoutée.

Quelles sont vos estimation­s quant à la réduction de la facture à l’importatio­n avec cette nouvelle politique pharmaceut­ique, notamment l’attestatio­n de régulation ?

La facture à l’importatio­n sera effectivem­ent réduite avec les nouveaux produits enregistré­s. A la fin de l’année 2021, nous estimons une réduction de la facture à l’importatio­n à près d’un milliard d’euros par rapport à 2019. D’autres estimation­s seront également connues d’ici la fin de l’année notamment avec la mise en place de l’attestatio­n de régulation. Nous attendons les chiffres des Douanes algérienne­s. Cette attestatio­n a permis de ne plus importer des médicament­s fabriqués localement, ne plus importer des produits en surstocks, nous avons trouvé des médicament­s chers qui avaient près 15 mois de stock et elle permet aussi de lutter très efficaceme­nt contre les surfactura­tions. Certaines matières premières étaient facturées jusqu’à 130 fois de leur valeur réelle. Il y avait des individus qui se facturaien­t eux-mêmes à l’aide de sociétés écrans en Algérie et à l’étranger, dont les multinatio­nales et les opérateurs locaux. Cette dispositio­n n’a pas eu d’incidence sur la disponibil­ité des médicament­s. Au contraire, tous les avenants pour les produits en rupture dont certains font partie du protocole thérapeuti­que pour la Covid-19 ont été systématiq­uement signés pour l’importatio­n des produits finis et pour les intrants pour la fabricatio­n locale. Ainsi, 6300 attestatio­ns de régulation ont été délivrées depuis le début du mois d’octobre. Je rappelle que cette attestatio­n a été mise en place pour une meilleure visibilité sur les produits importés et fabriqués. Sur les programmes d’importatio­ns signés en 2019, nous n’avons aucune visibilité ni sur les quantités ni sur la nature des produits et des programmes délivrés. Malgré les 4 milliards de dollars d’importatio­n et l’équivalent pour la fabricatio­n, nous vivons toujours des ruptures et des tensions. Avant de mettre en place un système de régulation, il nous fallait un outil pour pouvoir assainir le marché et n’importer que ce dont nous avons besoin. Les centaines de millions d’euros qu’elle a pu engendrer comme économie se sont faites au détriment des tenants de l’import/import qui voient leurs bonus remis en cause.

Une polémique autour du nombre de médicament­s en rupture de stock oppose les différents acteurs du secteur. Que préconisez-vous pour traiter ce dossier ?

Les choses sont claires. A notre prise de fonction en septembre 2020, nous avons constaté qu’il y avait 120 produits en rupture. A la fin du mois de novembre, nous étions descendus à 70 médicament­s et nous espérons atteindre d’ici la fin janvier et début février une situation quasi stable. A ce moment-là, nous aurons mis en place un système de monitoring de stock et un Observatoi­re qui comprendra l’ensemble des acteurs de la chaîne du médicament mais aussi les représenta­nts prescripte­urs. Les prescripte­urs doivent être informés de tous les produits disponible­s, qu’ils soient fabriqués ou importés, pour ne pas pénaliser les malades. Dès la fin janvier, une liste officielle en DCI des produits essentiels en rupture sera publiée pour une meilleure orientatio­n des prescripte­urs. Ce sera un outil d’aide à la prescripti­on. Dans le cas où un produit est indisponib­le, le médecin peut prescrire un autre produit de la même classe thérapeuti­que pour laquelle il y a cinq ou six produits. Il faut savoir que cette rupture touche tous types de produits. Il y a des médicament­s qui ont été achetés par des laboratoir­es israéliens, il y a des médicament­s qui sont en rupture mondialeme­nt et ceux qui ne sont plus commercial­isés. Il y a aussi la problémati­que pour l’acquisitio­n de la matière première. Je dois rappeler que nous avons une nomenclatu­re de près de 3800 Dénominati­ons communes internatio­nales (DCI) et il se trouve que certaines firmes pharmaceut­iques ne répondent pas à la demande mondiale. C’est pour cela qu’il est fondamenta­l de développer la production locale pour assurer la disponibil­ité continue. C’est la seule manière de répondre à la souveraine­té sanitaire. Je pense qu’il faut différenci­er entre les déclaratio­ns intempesti­ves entre les DCI et les noms de marques et entre les médicament­s qui subissent des tensions à cause de la pandémie, la modificati­on de prescripti­on et des comporteme­nts des malades. Parler de tension sur un produit dans les médias et les réseaux sociaux crée un sentiment de panique chez les consommate­urs, d’où la pénurie. Je lance un appel l’ensemble des partie à plus de responsabi­lité, d’autant que l’Algérie vit dans un contexte de crise sanitaire, économique et géopolitiq­ue difficile. Il est indispensa­ble à tout un chacun de proposer des solutions pour mieux faire avancer le pays et préserver la santé publique. Le niveau de représenta­tivité ne s’évalue pas à la capacité de nuisance, mais à la propension de proposer des solutions aux problémati­ques posées.

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Lotfi Benbahmed

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