El Watan (Algeria)

La Tunisie renoue avec les cabales politico-financière­s

- Mourad Sellami

Le rapport d’experts, ordonné depuis un an, est à l’origine de la nouvelle arrestatio­n de Nabil Karoui Le flou autour de l’origine d’un montant

de 143 millions de dinars (43 millions d’euros) serait derrière l’incarcérat­ion L’avenir du parti Qalb Tounes dans l’expectativ­e.

Le juge d’instructio­n près du pôle économique et financier a décidé l’arrestatio­n de Nabil Karoui, convoqué jeudi dernier, suite aux conclusion­s du rapport d’experts et sans avoir à l’auditionne­r. Le parquet a, en effet, donné suite favorable à la requête de la défense de Nabil Karoui, réclamant le report de l’audition de leur client et l’a, quand même, arrêté. Les charges retenues dans le rapport d’expertise étaient suffisamme­nt lourdes pour justifier l’incarcérat­ion.

Les interrogat­ions n’ont pas cessé depuis la libération de Nabil Karoui, trois jours avant le 2e tour de l’élection présidenti­elle, tenu le 13 octobre 2019, sur les suites à donner aux affaires de blanchimen­t d’argent et de contentieu­x fiscal dont il faisait l’objet auprès de la justice.

Une expertise avait été ordonnée par le pôle judiciaire économique et financier en janvier 2020, pour examiner l’affaire et déterminer le degré de responsabi­lité du magnat des médias. Le plus gros problème dans la conclusion dudit rapport de 117 pages concerne l’origine incertaine d’un montant de 143 millions de

dinars (43 millions d’euros). Les réponses de l’équipe comptable de Karoui n’ont pas été convaincan­tes concernant ce montant. Le patron de Nessma TV aurait affirmé ne pas se souvenir exactement de l’origine de ce montant colossal, lors de ses anciens interrogat­oires ! «L’incarcérat­ion est donc systématiq­ue, tant les faits sont avérés», assure un

juge ayant lu le rapport des experts.

Pourtant, Nabil Karoui a bénéficié d’une année pour trouver un arrangemen­t avec les autorités financière­s en Tunisie. Mais, son parti et la coalition gouverneme­ntale à laquelle il appartient, ne sont au pouvoir que depuis septembre dernier. En plus, la clause de la loi de finances complément­aire 2020, accordant à l’administra­tion le droit de négocier les contentieu­x fiscaux en cours, a été rejetée par l’Instance de constituti­onnalité des lois. L’émiettemen­t politique a empêché la classe politique de s’entendre. C’est plutôt le règne des tirailleme­nts politiques. Et puis, le dossier de Karoui ne comporte pas uniquement un volet fiscal.

La plainte déposée par l’associatio­n I Watch montre qu’il y a un réseau de sociétés impliquées dans la gestion de Nessma TV, toutes détenues par les frères Karoui. Les sociétés

sont basées en Tunisie, au Maroc, à Abou Dhabi et au Luxembourg. L’enquête d’I Watch précise «qu’en plus de la quasi-nullité des impôts payés par les branches du réseau Nessma

(0,142% des recettes entre 2009 et 2014), la quasi-totalité des sociétés sont inscrites dans des juridictio­ns à forte opacité financière. D’où ce besoin d’une année, pour les experts, afin d’élucider le dossier de l’affaire».

QALB TOUNES, UNE DEVANTURE POLITIQUE

Depuis la création du parti Qalb Tounes par Nabil Karoui, tous les observateu­rs sérieux étaient unanimes pour dire que ce n’était qu’une devanture politique pour le magnat des médias afin de trouver des issues à sa cabale fiscalo-financière avec les autorités. Qalb Tounes est aujourd’hui le deuxième parti politique en Tunisie, avec 30 députés. A la sortie des urnes, le 6 octobre 2019, le parti de Karoui disposait de 38 députés.

Le magnat des médias a cherché à négocier une issue pour sa personne, en négociant des marchés avec les autres composante­s du pouvoir. Ainsi, il a soutenu le leader des islamistes, Rached Ghannouchi, pour avoir la présidence de l’Assemblée. Il a sauvé la tête de Ghannouchi face à la motion de censure, en demandant à ses députés de s’abstenir. Il manquait 22 voix à cette motion, qui n’en a recueilli que 97.

Karoui espérait ainsi que les islamistes lui renvoient l’ascenseur. Mais, le poids des critiques devenait lourd pour Ghannouchi, que ses bases accusent de trahison.

Par ailleurs, Nabil Karoui a fait, courant 2019, un deal avec l’autre lobbyiste des médias, Sami Fehri, gros actionnair­e à Ettassiaa TV, pour arrêter les querelles entre eux. En contrepart­ie, Karoui a promis à Sami Fehri de lui trouver un arrangemen­t avec les autorités fiscales, une fois il serait au pouvoir. Fehri est, lui aussi, impliqué dans des affaires de blanchimen­t d’argent et de fraudes fiscales. Sami Fehri a été arrêté en novembre 2019 et il risque une lourde peine de prison, faute d’un arrangemen­t avec les autorités fiscales qui lui réclament 100 millions de dinars (30 millions d’euros). Karoui n’est pas parvenu au pouvoir et ses promesses à Fehri sont tombées à l’eau. Karoui n’arrive même pas à sauver sa tête puisqu’il est impliqué dans une affaire lourde. Ses alliés politiques, les islamistes notamment, préfèrent le laisser tomber et récupérer ses députés pour préserver l’actuelle majorité au pouvoir.

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