Réhabilitation inachevée
Un aéroport, un lycée et une maison familiale transformée en musée. Le nom de Abane, dont on commémore aujourd’hui le 63e anniversaire de sa mort, n’a pas pris toute sa place dans l’Algérie indépendante, alors que son passage tel un «météore» dans la Guerre de Libération nationale avait permis de mener la Révolution de Novembre à la victoire. Après son assassinat, qui demeure toujours la «zone d’ombre» originelle du système encore en place, le déni et l’oubli ont été soigneusement organisés pendant des décennies. Evacués des programmes scolaires, de la vie publique et des cérémonies officielles, la mémoire et le parcours de Abane Ramdane étaient l’objet d’une stratégie d’escamotage sans fin. Le Congrès de la Soummam, dont il fut le concepteur principal, et qui constitua, de l’avis de tous, le tournant décisif de la Guerre d’indépendance, n’a pas échappé aux velléités d’occultation, puisqu’il sera couplé à un autre événement révolutionnaire dans le seul but de le diluer ou d’en réduire la portée historique cardinale. Tout a été conçu pour éloigner les regards d’une plateforme politique née le 20 Août 1956 et qui connaîtra le même sort que ses artisans. Aujourd’hui encore, les idéaux de la Soummam heurtent frontalement le mode de gestion et de décision en vigueur dans le pays. Le conditionnement de l’opinion fait qu’il est quasiment admis que ce sont les tractations claniques dans la sphère militaire qui déterminent la suite des événements politiques. Si la plupart des chantiers post-indépendance ont connu l’échec, celui du maintien d’un système qui a fait prévaloir la force sur l’intelligence semble passer tous les obstacles. L’élément «civil» reste en marge du débat national, abandonnant l’arène à des intégristes vindicatifs ou à de hauts gradés pourtant en fin de parcours. La quadrature du système n’est toujours pas levée et plombe durablement les perspectives du pays. Le message de Abane et du Congrès de la Soummam ne jure pas seulement avec les traditions du sérail, il n’est également pas adopté ou consacré dans la vie politique se fixant pour objectif de construire un nouveau destin national. Il n’est sans doute pas possible de refaire l’histoire ou de rééditer des actions qui avaient changé le cours des événements, mais l’esprit d’ouverture envers les autres courants et franges de la population est l’exigence première pour tout projet d’émancipation citoyenne. La scène politique actuelle renvoie une image d’émiettement et d’antagonismes qui sont d’autant plus dommageables qu’ils sont souvent assimilés à une vie démocratique régulière. L’exclusion héritée du système n’a pas manqué de prospérer dans les rangs de l’opposition. La symbiose populaire réinventée un certain 22 février 2019 n’a pas connu de traduction à travers une réponse politique probante et viable. C’est cette coupure entre la dynamique citoyenne, qui s’est pourtant étalée pendant de longs mois dans la rue, et l’action politique structurée qui a fait que le rejet ne s’est jamais transformé en projet.