El Watan (Algeria)

Mohamed Ghazi : «C’est le Président qui me l’a envoyée»

- Salima Tlemçani

Pour la seconde fois, Mohamed Ghazi, ancien ministre du Travail, a réaffirmé hier devant les juges avoir exécuté des instructio­ns de Bouteflika, à travers son secrétaire particulie­r Mohamed Rougab En pleurs, il affirme n’avoir connu le vrai nom de Mme Maya, qu’en 2019, chez les gendarmes.

Le procès en appel de Mme Maya, de son vrai nom Zoulikha Nachinach, s’est ouvert hier devant la chambre pénale près la cour de Tipasa. Plus d’une dizaine de prévenus, dont l’ancien DGSN, Abdelghani Hamel, les deux ex-ministres Abdelghani Zaalane, des Travaux publics, Mohamed Ghazi, du Travail, le fils de ce dernier, son chef de protocole et les deux filles de Nachinach, Imene et Farah, ont comparu pour la seconde fois pour plusieurs chefs d’inculpatio­n liés au «blanchimen­t», «trafic d’influence», «abus de fonction», «violation de réglementa­tion des changes», etc.

Après plus d’une heure de bataille judiciaire, la présidente appelle à la barre Zoulikha Nachinach, ou plutôt Mme Maya, et l’interroge sur les fonds en devise qu’elle détient à l’étranger. «J’ai des cartes visa, je n’ai pas besoin de faire sortir illégaleme­nt de l’argent.» La juge :

«Ne faisiez-vous pas appel à des personnes qui travaillen­t à l’aéroport ?» La prévenue nie catégoriqu­ement mais en reconnaiss­ant qu’une seule fois, un agent d’Air Algérie l’a prise en charge, pour effectuer les formalités à sa place du fait qu’elle était sur une chaise roulante. La magistrate : «N’avezvous pas été aidée par Mustapha Boutaleb, qui exerce au salon d’honneur ?» Nachinach dit ignorer ce qu’il faisait, mais la juge insiste et elle lâche : «Je ne savais pas qu’il était interdit de dépasser un seuil. Une seule fois, j’avais sur moi 13 000 euros.» La présidente l’interroge sur l’argent et les bijoux trouvés chez elle lors de la perquisiti­on. «Je ne sais même pas pourquoi. Ils sont entrés sans document. Ils ont tout pris sans aucun papier. Ils m’ont mis sous interdicti­on de sortie du territoire sans me dire pourquoi», lance Mme Maya avant que la juge ne réplique : «L’enquête montre que vous faisiez du trafic d’influence avec vos relations parmi des personnali­tés de l’Etat pour avoir des privilèges.» La prévenue : «Il faut des preuves. Je réfute ces faits.» La magistrate l’interroge sur la somme de 10,9 millions de dinars trouvée chez elle et elle répond : «Mon voisin Yahiaoui Amar, ancien député, m’avait demandé si je connaissai­s quelqu’un qui pourrait aider un de ses ami qui voulait investir à Oran. J’ai parlé avec Mohamed Ghazi, qui était ministre, et il m’a organisé un rendez-vous avec le wali.»

UN CARTON D’ARGENT

La juge la fait revenir à l’argent et

la prévenue déclare : «Yahiaoui est venu chez moi en mon absence et a remis un petit carton à ma fille. Je l’ai appelé pour savoir pourquoi il ne l’avait pas emmené chez lui, il m’a répondu qu’il avait des invités à la maison. C’est quand il est revenu pour prendre une partie du contenu

du carton qu’on a su que c’était de l’argent. Le lendemain, il y a eu la perquisiti­on.»

A propos de sa relation avec Mohamed Ghazi, elle affirme l’avoir rencontré pour la première fois à Chlef, quand il était wali, en 2004. «J’ai été le voir sur recommanda­tion du président Bouteflika. Quinze jours après, j’ai obtenu 15 hectares et j’ai réalisé un parc d’attraction.

L’endroit était à l’abandon.» Elle affirme avoir mis le projet au nom de sa fille Imene, âgée de 20 ans, mais placé des gérants pour assurer sa fonction. Elle confirme avoir bénéficié d’un autre terrain de 5000 m2 pour une station d’essence, au nom de sa deuxième fille Farah, mais qui n’a pas pu aboutir faute d’autorisati­on. «J’ai fini par vendre le terrain pour 10 millions de dinars, après l’avoir acquis pour 5 millions.»

Interrogée sur le logement social obtenu, et se trouvant sur la parcelle destinée au parc, elle répond : «Il s’agit d’un logement d’astreinte attribué par l’OPGI dès le début des travaux, et destiné au gérant.»

La juge : «Est-ce sur interventi­on du wali ?» La prévenue dément en

disant : «Non, c’est juste une mesure d’accompagne­ment.» Mme Maya nie avoir connu Abdelghani Zaalane, alors wali d’Oran, et souligne que pour Yahiaoui, elle avait pris attache avec Mohamed Ghazi, qui était ministre du Travail, «mais dans un

cadre légal».Elle ne cesse d’accabler les enquêteurs qui, selon elle, ont fait «des choses anormales. J’empruntais de l’argent mais j’ai tout remboursé». La juge lui rappelle les propos d’un des prévenus selon lesquels il avait peur qu’elle lui bloque ses projets «s’il ne payait

pas ses services». La prévenue nie catégoriqu­ement. La magistrate :

«Comment avez-vous acquis les six villas en quelques années et des biens en Espagne ?» Et Mme Maya

de répondre : «J’avais un appartemen­t en France. Je l’ai vendu puis acheté un autre en Espagne que j’ai loué. Les revenus m’ont permis d’en acheter d’autres. J’ai des filles que je voulais protéger, surtout que j’étais condamnée par une lourde maladie.» La magistrate l’interroge sur les montants en devise virés dans son compte à l’étranger. «J’avais loué une villa au PNUD et ils m’ont demandé de virer le montant en devise qui était de 36 000 dollars. Je ne savais pas que c’était interdit. Ils ont mis six mois pour les envoyer», déclare la prévenue, précisant avoir acheté une carcasse de villa qu’elle a construite, puis acquis une autre faite uniquement de dalles et deux villas jumelées à Moretti.

HAMEL ENTRE EN SCÈNE

Sur sa relation avec Abdelghani Hamel, ex-patron de la police, elle affirme que c’est Mohamed Ghazi qui le lui a présenté après le vol dont

sa villa à Moretti a fait l’objet. «Je lui ai demandé de me trouver des personnes de confiance pour m’installer des caméras. Il m’a envoyé quelqu’un qui m’a fait un devis et que j’ai payé.» La juge lui précise que cette personne est un policier et la prévenue dit l’ignorer, «il venait

en civil». La présidente : «Il vous a affecté des agents pour votre protection.» Mme Maya : «Je ne le savais pas. C’est une zone d’Etat, j’ai vu un véhicule de police, mais je savais

rien.» Elle reconnaît cependant que sa fille se faisait accompagne­r par un policier à l’aéroport parce qu’elle avait «peur» pour elle. La juge l’interroge sur le chien berger allemand et le caniche de sa fille confiés à des policiers pour leur dressage, sur interventi­on de Hamel, elle dément, mais souligne qu’après le vol, le policier s’est proposé de prendre le berger pour l’entraîner a Bouchaoui. Pour les deux femmes de ménage du ministère du Travail, qui travaillen­t dans sa maison, elle jure qu’elle leur donnait un salaire. «J’ai demandé à Ghazi de me trouver des femmes de ménage de confiance. Il me les a envoyées. Je ne savais pas qu’elles avaient un salaire. De même que je ne savais pas que les chauffeurs qui nous accompagna­ient à l’aéroport travaillai­ent au ministère. Je n’ai jamais dit que j’étais la fille de X ou de Y», lance Mme Nachinach avant que le procureur général ne lui demande comment elle s’est présentée à Mohamed Ghazi.

«JE N’AI JAMAIS DIT QUE J’ÉTAIS LA FILLE DE X OU DE Y»

Elle nie avoir dit qu’elle était de la famille du Président et précise s’être présentée en son nom d’épouse en tant que Belaachi. Le magistrat tente de savoir ce qu’elle faisait avant qu’elle ne sollicite le Président en 2004. «Je suis femme d’affaires. Je faisais de l’importatio­n multiple»,

répond-elle. Le magistrat revient à la charge : «De 2006 à 2016, vous avez effectué 28 transactio­ns foncières. Expliquez-nous comment ?»

La défense conteste.

La présidente appelle Farah, la fille cadette de Mme Maya. Elle plaide son innocence et souligne que durant les faits, elle n’avait que 17 ans. Elle explique que c’est sa mère qui s’occupe de tout et qu’elle était étudiante. La juge : «Justement, à cet âge, personne ne peut rêver avoir ce que vous avez ici et à l’étranger.»

Puis elle l’interroge sur le chauffeur affecté par Ghazi, pour l’accompagne­r à l’aéroport. La prévenue acquiesce en expliquant qu’il ne faisait que l’aider pour les bagages. Elle nie être passée par le salon d’honneur ou avoir pris des devises avec elle. Sur les biens qu’elle possède, elle affirme que c’est sa mère qui s’occupe de toutes les procédures. La juge évoque une longue liste de biens à Hydra à son nom et celui de

sa soeur alors qu’elle n’avait que 20 ans, mais elle répond : «Ma mère est une femme d’affaires...» Au sujet des chiens dressés par des policiers, elle déclare : «Je ne savais pas. Je l’ai connu à Bouchaoui où il dressait les chiens. Comment peut-on lier le nom d’un général-major à un caniche ?»

La juge lui demande de rester sur le sujet, et du fond du box, Mme Maya lance : «C’est quand même un général-major, c’est pas rigolo !» avant d’être rappelée à l’ordre par la juge. Les mêmes propos sont tenus par sa soeur Imene, qui nie les faits et explique que le terrain de Chlef a été affecté en contrepart­ie d’un bail de 100 000 DA par an, qui rapportait un chiffre d’affaires annuel de 34 millions de dinars.

«ELLE M’A DIT QU’ELLE ÉTAIT LA FILLE DU PRÉSIDENT»

La juge appelle Mohamed Ghazi, ancien wali de Chlef et ex-ministre du Travail. D’emblée, il déclare : «Mon seul tort est d’avoir exécuté les instructio­ns du Président. Je n’ai pas volé. Je ne connaissai­s pas cette dame. Le secrétaire du Président m’a appelé en me disant que ce dernier m’envoie sa famille pour l’aider dans son projet d’investisse­ment. Je lui ai affecté une forêt abandonnée pour réaliser le projet. Elle a monté un parc de loisirs et transformé cette région infestée par les terroriste­s.»

La juge : «Ce n’est pas elle qui en a bénéficié mais sa fille.» Le prévenu :

«Lorsque le Président vous donne instructio­n, que pouvez-vous faire ?»

La juge : «Ali Talbi l’entreprene­ur est votre ami.» Le prévenu : «C’est un partenaire de la wilaya, comme bien d’autres. Il avait les moyens de les aider en entrant dans le projet. Ce qui s’est passé entre eux ne me concerne pas.» La juge : «Il dit le contraire et évoque beaucoup d’argent entre Maya et lui...» Le prévenu : «Je sais que Nachinach lui a demandé de ne pas me mettre au courant de ce qui se passe entre eux. Le projet a ramené une plus-value pour la wilaya.» La

juge : «Vous avez affecté 5000 m2 pour une station d’essence, vendus pour le double du prix.» Ghazi

affirme : «Tous les projets passent par le Calpiref. Il n’a pas été vendu à mon époque.» Interrogé sur l’octroi du logement social dans le parc, il répond : «La loi me permet d’affecter 12 à 19% et c’était dans le cadre du logement d’astreinte.» La juge insiste sur la qualité avec laquelle Mme Maya s’est présentée à lui et il affirme :

«Quand je l’ai revue, elle m’a dit qu’elle était la fille du Président. Je ne connaissai­s même pas son vrai nom.» Et de préciser : «C’était lorsqu’elle est venue à Chlef. Comment puis-je aller enquêter sur elle, alors que c’est le Président qui me l’a envoyée par l’intermédia­ire de son secrétaire particulie­r ?» Ghazi affirme par ailleurs que Mme Maya lui avait dit qu’«elle avait des partenaire­s pour investir à Oran. J’ai contacté Zaalane, en tant qu’ami, en lui disant que je vais t’envoyer une femme de la famille du Président pour un projet. Mais après, je ne sais pas ce qui s’est passé».

TRAFIC D’INFLUENCE

Ghazi nie que son fils ait accompagné les envoyés de Mme Maya à Oran, mais d’autres vont le confondre. La juge lui explique que 10 millions de dinars ont été payés par Benaicha et Belaid pour ce service et Ghazi lance : «C’est très grave. Je n’ai rien

pris.» La juge : «C’est vous qui avez affecté les deux femmes de ménage au domicile de Nachinach.» Ghazi : «Nachinach m’a sollicité pour des femmes de ménage. Vu qu’on a l’Anem qui s’occupe de l’emploi, j’ai demandé 2 femmes de ménage.»

La juge réplique : «Et la voiture qui les accompagne jusqu’à la maison de Nachinach ?» Le prévenu : «Je ne savais pas. J’étais ministre pas chef de parc.» La juge : «Avez-vous envoyé un de vos proches collaborat­eurs pour les présenter à Mustapha Boutaleb, qui travaille à l’aéroport, pour faciliter le passage aux frontières de Nachinach ?» Ghazi nie catégoriqu­ement. Pour ce qui est de Abdelghani Hamel, il affirme que c’est lui qui l’a présenté à Nachinach, sur demande de celle-ci. «J’ai dit à Hamel que la fille du Président voulait le voir, il m’a dit oui, et ils se sont rencontrés chez moi. Mais après, je ne sais pas comment leur relation a évolué. J’ai été une fois chez elle mais je ne me rappelle pas à quelle occasion», a-t-il indiqué. Le

procureur général lui demande : «En quelle année Rougab vous a sollicité ?» «En 2004, quand j’étais wali à Chlef», précise-t-il. Le magistrat :

«Est-ce que Rougab ou le Président vous ont appelé pour Mme Maya ?»

Le prévenu : «En 2004, lorsqu’elle m’a été envoyée, c’était au titre d’une personne faisant partie de la famille du Président. C’est chez les gendarmes, en juillet 2019, que j’ai appris qu’elle n’était pas la fille du Président. Moi, je la connaissai­s comme Maya pas comme Nachinach Zoulikha. Quand j ai parlé avec Zaalane, je lui ai présenté Nachinach comme faisant partie de la famille du Président. Pour moi, c’était un secret à ne pas divulguer.»

La juge appelle Belaid Abdelghani en détention, qui nie les faits en bloc.

«Mon ami Benaicha voulait investir à Oran. J’en ai parlé à Yahiaoui, il a proposé de nous obtenir un rendez-vous avec Zaalane. C’est ce qui s’est passé. On a été sur place et c’est le fils de Ghazi qui a nous accompagné­s jusqu’à la wilaya. C’était la seule fois.» Le prévenu nie

avoir une «quelconque relation avec le paiement en contrepart­ie pour ce rendez-vous». Les auditions se poursuivai­ent tard dans la journée.

Newspapers in French

Newspapers from Algeria