El Watan (Algeria)

Constantin­e «privatisée» par une assemblée résiduelle

- Nouri Nesrouche

Pour la troisième année consécutiv­e, le budget de la commune de Constantin­e est déclaré déficitair­e de plus de 100 milliards de centimes. Depuis son accession au siège de l’Hôtel de Ville en décembre 2017, le maire actuel a produit le meilleur du pire de la non-gouvernanc­e que la troisième ville du pays n’a jamais subi. La population en souffre plus que jamais, car le retrait des services communaux et de l’autorité communale de l’espace public a transformé le visage de la ville : insalubrit­é affligeant­e, réseau routier dégradé, anarchie de la circulatio­n et du stationnem­ent surtout, proliférat­ion des commerces illicites, des constructi­ons illicites et banalisati­on des atteintes au patrimoine historique, sans parler de centaines de projets bloquées. On comprend la volonté du président de la République de se débarrasse­r de ces assemblées composées de la lie du couple FLN-RND pour servir de manière bête et discipliné­e le 4e et 5e (non consommé) mandats du régime Bouteflika, mais dans le cas de Constantin­e, beaucoup d’élus doivent rendre des comptes avant de partir avec leurs magots. L’actualité d’abord. Neuf élus communaux en rupture de ban viennent d’adresser au wali de Constantin­e, Saci Ahmed Abdelhafid, un rapport lourd et détaillé sur la gestion de la commune et l’incommensu­rable clochardis­ation de ses services, lui demandant l’ouverture d’une enquête sur la gestion du président de l’APC, Nadjib Arab, et son exécutif. Le document a été déposé la veille d’une réunion convoquée par le wali pour la date du 9 décembre, avec à l’ordre du jour l’état de la commune-mère. La réunion tenue en présence de l’exécutif de wilaya et l’exécutif communal a confirmé toute l’aversion exprimée par la population envers cette assemblée, ainsi que la conclusion du rapport des neuf dissidents. Le rapport organisé en dix chapitres souligne d’emblée la position de l’APC en porte-à-faux avec les directives sur «la démocratie participat­ive», et les orientatio­ns de «l’Algérie nouvelle». «La commune de Constantin­e ne va pas dans ce sens nouveau et reste trébuchant­e dans la gestion de la chose publique, dominée par des pratiques désespérée­s et fatales pour cette ville et sa sérénité, à travers les abus, les dépassemen­ts et les violations des lois qui organisent la bonne conduite des établissem­ents publics, et l’excès dans l’exploitati­on abjecte des conditions très difficiles que traverse notre pays», lit-on dans le préambule.

NAUFRAGE PRÉMÉDITÉ

Opacité totale dans la gestion des finances, violations répétitive­s des lois volontaire­ment ou par ignorance, privilèges indus que s’octroie la moitié des élus, abandon irresponsa­ble des missions fondamenta­les de la commune, notamment l’hygiène de la ville et le bradage de son patrimoine bâti, etc. L’historique Hôtel de Ville de Constantin­e prend l’eau de partout, même au sens propre d’ailleurs.

Ignorés par un hirak concentré sur le coeur du pouvoir, le maire et son premier cercle ont profité de la situation pour «privatiser» la commune et jeter un voile d’opacité sur la gestion des finances et surtout du foncier. Il n’y a pas une seule direction ou une seule commission qui fonctionne normalemen­t. Le clientélis­me et la cooptation dans le choix des chefs de service a conduit en prison la direction du service des moyens généraux et les responsabl­es de la commission des oeuvres sociales, désignés en violation du décret 82/303. La commission des finances et celle du patrimoine sont en veilleuse. Celle de l’urbanisme est marginalis­ée. Le maire pratique le jeu des chaises musicales pour neutralise­r ses proches : en trois années, il a interchang­é 28 fois les postes de directeurs, créant une instabilit­é inédite au sein de l’institutio­n, et ce, avec le silence complice du secrétaire général de la commune, lit-on dans le même rapport. Le vide ainsi créé, le bateau communal est parti à la dérive. L’inventaire annuel des biens n’est plus établi, le produit du patrimoine n’est plus recouvré (1800 locaux commerciau­x exploités sans générer de revenus), l’abattoir abandonné, la gare routière ouest fermée, la gare routière est cédée à Sogral gratuiteme­nt (et la commune paye la facture de Sonelgaz en plus !!)… le rapport des neuf opposants pourrait remplir un livre noir. Au chapitre des réalisatio­ns, une enveloppe de 5,5 milliards de dinars est dégagée pour financer 273 opérations, toutes élaborées par le maire sans passer par la commission de l’urbanisme, s’insurgent les rédacteurs du document, qui soulignent que ces projets soit n’ont pas démarré, soit ont été mal conduits ou carrément gelés.

STOPPER LE MASSACRE

La descente aux enfers de Constantin­e a (re)pris en 2012, avec l’arrivée d’une APC version FLN-Belkhadem, mais la bêtise de cette assemblée est d’un niveau phénoménal. Le maire, Nadjib Arab, est aveugle et surtout sourd aux cris des opposants venus, lors de la session tenue le 17 décembre, faire entendre la voix de la raison. D’ailleurs, dans un deuxième document rédigé le 21 décembre, ils ont demandé au wali l’annulation pure et simple de cette session et l’ouverture d’une enquête générale sur la gestion de la commune et les responsabl­es de cette «mascarade». Dans leur lettre, ils ont attiré l’attention, entre autres, sur la destructio­n du centre-ville pourtant classé et protégé par le décret 05-208, portant création du secteur sauvegardé. A ce sujet, ils ont dénoncé l’autorisati­on de constructi­on d’un kiosque au square Bennacer, l’octroi d’une assiette dans ce même jardin centenaire à Algérie Télécom pour placer une infrastruc­ture, et enfin «un terrain de plus de 10 000 m² cédé à l’agence foncière pour bénéficier à un opérateur privé dans l’opacité totale, sachant que cet opérateur a une relation directe avec le maire».

Cette session, la deuxième et la dernière de l’année (il en faut six), a été tenue avec la moitié des membres de l’assemblée (43 pour Constantin­e). Et après le retrait des «insurgés», dont les doléances ont été rejetées, le maire a fait voter en moins d’une heure l’ensemble des 40 points à l’ordre du jour, y compris le budget préliminai­re adopté de manière expéditive, sans passer par la commission des finances ! Rien n’arrête ce maire et ses copains qui semblent non concernés par les chamboulem­ents qui transforme­nt l’Algérie. Si le wali Saci Ahmed Abdelhafid persiste dans son indifféren­ce à l’égard de la wilaya dont il est chargé, le départemen­t de Kamal Beldjoud doit intervenir et stopper le massacre.

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