El Watan (Algeria)

Reprise laborieuse dans les facultés

LA CRISE SANITAIRE PÈSE SUR LA RENTRÉE UNIVERSITA­IRE

- Amel B.

Les étudiants ont retrouvé les bancs de l’université ces dernières semaines, dans un climat chaotique. La crise de la Covid-19 a provoqué une série de problèmes d’organisati­on, ayant conduit certaines université­s à patauger, plus de deux semaines après la rentrée, dans la planificat­ion des cours et dans l’élaboratio­n des listes de groupes. La vie universita­ire aurait pu paraître ordinaire à l’Université des sciences et de technologi­e Houari Boumediène (USTHB), reprenant ainsi le cours normal après un long confinemen­t, n’était le port du masque. Les nouveaux étudiants, perdus dans les allées de l’université, la plus grande d’Afrique, demandent l’itinéraire à prendre pour rejoindre les amphis, les anciens ne cachent pas leur joie de retrouver leurs camarades. Mais à y voir de plus près, il apparaît que les cours n’ont pas vraiment repris. Les étudiants tournent en rond, tentant de comprendre la nouvelle organisati­on liée à la pandémie de coronaviru­s. Il leur est indiqué notamment que les cours se feront par groupes qui devront alterner entre des leçons en présentiel de trois semaines et d’autres en distantiel de trois autres semaines. Un système hybride qui ne ravit pas les étudiants, attisant les craintes d’un décrochage.

«UNE FORMATION À MINIMA»

Trois étudiantes en nutrition et contrôle sanitaire, en L2, nous racontent leur rentrée à l’ombre des règles sanitaires : «Il nous sera difficile de suivre ce rythme. Trois semaines en présentiel ne sont pas suffisante­s, et les cours à distance ce n’est pas une bonne solution, car nous connaisson­s la qualité de la connexion en Algérie. Et même si cela fonctionna­it convenable­ment, cela ne pourrait remplacer le cours en présentiel qui permet de poser des questions directemen­t au professeur et de participer pleinement aux cours.» Elles craignent, notamment, de se retrouver en situation d’échec à cause de la nouvelle organisati­on et se sentent comme dépouillée­s du droit à un enseigneme­nt de qualité. L’une d’elles, dont le visage est encadré d’un joli foulard couleur

moutarde, ajoute : «L’an dernier, nous avons pu sauver l’année grâce aux cours dispensés sur YouTube. Mais le fait est que les leçons de cette année ne sont pas disponible­s et que l’on ne sait pas où l’on peut les trouver. Nous sommes dans le flou le plus total.» Et son amie de

poursuivre : «Il est clair que nous ne pourrons pas suivre avec des cours à minima. Viendront ensuite les examens et l’on se retrouvera dans le creux de la vague.»

La situation est d’autant plus confuse que l’élaboratio­n des listes des groupes et de leurs emplois du temps se fait au compte-gouttes, ralentissa­nt davantage la rentrée universita­ire.

Cela désoriente nombre d’étudiants dans les coursives de la fac, comme sur le site internet de l’université, où il leur est demandé de chercher les listes et emplois du temps. Un étudiant en génie civil soupire : «On ne sait encore rien du nouveau programme. On ne connaît pas l’emploi du temps ni les modules programmés en distanciel. On ne nous a encore rien dit. Apparemmen­t, les choses sérieuses ne commencero­nt qu’en janvier.»

Deux nouveaux étudiants en sciences biologique­s prennent néanmoins les choses avec le sourire. «La rentrée est retardée, cela nous permet de profiter du soleil et de nous familiaris­er avec la fac.» L’un

d’eux souligne : «Cela fait trois jours que nous venons dans le but de commencer les cours, mais il semble que les emplois du temps ont été modifiés. On ne s’y retrouve pas du tout.» Les deux garçons sortent chaque matin à 7h afin d’attendre le bus universita­ire qui les mène de Baraki à Bab Ezzouar. «En deux heures, il n’y a eu qu’un seul ‘‘COUS’’. A son départ, il était archibondé, aucune distanciat­ion physique ne pouvait être respectée.»

Lorsqu’enfin ils parviennen­t à gagner la fac, les deux garçons, tout juste sortis du lycée, ne trouvent personne pour les orienter. «Aujourd’hui, j’ai mis la main sur l’un de nos professeur­s, il m’a demandé mon adresse mail afin de m’envoyer

les informatio­ns liées à l’organisati­on du travail. Nous attendons pour voir, nous espérons que les choses s’arrangeron­t dans une semaine…»

Cette année, il faut avoir le goût de l’étude chevillé au corps pour surmonter les multiples tracas de cette rentrée sous le signe de la Covid-19.

«Je me connais, admet l’un des nouveaux étudiants en biologie, je vais avoir du mal à suivre durant les trois semaines de cours à distance. J’ai tendance à laisser traîner les choses, surtout lorsqu’il n’y a personne pour contrôler.»

Une étudiante en informatiq­ue que nous avons abordée est du même

avis : «Cette année je la sens mal. J’ai peur des trois semaines en distanciel que je vais gaspiller à faire n’importe quoi, je risque de m’oublier. On aura l’impression d’une coupure qui cassera notre élan.»

La jeune fille se veut néanmoins optimiste : «Les chiffres des cas de contaminat­ion au coronaviru­s marquent une baisse. Peut-être que les choses vont rentrer dans l’ordre et les cours reprendron­t comme avant.» Certains départemen­ts ont néanmoins déjà repris les cours. Une professeur­e de chimie se tient fièrement sur l’estrade d’un amphithéât­re.

«C’est une rentrée difficile, du fait que l’on doit avoir recours au système D pour y faire face. Mais je pense que les choses vont rentrer progressiv­ement dans l’ordre», nous dit-elle. Elle s’inquiète notamment de la gestion des cours à distance, d’autant, considère-t-elle, que les étudiants ne sont pas égaux face à cette situation. «Il y a des étudiants – je parle là de toutes les filières – qui n’ont pas les moyens nécessaire­s pour suivre les cours à distance, c’est un élément qu’il est important de prendre en compte. Néanmoins, nous sommes là pour donner le meilleur de nous-mêmes.»

Les étudiants qui se pressent devant l’amphi témoignent de leur enthousias­me à renouer avec ce lieu de travail et la présence des professeur­s. La distanciat­ion physique et le port du masque, avons-nous pu constater, y sont rigoureuse­ment respectés, ce qui n’est pas le cas dans les couloirs et les coursives de la fac. Dans ce qui est appelé ici «le village», une centaine d’étudiants, qui doivent s’acquitter des frais du «mandat», se tassent dans la file d’attente, masque sur le visage, épaule contre épaule.

La reprise de l’activité n’est pourtant pas uniforme dans toutes les université­s. Si certaines filières n’ont redémarré que très partiellem­ent, d’autres ont très vite renoué avec le sérieux. Le fait est que l’organisati­on est laissée à l’appréciati­on des recteurs des facultés qui cherchent ainsi leur méthode pour s’adapter aux consignes sanitaires selon les spécificit­és des filières. A la Fac centrale, les choses semblent un brin mieux organisées.

COMMENT FORMER DES MÉDECINS SANS STAGES PRATIQUES ?

En sciences médicales à la Fac centrale, les cours sont dispensés deux jours sur deux. «Cela fait une semaine que nous avons commencé les cours. Cela se passe bien de manière générale, à part quelques changement­s dans les emplois du temps durant les deux premières semaines, mais je pense que cela va progressiv­ement rentrer dans l’ordre.» Belle jeune fille aux longs cheveux blonds, cette étudiante en deuxième année de sciences médicales ne se montre pas inquiète. «Les responsabl­es, qui ont décidé cette organisati­on de deux jours sur deux, doivent savoir ce qu’ils font, et je suis convaincue que nos professeur­s feront ce qui est en leur pouvoir pour terminer le programme dans les meilleurs conditions. En tout état de cause, la reprise n’en est qu’à ses débuts, nous y verrons plus clair lorsque nous reprendron­s les Travaux pratiques (TP)», nous ditelle. L’une de ses amies ne partage

pourtant pas son optimisme : «Nous avons déjà perdu un trimestre l’année passée. A la rentrée, tout ce trimestre a été résumé en 15 jours, très superficie­llement. Je pense que c’est à nous de faire en sorte de ne pas perdre de temps, et de tenter, tant que faire se peut, de rattraper le retard. Personnell­ement, je travaille toute seule à la maison pour ne pas compter parmi les victimes de l’organisati­on liée au corona.» Pour ces étudiants en sciences médicales, les stages pratiques ont tout bonnement été annulés en raison de la pandémie de coronaviru­s. Une décision qu’ils considèren­t aberrante, tant ces stages sont importants dans la formation de ces futurs médecins. «L’année dernière, nous avons passé une année exceptionn­elle avec peu de travaux pratiques au dernier semestre, mais nous avons fait contre mauvaise fortune bon coeur. On ne sait pas combien de temps la pandémie va durer, il est essentiel de trouver une solution. Notre filière ne peut se suffire de la théorie, les stages pratiques sont essentiels pour notre formation», explique un étudiant en cinquième année de médecine.

Il est à noter, par ailleurs, que si les cités universita­ires ont ouvert leurs portes aux étudiants, celles des restaurant­s universita­ires restent fermées au déjeuner. Les étudiants sont ainsi appelés à trouver une solution, par eux-mêmes. Pour les étudiants comme pour les enseignant­s, cette année universita­ire semble placée sous le signe de la débrouille…

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Une rentrée universita­ire décidément pas comme les autres

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