Le gouvernement mise sur la Bourse
Pour le ministre, la Bourse est la meilleure option pour financer le tissu industriel national et par la même soulager la pression sur le Trésor public.
Le ministre de l’Industrie a confirmé, hier, la volonté du gouvernement de procéder à l’ouverture du capital des entreprises publiques économiques en «situation financière difficile» via la Bourse d’Alger.
Le secteur public économique est plus que jamais à la croisée des chemins. Le ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali, a indiqué, hier lors de son intervention sur la Radio Chaîne I, les changements susceptibles d’intervenir dans le secteur. Il confirmera ainsi la volonté du gouvernement de procéder à l’ouverture du capital des entreprises publiques économiques en «situation financière difficile» via la Bourse d’Alger.
«Une étude approfondie du secteur économique public afin de déterminer ‘‘quelles sont les entreprises qui font face à des difficultés financières et quelles sont les conditions d’obtention des capitaux’’ va être lancée incessamment», a révélé le ministre de l’Industrie, Ferhat Aït Ali. Il a ainsi expliqué que l’ouverture des capitaux ne pourra pas être basée sur les critères précédents et que «le processus ne concernera que les entreprises publiques qui sont dans le besoin de recapitalisation périodique et font face à des difficultés financières, en mobilisant l’épargne via la Bourse d’Alger». Autant dire que le gouvernement prend le contre-pied de ce qui pouvait être entrepris par le passé en la matière. Car si jusque-là il fallait pour une entreprise justifier des trois derniers bilans successifs, dont l’ultime doit être positif pour être éligible à la Bourse, aujourd’hui même les entreprises «déficitaires» pourront taper à la porte de cette institution financière pour un financement. Pour une nouveauté, c’en est vraiment une ! Pour le ministre, la Bourse est la meilleure option pour financer le tissu industriel national et par la même soulager la pression sur le Trésor public. La semaine dernière, le directeur général de la Bourse, Yazid Benmouhoub, a en effet clairement affirmé, dans un entretien à El Watan : «Au niveau de la Bourse, nous avons deux marchés : il y a le marché principal pour les grandes entreprises et le marché de la PME. Pour le marché principal, on exige, entre autres, trois bilans, dont le dernier doit être positif. Mais je précise que, à l’instar de ce qu’avait affirmé le président de la Cosob, compte tenu de la pandémie, nous sommes tout à fait disposés à donner des dérogations pour ce pointlà, parce qu’on sait pertinemment que les entreprises ont été impactées. (…).» Et d’expliciter : «Une société déficitaire peut faire une levée de
fonds, si on voit que son business plan vise à créer de la richesse. Je crois que c’est là aussi que les pouvoirs publics s’inscrivent pour dire que les entreprises publiques doivent évoluer.»
Cela a le mérite d’être clair, puisque la Bourse semble s’être préparée à cette perspective de voir les EPE déficitaires
et en mal de levée de fonds bancaires se diriger vers le marché boursier. Aussi paradoxal que cela puisse paraître, la Bourse d’Alger attire maintenant les entreprises en difficulté financière, alors qu’à l’origine elle devait plutôt être un marché attractif pour les entreprises bien portantes, parce qu’excédentaires. Ainsi, la dérogation, comme son nom l’indique, conçue par la législation de cette institution, pour être l’exception et risque fort bien de devenir la règle. Du coup, il est légitime de se demander ce qui pourrait amener les investisseurs à mettre leur argent via la Bourse dans une entité économique déficitaire et en mal de gestion. La question est centrale. Le gouvernement comme l’autorité boursière sont les seuls à présent à même de répondre à cette question. Tandis que certains économistes considèrent que ce projet reste «un mauvais choix». A l’exemple de l’analyste économique Mahfoud Kaoubi qui porte un regard sévère sur la gestion du secteur marchand de l’Etat. Pour lui, le financement via la Bourse relève parmi les «financements les plus difficiles» en ce qu’il doit satisfaire à nombreuses conditions pour réussir à convaincre les investisseurs. Il en veut pour exemple l’opération de la cimenterie Aïn El Kebira qui, selon lui, a été sanctionnée par «un échec». Selon notre interlocuteur, ce projet de privatisation «n’a aucune chance de réussir, quand bien même il passe par la Bourse. Une Bourse qui est quasiment à l’arrêt. On présente aujourd’hui la Bourse comme une panacée. Ce qui est une chose complètement fausse». L’économiste Abdelrahmi Bessaha, spécialiste de la macroéconomie, n’en pense pas moins. Il dresse d’emblée une série d’obstacles, tout en rappelant l’importance et le poids de ce secteur dans l’économie (28% du PIB). Selon lui, «la Bourse d’Alger est minuscule. Il n’y a pas d’épargne. Les banques, les ménages et les entreprises publiques sont touchés par la crise». Dans la foulée, il fera observer que les banques sont en «très grande difficulté» et préconise d’aller très vite vers des réformes du secteur en optant pour «un nettoyage» au sens que chaque entreprise doit présenter un business plan. Mais pour lui, le gouvernement est en train de «jeter des ballons d’essai. Il est à court d’idées et veut gagner du temps». Et d’asséner : «Le drame, c’est qu’on se dirige tout droit vers le FMI !»