L’autre calvaire des malades de la Covid-19 et de leurs familles
● Qu’il s’agisse de sa forme bénigne ou grave, il est fait état de dommages collatéraux et de conséquences à long terme de l’infection, des semaines, voire des mois après avoir «guéri» et échappé au pire. Fatigue, essoufflement, asthénie chronique, insomnies ou troubles du sommeil, anosmie non résorbée, problèmes gastro-intestinaux, troubles du rythme cardiaque, sautes d’humeur, pleurs, irritabilité, stress, angoisse et sentiment de culpabilité d’avoir contracté le virus et de l’avoir transmis à ses proches, le quotidien des malades qui ont fait face à la Covid-19 ressemble à une longue et sourde bataille livrée en silence.
“«Au moment même où j’ai acquis la certitude que j’étais infecté par le virus, tout de suite des images d’hôpital, d’agonie, de malades intubés ou installés sur le ventre se sont bousculées dans ma tête. Ma femme a aussitôt fondu en larmes quand je lui ai appris que le scanner que je venais d’effectuer révélait une atteinte de 30% de mes poumons, ce qui équivalait à un diagnostic infaillible d’infection par le coronavirus. Les premiers jours de la maladie ont été extrêmement difficiles à vivre sur tous les plans.»
Je me sens vidée, épuisée physiquement et nerveusement au moindre effort. J’ai perdu l’appétit et le goût de vivre et je passe par des phases de déprime profonde, surtout la nuit», avoue Malika B., enseignante dans un lycée et mère de famille qui a contracté le virus de la Covid-19 lors d’une fête familiale organisée en septembre dernier. Comme Malika, qui a accepté de nous livrer son témoignage sous le couvert de l’anonymat, ils sont nombreux aussi bien sur les réseaux sociaux que dans la vie de tous les jours à faire état de détresse physique et psychique comme conséquence de leur infection par la Covid-19.
Deux catégories de malades semblent se dégager dans le lot des infectés par le virus. Ceux qui ont eu une forme bénigne et ceux qui l’ont expérimenté dans sa forme beaucoup plus grave. Avec des fortunes diverses pour les conséquences qui ne sont pas toujours les mêmes pour tous. Elles sont quelque fois déroutantes pour certains.
Qu’il s’agisse de sa forme bénigne ou grave, il est fait état de dommages collatéraux et de conséquences à long terme de l’infection, des semaines, voire des mois après avoir «guéri» et échappé au pire. Fatigue, essoufflement, asthénie chronique, insomnies ou troubles du sommeil, anosmie non résorbée, problèmes gastro-intestinaux, troubles du rythme cardiaque, sautes d’humeur, pleurs, irritabilité, stress, angoisse et sentiment de culpabilité d’avoir contracté le virus et de l’avoir transmis à ses proches, le quotidien des malades qui ont fait face à la Covid-19 ressemble à une longue et sourde bataille livrée en silence.
UNE DÉTRESSE MORALE QUI S’EXPRIME DE TROIS FAÇONS DIFFÉRENTES
Selon les spécialistes consultés, cette détresse morale peut se manifester de trois façons différentes. Sur le plan physique, par de la fatigue ou des troubles du sommeil, par exemple. Sur le plan émotionnel, par le biais de la peur, de la colère et de l’anxiété et sur le plan comportemental enfin, par la dégradation des rapports avec les proches ou une dépendance accrue à l’alcool ou à la toxicomanie. Reconnaître sa propre détresse morale ou celle de ses proches est, disent ces spécialistes, la première étape qui permet de la surmonter. En outre, avec l’isolement, le confinement, la distanciation sociale et les mesures de sécurité liés à la pandémie, le soutien social des proches, de la famille et des amis a de la peine à se manifester autrement que par téléphone et le bien-être psychologique des malades s’en trouve gravement affecté.
Là ou se déroule l’essentiel de la lutte contre la pandémie, dans les hôpitaux comme en dehors, très souvent on tente de parer au plus pressé : sauver des vies. Il est aisé de constater que la prise en charge psychologique des malades n’est assurée ni pendant ni après la maladie. Il est vrai que l’urgence est souvent de trouver une place dans un hôpital, une bouteille d’oxygène ou un médicament manquant que les conseils d’un psychologue ou d’un psychiatre. Dans cette guerre à sauver des vies avant qu’elles ne soient happées par un virus aussi inconnu que déroutant, aucun dispositif n’a été mis en place pour que le malade et le parent angoissé trouvent une écoute à même de répondre à leurs questionnements ou pour calmer leurs peurs et leurs angoisses. «Au moment même où j’ai acquis la certitude que j’étais infecté par le virus, tout de suite des images d’hôpital, d’agonie, de malades intubés ou installés sur le ventre se sont bousculées dans ma tête. Ma femme a aussitôt fondu en larmes quand je lui ai appris que le scanner que je venais d’effectuer révélait une atteinte de 30% de mes poumons, ce qui équivalait à un diagnostic infaillible d’infection par le coronavirus. Les premiers jours de la maladie ont été extrêmement difficiles à vivre sur tous les plans», dit Saïd, infirmier dans un EPSP à Béjaïa. «Cependant, le sentiment de culpabilité d’avoir ramené le virus à la maison et d’avoir infecté ma famille a été très dur à supporter. Même sans conséquences dramatiques, fort heureusement, pour mon foyer, je n’arrive toujours pas à m’en débarrasser, car la menace persiste puisque cette situation peut encore se renouveler du moment qu’on peut être réinfectés une deuxième fois à tout moment, étant donné que d’avoir contracté le virus ne garantit pas l’immunité», lâche-t-il.
«DES CONSÉQUENCES POSTTRAUMATIQUES COMME POUR LE TERRORISME»
«Quand ils arrivent dans mon cabinet pour une consultation, ils sont très souvent dans une grande détresse psychologique et on doit avant tout les rassurer et tenter de diminuer ou de dissiper leurs angoisses avant de leur prescrire un protocole de soins à suivre scrupuleusement», dit Fouad B., pneumo-phtisiologue installé dans la région d’Akbou. «Avant, on recevait un ou deux malades de la Covid-19 par jour. Aujourd’hui, on en est à plus d’une dizaine par jour», ajoute-t-il. Dans le feu de l’action et de la guerre acharnée livrée par le corps médical et la recherche scientifique au coronavirus depuis son apparition dans la province chinoise de Wuhan, il y a de cela un peu plus d’une année, on commence à peine à se pencher sur l’autre face cachée de la pandémie : ses symptômes à long terme. Ce qui semble tout aussi vital et urgent est la prise en charge psychologique ou l’accompagnement des malades, et de leurs familles touchées tout autant. Certaines familles infectées ont perdu plusieurs membres en l’espace de quelques jours ou quelques semaines. D’autres ont perdu un père, une mère ou un frère en France ou ailleurs dans le vaste monde, sans jamais pouvoir lui dire adieu, jeter un dernier regard sur sa dépouille ou le mettre en terre avec l’ensemble de la famille réunie. Mustapha Berraki, psychiatre dont nous avons demandé l’avis, avoue que pour le moment, il ne reçoit dans son cabinet que les malades habituels qu’il suit et soigne depuis des années. «Je pense que comme pour le terrorisme, les conséquences post-traumatiques apparaîtront à plus long terme. Dans une deuxième phase. Avec les circonstances particulières liées à la pandémie, beaucoup de familles n’ont même pas pu faire leur deuil correctement avec des êtres chers qui n’ont pu être ni visités durant leur hospitalisation ni accompagnés à leur dernière demeure», dit-il.
METTRE DES MOTS SUR LES MAUX
Pour ne rien arranger, la situation particulièrement difficile que traverse le pays et l’incertitude qui pèse sur son avenir immédiat dans le contexte des crises politique, économique, sanitaire et sociale devenues chroniques ont déjà fragilisé le moral de larges catégories sociales touchées de plein fouet et devenues hautement vulnérables sur le plan social et économique. La compassion a l’air de s’user à mesure que la pandémie semble se prolonger indéfiniment et s’installer dans la durée. Beaucoup de citoyens ont perdu leur gagne-pain ou ont du mal à joindre les deux bouts. Les liens sociaux se sont distendus et la traditionnelle solidarité et entraide d’une société habituée à se serrer les coudes dans les moments difficiles s’effilochent et perdent leurs élans sous l’effet de l’usure du temps. L’Etat, ou ce qu’il en reste comme appareils, paraît plus angoissé par sa propre survie que par le bien-être de ses citoyens livrés à eux-mêmes. Sur un autre plan, concernant les catégories les plus fragiles et les plus vulnérables, un psychopédagogue rencontré récemment au cours d’une réunion de proximité organisée dans un quartier de la ville de Béjaïa attirait l’attention sur les dangers qui guettent élèves et étudiants ayant déserté les bancs des écoles, des instituts et des universités depuis des mois. Le décrochage scolaire, entre autres, est une réelle menace quand le temps viendra de reprendre le cours d’une vie scolaire brutalement et longuement interrompue. «On ne parle pas assez à nos plus jeunes enfants, nos élèves du primaire, du CEM ou du lycée, car ils sont les plus vulnérables. Il faut savoir que beaucoup de nos enfants n’arrivent pas toujours à exprimer leurs peurs et leurs angoisses ni à mettre des mots sur leurs maux au milieu de tous ces bouleversements vécus par la société», nous avait-il confié. Il est peut être grand temps que les pouvoirs publics et les autorités sanitaires se préoccupent de la santé mentale des citoyens, ne seraitce que par des campagnes de sensibilisation qui expliquent, vulgarisent et banalisent les impacts de la pandémie sur le plan moral et psychologique. Mettre des mots sur les maux serait déjà un premier pas vers la guérison.