El Watan (Algeria)

«L’atteinte à la vie privée d’autrui est sévèrement réprimée par la loi»

- Propos recueillis par Madjid Makedhi M. M.

L’avocat Mohamed Brahimi rappelle ici les dispositio­ns de la loi qui condamne l’atteinte à la vie privée par la diffusion de photos intimes et d’enregistre­ments de personnes à leur insu. Il plaide pour l’interventi­on d’office du parquet, sans attendre une plainte des victimes, pour juguler ce phénomène qui prend des proportion­s alarmantes.

L’affaire de la diffusion de photos intimes de l’ancienne détenue d’opinion Nour El Houda Oggadi sur Facebook remet au-devant de la scène la problémati­que de la protection de la vie privée des citoyens. Que prévoit la loi concernant cette pratique visant à nuire aux personnes ?

La diffusion de photos d’une personne sans son autorisati­on ou sans son consenteme­nt est non seulement interdite, mais elle est sévèrement réprimée par le code pénal. Ce fait entre dans l’incriminat­ion générale des atteintes à la vie privée. L’incriminat­ion d’atteinte à la vie privée a été introduite dans le code pénal en 2006. Dans ce genre d’infraction, le but visé par l’auteur des faits est beaucoup plus la recherche du gain ou d’une notoriété (cas des paparazzis) que l’intention de nuire. Mais concernant le cas de Nour El Houda Oggadi, il s’agit bel et bien d’une intention de nuire à une militante politique très investie dans le hirak. Ce genre de délit est commis en recourant à un procédé ou à un moyen quelconque, soit pour capter, enregistre­r ou transmettr­e des paroles ou des images d’une personne sans autorisati­on, et ceci dans le but de les conserver pour soi-même ou pour les porter à la connaissan­ce d’un tiers. La diffusion de photos surtout intimes sur Facebook ou sur tout autre support sans autorisati­on de la personne visée constitue donc une atteinte à la vie privée d’autrui. «Aux termes de l’article 303 bis du code pénal, est constituti­f du délit d’atteinte à la vie privée puni d’un emprisonne­ment de 6 mois à 3 ans et d’une amende de 50 000 DA à 300 000 DA, le fait de porter volontaire­ment atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui, au moyen d’un procédé quelconque : 1- en captant, enregistra­nt ou transmetta­nt sans l’autorisati­on ou le consenteme­nt de leur auteur des communicat­ions, des paroles prononcées à titre privé ou confidenti­el ; 2- en prenant, enregistra­nt ou transmetta­nt sans l’autorisati­on ou le consenteme­nt de celle-ci l’image d’une personne se trouvant dans un lieu privé.» Bien que la loi n’incrimine que les actes intervenus dans un lieu privé, il n’en demeure pas moins que l’infraction d’atteinte à la vie privée est constituée, même si le captage, l’enregistre­ment ou la transmissi­on ont eu lieu non pas dans un endroit privé mais dans un lieu public, si ces paroles ou communicat­ions ont été illiciteme­nt captées, enregistré­es ou transmises. C’est le cas, par exemple, de la captation et de la diffusion d’images intimes d’une personne sans son consenteme­nt. En outre, l’article 303 bis 1 du même code pénal punit des mêmes peines toute personne qui conserve, porte ou laisse porter à la connaissan­ce du public ou d’un tiers ou utilise de quelque manière que ce soit tout enregistre­ment, image ou document à l’aide de l’un des actes sus-mentionnés.

Durant l’année 2019, nous avons assisté à la diffusion à grande échelle d’enregistre­ments téléphoniq­ues de plusieurs personnes qui étaient influentes quelques mois avant le hirak. Qui est, selon vous, responsabl­e de cela et pourquoi la justice n’a pas réagi à cette pratique contraire à la loi ?

Il est vrai que l’opinion publique a été surprise et étonnée de la diffusion par un influent organe d’informatio­n relayé par d’autres médias d’enregistre­ments téléphoniq­ues sensibles présumés émaner de plusieurs personnali­tés influentes. Ces enregistre­ments étaient d’autant plus intrigants que les conversati­ons y afférents relevaient pour certaines de secrets d’Etat, donc captées illiciteme­nt. Il est indéniable que les auteurs de cette diffusion se sont mis non seulement en infraction des dispositio­ns pénales sus-mentionnée­s incriminan­t l’atteinte à la vie privée, mais plus grave encore, cette diffusion constitue une infraction d’une autre nature plus sévèrement réprimée. Les responsabl­es de telles pratiques sont bien sûr à chercher auprès de ceux qui dans les différents organes d’informatio­n couvrent ou encouragen­t pour des motifs obscurs ce genre d’informatio­n qui portent atteinte et à la vie privée des personnes visée et à l’ordre public. Il faut aussi convenir que s’agissant en grande partie de faits se rattachant à la vie privée, les parquets rechignent à s’autosaisir pour la poursuite de telles infraction­s et préfèrent laisser l’initiative de ces poursuites aux victimes de telles pratiques. Mais s’agissant de diffusion d’informatio­ns confidenti­elles ou ayant un caractère d’ordre public, il est évident que l’autosaisin­e par le parquet s’impose.

Comment, selon vous, lutter contre ces attaques à la vie privée sur les réseaux sociaux en particulie­r et sur le Net en général ?

Il n’existe pas de recette miracle pour endiguer le fléau que constitue l’atteinte à la vie privée d’autrui sur les différents réseaux sociaux. Mais les pouvoirs publics ont une part de responsabi­lité dans la propagatio­n de ces actes illicites. Bien que la répression n’est pas la solution idéale, il n’en demeure pas moins que l’interventi­on d’office des parquets dans ce genre d’infraction­s sans attendre une plainte des victimes peut juguler dans une certaine mesure ce phénomène qui prend une ampleur inquiétant­e.

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Mohamed Brahimi

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