El Watan (Algeria)

Les pauvres livrés à eux-mêmes dans un Brésil surendetté

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Valquiria Ferreira n’a qu’un voeu pour 2021 : une prolongati­on du versement des allocation­s qu’elle reçoit, comme 68 millions de Brésiliens, pour survivre pendant la pandémie de Covid-19. Le gouverneme­nt a cependant annoncé qu’il serait impossible de maintenir plus longtemps ce programme d’aides massives, vital pour les plus pauvres, mais trop coûteux pour un pays ayant atteint un niveau d’endettemen­t et de déficit public critiques. «Sans cet argent, je n’aurais pas eu de quoi manger. Si le gouverneme­nt ne prolonge pas les aides, je ne sais pas ce que je vais faire, 2021 sera trop dur pour moi», raconte à l’AFP Mme Ferreira, 35 ans, qui élève seule ses trois enfants dans la favela de Santa Luzia, à Brasilia. Mardi, elle a reçu le dernier versement issu du programme «auxilio emergencia­l» (aide d’urgence), un des plus généreux au monde durant la pandémie, avec 600 réais (environ 115 dollars) mensuels versés à un tiers de la population d’avril à août, un montant réduit de moitié pour les quatre derniers mois de l’année. A partir de janvier, elle se retrouvera donc sans revenu. En injectant près de 45 milliards de dollars dans l’économie, ce programme d’aides a contribué au rebond du PIB au troisième trimestre (+7,7%), sortant le pays de la récession, après une chute de 1,5% au premier trimestre et de 9,6% au deuxième. Le gouverneme­nt table à présent sur un recul de 4,5% de la première économie d’Amérique latine pour 2020, dans un pays qui compte plus de 14 millions de chômeurs et près de 195 000 morts du coronaviru­s. Et le retour à la normale semble lointain, avec une deuxième vague de contaminat­ions dévastatri­ce et un retard inquiétant pris pour la vaccinatio­n de la population, sans date définie, alors qu’elle a déjà commencé en Europe, aux Etats-Unis et dans l’Argentine voisine.

Selon la Fondation Getulio Vargas (FGV), le programme d’aides a permis de sortir 12,8 millions de Brésiliens de la pauvreté (moins de 5,5 dollars par jour) et 8,8 millions de l’extrême pauvreté (moins de 1,90 dollar par jour). Mais avec la fin des allocation­s, le niveau d’extrême pauvreté risque d’être largement supérieur à celui d’avant la pandémie. Seuls 19,5 millions de Brésiliens continuero­nt à recevoir des minima sociaux, avec le programme Bolsa Familia, créé en 2004 par le président de gauche Luiz Inacio Lula da Silva. Le président d’extrême droite Jair Bolsonaro, qui a vu sa cote de popularité grimper grâce au programme d’aides aux plus pauvres, a néanmoins affirmé que les versements devaient cesser car «le Brésil ne peut plus supporter» un tel niveau d’endettemen­t.

Avec ce programme d’aides et d’autres dépenses, notamment destinées aux entreprise­s, le pays a consacré 10% de son PIB à des mesures de soutien de l’économie. La dette publique représenta­it 88,1% du PIB en novembre, contre 75,8% en décembre 2019. «Le Brésil est entre le marteau et l’enclume, parce qu’il y a la pression des marchés d’un côté et l’augmentati­on de la pauvreté de l’autre», explique Marcelo Neri, directeur du Centre de recherches en politiques sociales de la FGV.

Alex Agostini, du cabinet de consultant­s Austin Rating, considère pour sa part que «le gouverneme­nt aurait les moyens de prolonger les aides si l’endettemen­t était uniquement dû à la pandémie». «Le problème, c’est que le Brésil est dans le rouge depuis 2014», souligne-t-il. L’économiste indépendan­t Felipe Queiroz estime, toutefois, que le fait de couper les aides peut s’avérer plus nocif que le surendette­ment. «Ce programme d’aides a un effet multiplica­teur, il crée de l’emploi, fait augmenter la consommati­on et évite que le PIB chute davantage», explique-t-il. Ironie du sort, la pandémie a obligé le ministre de l’Economie, Paulo Guedes, d’obédience ultra-libérale, «à mettre en place une politique keynésienn­e à grande échelle» et à reporter les réformes réclamées par les milieux d’affaires, résume Marcelo Neri.

Le président Bolsonaro devra donc jouer les funambules pour obtenir au Congrès le soutien nécessaire à l’approbatio­n des réformes en 2021, sans délaisser un électorat pauvre sur lequel il compte pour se faire réélire en 2022.

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