Le Royaume-Uni ouvre une nouvelle ère post-Brexit
●●Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, doit tourner la page d’une ère qui a profondément divisé les Britanniques, entre partisans et opposants à la rupture. Le Parti nationaliste écossais (SNP) compte sur une victoire écrasante aux élections lo
Le Royaume-Uni a entamé hier une nouvelle page de son histoire. A 23h locales et GMT jeudi (minuit à Bruxelles), le pays a cessé d’appliquer les règles de l’UE, quittant le marché unique et l’union douanière. Après 47 ans d’intégration européenne et quatre ans et demi de difficiles négociations, le pays quitte l’Europe, alors qu’il est gravement touché par la pandémie du nouveau coronavirus et frappé par la crise économique. L’accord de libre-échange, sans quota ni droit de douane, conclu in extremis avec Bruxelles, évite une rupture brutale et désastreuse sur le plan économique. Mais la nouvelle ère est bien là : la libre circulation permettant aux marchandises comme aux personnes de passer sans entrave la frontière a cessé, sauf entre l’Espagne et l’enclave britannique de Gibraltar, ainsi qu’entre l’Irlande du Nord et la République d’Irlande. Il faut désormais remplir des déclarations de douanes et subir des inspections sanitaires pour exporter à travers la Manche, un titre de séjour pour s’installer de l’autre côté et un certificat sanitaire pour les chiens et chats britanniques voyageant vers l’UE. Le texte prévoit aussi, pour éviter toute concurrence déloyale, des sanctions et mesures compensatoires en cas de non-respect de ses règles en matière d’aides d’Etat, d’environnement, de droit du travail et de fiscalité. Le Premier ministre britannique, Boris Johnson, doit tourner la page d’une ère qui a profondément divisé les Britanniques, entre partisans et opposants à la rupture. Avec le Brexit, les entreprises de la finance, secteur majeur à Londres, ont perdu leur droit automatique d’offrir leurs services dans l’UE, tandis que les pêcheurs britanniques sont déçus de devoir encore partager une grande partie de leurs eaux avec les Européens.
Par ailleurs, l’unité du royaume commence à se fissurer du côté de l’Ecosse, qui revendique un référendum sur l’indépendance. «Le Brexit arrive contre la volonté du peuple d’Ecosse et aucun accord ne pourra jamais compenser ce que le Brexit nous enlève. Il est temps de tracer notre propre avenir en tant que nation européenne indépendante.» C’est ce qu’a déclaré mercredi la Première ministre en personne, Nicola Sturgeon, sur Twitter. A Westminster, où se situe la Chambre des communes, Ian Blackford, porte-voix des indépendantistes écossais, a indiqué : «L’Ecosse était européenne avant d’être britannique !» L’Ecosse a voté «non» lors du référendum sur le Brexit, 62% de ses habitants souhaitant rester au sein de l’UE. Entre-temps, les récents sondages donnent le «oui» à l’indépendance majoritaire dans le pays (53 à 58%), six ans après un premier référendum du genre en Ecosse qui a vu le «non» l’emporter à un peu plus de 55%.
La Première ministre écossaise se heurte à un obstacle : il lui faut obtenir l’aval du Premier ministre britannique pour organiser une nouvelle consultation. Ce à quoi Boris Johnson est fermement opposé. Le Parti nationaliste écossais (SNP) compte sur une victoire écrasante aux élections locales de mai prochain pour demander à Londres d’organiser un second référendum. En cas de désaccord, une partie des indépendantistes voudrait que le combat soit porté devant la Cour suprême britannique.
LONGUE ATTENTE ET DISCORDES
Le Royaume-Uni a refusé d’intégrer en 1950 la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), premier jalon de la construction européenne. En août 1961, le Royaume-Uni transmet à la Communauté économique européenne (CEE), l’ancêtre de l’UE, sa première demande d’adhésion. En 1963 et 1967, la France du général de Gaulle, alors président, rejette les deux premières candidatures britanniques d’adhésion à la
CEE. Pour le chef de l’Etat français, le RoyaumeUni constitue le cheval de Troie des Etats-Unis. Il faudra attendre la présidence en France de Georges Pompidou pour voir le Royaume-Uni rejoindre la CEE en 1973. Néanmoins, pour les Britanniques, ce qui est important c’est le marché unique. Londres activera en faveur de l’élargissement de la zone de libre-échange, la plus grande possible. En revanche, pas question d’approfondir l’Union entre les Etats, qui porterait atteinte à sa souveraineté, ou d’en faire un contrepoids politique et militaire au détriment de sa relation spéciale avec les Etats-Unis. En juin 1975, lors d’un référendum sur le maintien de leur pays dans la CEE, les Britanniques votent «oui» à plus de 67%. En 1979, la Première ministre britannique, Margaret Thatcher, entre en conflit avec l’Union européenne et réclame un rabais sur la participation de son pays au budget communautaire. «I want my money back» («Rendez-moi mon argent»), avait-elle clamé. Débute alors une longue confrontation, conclue seulement en 1984, et qui se soldera par un accord permettant à Londres un «rabais britannique» sur la contribution financière du Royaume-Uni au budget européen.
En février 1992, est signé le traité de Maastricht, deuxième acte fondamental de la construction européenne après le traité de Rome de 1957. Le Royaume-Uni bénéficie d’une clause d’exemption lui permettant de ne pas rejoindre la monnaie unique.
EUROSCEPTICISME
Entre-temps, émerge un courant souverainiste en Europe et au Royaume-Uni, incarné par le mouvement europhobe Ukip, précurseur du Brexit de 2016. Il obtient 27% des voix aux européennes de 2014. Face à la montée de l’euroscepticisme, y compris au sein de son parti, le Premier ministre David Cameron promet de renégocier les conditions du maintien du Royaume-Uni dans l’UE et d’organiser un référendum. Lors du référendum de juin 2016, les Britanniques votent à 51,9% pour la sortie du Royaume-Uni de l’UE. David Cameron démissionne. Lui succède Theresa May, une eurosceptique qui a toutefois voté contre le Brexit. Le 29 mars 2017, elle active l’article 50 du Traité de Lisbonne, enclenchant le processus de sortie de l’UE, censé alors aboutir deux ans plus tard.
Pour imposer son autorité avant les négociations avec l’UE, elle convoque des législatives anticipées, mais perd sa majorité le 8 juin et doit s’allier avec le petit parti unioniste nord-irlandais ultraconservateur DUP. Le 13 novembre 2018, les négociateurs britanniques et européens concluent un accord de sortie, approuvé le 25 novembre lors d’un sommet européen extraordinaire. Le 15 janvier 2019, puis le 12 mars, les députés britanniques rejettent l’accord. Bruxelles refuse de renégocier.
En mars, les dirigeants de l’UE entérinent un report du Brexit : il aura lieu le 22 mai si les députés britanniques approuvent l’accord de retrait, mais il se produira dès le 12 avril dans le cas contraire. Le 29 mars, l’accord est rejeté une troisième fois par les députés à Londres. Le 11 avril, les dirigeants européens accordent un nouveau délai jusqu’au 31 octobre. Mme May finit par démissionner en juin. Le 23 juillet, Boris Johnson, partisan d’un Brexit au 31 octobre avec ou sans accord, est désigné par le Parti conservateur pour lui succéder. Le 3 septembre, il perd la majorité absolue. Une loi est votée l’obligeant de demander un report du Brexit à l’UE s’il n’obtient pas d’accord de sortie d’ici au 19 octobre. Le 17 octobre, l’UE et le Royaume-Uni annoncent être parvenus à un nouvel accord. Le texte est approuvé par les dirigeants des 27. Le 22, le Parlement britannique entérine le principe du nouvel accord mais vote contre son examen en accéléré comme le voulait Boris Johnson pour que le Brexit puisse avoir lieu le 31 octobre. Le 24, ce dernier appelle à la tenue d’élections législatives anticipées pour sortir de l’impasse. Le 28 octobre, les 27 accordent au Royaume-Uni un report jusqu’au 31 janvier 2020. Le lendemain, les députés britanniques donnent massivement leur accord à des législatives pour le 12 décembre. Boris Johnson remporte ces élections avec 365 sièges pour les conservateurs sur 650. Il renvoie aussitôt son accord de Brexit à la Chambre des communes renouvelée, où le texte est approuvé le 9 janvier 2020. Après l’accord des Lords, le texte est promulgué par la reine Elizabeth II le 23 janvier. Il devra aussi être ratifié par le Parlement européen le 29 janvier. Un nouvel accord sur un traité de retrait organisant la sortie du Royaume-Uni de l’UE finit par être conclu et le divorce intervient le 31 janvier 2020, avec une période de transition jusqu’au 31 décembre de la même année. Suivront dix mois de négociations qui aboutiront in extremis, le 24 décembre, à la conclusion d’un accord post-Brexit, afin d’éviter le choc d’un «no deal», entré en vigueur à titre provisoire le 1er janvier 2021.