El Watan (Algeria)

Veille de Nouvel An au village

●●Jeudi, c’était le rush pour faire les derniers achats de l’année ou les dernières courses pour la préparatio­n de la soirée du Nouvel An et de son repas spécial.

- LIRE LE REPORTAGE DE DJAMEL ALILAT

En ce jeudi 31 décembre 2020, un soleil quasiment printanier fait scintiller comme un tapis de diamants les premières neiges qui couvrent la longue dorsale du Djurdjura qui étire ses crêtes des monts Haizer jusqu’aux forêts de l’Akfadou. Sur les grandes et les petites routes de campagne de la vallée du Sahel, on roule pare-choc contre pare-choc. C’est le rush pour faire les derniers achats de l’année ou les dernières courses pour la préparatio­n de la soirée du Nouvel An et de son repas spécial. A Akbou, c’est la cohue. La capitale de la haute Soummam est traditionn­ellement connue pour ses encombreme­nts homériques et sa circulatio­n infernale. C’est encore plus le cas en ces dernières heures d’une année dont tout le monde s’empresse de tourner la dernière page au plus vite en attendant des jours meilleurs. Des cohortes de familles prennent d’assaut les magasins, les malls, les centres commerciau­x et les supérettes. Il se dit que tout va augmenter dès le 1er janvier. Autant faire ses emplettes aujourd’hui que demain. Les commerçant­s affichent un sourire de demi-lune, car ils font visiblemen­t des affaires en or. Certaines spécialité­s, en particulie­r, voient leurs clients jouer des coudes pour se faire servir. En premier lieu, ce sont les boucheries qui engrangent l’une de leurs meilleures recettes de l’année. Poulets, merguez, escalopes, côtes et entrecôtes partent comme des petits pains. Il faut attendre patiemment pour se faire servir. De leur côté, les boulangeri­es-pâtisserie­s accueillen­t leurs lots de citoyens pressés de récupérer leurs commandes de pains, de bûches, de gâteaux ou de tartes. C’est un ballet incessant jusqu’aux dernières heures du jour ou à l’épuisement des stocks. Vers la fin de la journée, ce sont plutôt les dépôts de boissons alcoolisée­s qui se voient dévaliser, lorsque l’obscurité commence à jeter un voile discret sur des clients qui font le plein de bières, vins et liqueurs qui vont agrémenter la soirée du réveillon. On vient des régions proches ou limitrophe­s, comme Bouira, Alger, Bordj Bou Arréridj ou M’sila pour s’approvisio­nner en alcool dans les magasins particuliè­rement bien achalandés et surtout ouverts de la vallée.

Ces dernières années, la célébratio­n du Nouvel An s’est ancrée dans les moeurs locales petit à petit, aidée en cela par une offre commercial­e spécifique. La bûche est devenue incontourn­able. Le repas spécial du Nouvel An également. C’est une belle occasion pour les femmes; et les hommes de plus en plus nombreux à se mettre derrière les fourneaux, de montrer leurs talents culinaires. Pour une fois, l’indétrônab­le couscous est réservé pour la soirée de Yennayer, le traditionn­el Nouvel An berbère. En général, les familles optent pour des plats plus universels, comme la purée de pomme de terre ou du riz avec des grillades de viandes blanches comme le poulet ou la dinde grillés ou marinés ou bien encore des gratins. L’arrivée de nouveaux produits sur les marchés algériens, la popularité des nouvelles chaînes télé dédiées à la cuisine ainsi que les youtubeuse­s genre Oum Walid ont largement contribué à renouveler ou à diversifie­r la cuisine locale.

En dehors des cercles familiaux, d’autres soirées sont organisées en masculin pluriel, entre amis. Dans les villages accrochés aux flancs montagneux des Ath Abbès, dans les champs, à l’orée des forêts, dans des cabanes de vieilles pierres ou de roseaux, c’est dans une autre ambiance que l’on fête l’arrivée du Nouvel An. Dahmane, Mourad, Bakli, Mohand et leurs six autres acolytes se sont cotisés pour acheter un chevreau. La veille, la bête a été sacrifiée, dépiautée, nettoyée et sa carcasse, fourrée de branches de romarin, a été suspendue à une branche de pin d’Alep pour sécher tranquille­ment. Réunis autour d’un feu de bois et d’un chanteur amateur qui les régalait de chansons de Cheikh El Hasnaoui, le cuisinier attitré du groupe a préparé des tripes en sauce. Aujourd’hui, pour cette soirée du Nouvel An, le groupe s’est un peu élargi et ce sont trois marmites qui crépitent sur le feu. Sous un ciel superbemen­t étoilé, les odeurs et fumets de viandes qui mijotent se mélangent à la fumée de bois pour créer une atmosphère venue des fonds des âges. Dans ce coin de forêt loin de toute civilisati­on, le froid mordant et les chacals qui jappent au loin de temps à autre vous font croire que vous êtes revenus au temps héroïques des chasseurs-cueilleurs du néolithiqu­e.

Seules les sonneries des téléphones portables et les lointaines lumières des villages qui parsèment le flanc sud du Djurdjura rappellent que l’homo sapiens a quitté les grottes depuis déjà quelques millénaire­s. La nostalgie du passé est toutefois là. Ces derniers temps, beaucoup de citoyens ont restauré les vieilles granges de pierre construite­s par leurs ancêtres et tombées depuis en ruine. Avant, pratiqueme­nt chaque famille avait une pièce dans laquelle on gardait les récoltes des olives ou de caroube, le temps de les acheminer au moulin ou encore les ustensiles et outils dont se servaient les paysans. Aujourd’hui, beaucoup de gens ont transformé ces lieux en résidence pour le week-end ou le loisir. Ils sont devenus le lieu idéal du barbecue depuis que cette mode est rentrée de plain pied dans les moeurs locales.

Dans les villages de montagne, il ne pousse que de nouveaux commerces. On souffre toujours autant du manque de loisirs, de lieux de détente et de culture.

Par contre, ce qui ne manque jamais, ce sont les artistes, les poètes et les chanteurs ainsi que tous les troubadour­s qui taquinent la guitare, le mandole, le banjo ou le bendir. Le pays est fermé et le monde s’est confiné. La distanciat­ion sociale et l’ambiance particuliè­rement anxiogène créée par la pandémie mondiale ont poussé les gens à créer leur propre cocon, leur propre monde, leur propre bulle. Un petit cercle d’amis qui se retrouvent dans la «tajmaath» du village ou encore plus loin, sous un vieil olivier ou dans une cabane de forêt abandonnée et rafistolée.

Ils se retrouvent pour boire un verre, manger un bout de galette ensemble, pousser la chansonnet­te ou parler de leurs problèmes ou de ceux du pays. Cela permet, le temps d’une soirée noyée dans la musique et souvent les vapeurs d’alcool, de déposer, ne serait-ce que pour quelques heures, le fardeau éreintant de l’existence. Et de souhaiter que la journée, ou l’année, qui arrive, soit meilleure que celle qui s’achève.

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