Le management collaboratif, outil incontournable ?
Par Haïchour Ikram Eddine Licence en management à HEC Alger, ex-INC Cadre ressources humaines ; MBA en management et Direction des entreprises
Dans la plupart des entreprises, on rencontre des responsables convaincus que leur rôle est principalement de prendre soin de leurs collaborateurs et de placer leurs intérêts sur le devant de la scène. C’est à ces mêmes managers que revient la responsabilité d’accompagner et de veiller au développement de leur capital humain et l’aider à affronter les situations de crise. Si vraiment l’humain se place au centre des réflexions de la fonction RH, perçu comme une clé de réussite pour l’entreprise, l’obligation de lui offrir toutes les conditions de travail propices à la créativité, l’innovation et l’initiative ne suffit pas pour son épanouissement si sa santé est menacée. C’est là que rentre en scène la médecine du travail, cette branche qui ne cesse d’évoluer au fil des siècles jusqu’à son précurseur, le médecin italien Bernardino Ramazzini, fondateur de l’hygiène professionnelle et son ouvrage référence, le Traité des maladies des artisans.
Cependant, au regard de Vincent Julien, maître de conférence en histoire des sciences à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, la médecine du travail est le résultat «d’un compromis entre le corps médical, l’Etat social, le mouvement ouvrier et les entreprises».
LA SAUVEGARDE DE LA SANTÉ DES TRAVAILLEURS, INDICATEUR-CLÉ DE LA BONNE SANTÉ DE L’ENTREPRISE
Dans ce contexte d’évolution de la pandémie Covid-19, l’employeur est pris au piège, entre sauvegarder la santé de ses employés et la sauvegarde de son chiffre d’affaires, les ressources humaines sont aussi en manque de visibilité et n’ont donc pas forcément connaissance des solutions et mécanismes nécessaires pour stabiliser le climat social, En s’appuyant sur la loi 88-07 du 26 janvier 1988, relative à l’hygiène, la sécurité et à la médecine du travail, le médecin du travail intervient pour épauler la RH et baliser les remparts de l’entreprise afin de prémunir l’ensemble du personnel.
Toujours est-il, quel est le rôle de la médecine du travail dans la lutte contre la propagation du virus SARS-CoV-2 appelé Covid-19 ? Quelle est sa relation avec la fonction RH que doit faire l’employeur pour assurer la sécurité et la santé de ses employés du lieu de travail face à la pandémie de Covid-19 ?
ADAPTER LE TRAVAIL À L’HOMME ET NON L’HOMME AU TRAVAIL
Contrairement au responsable RH, le médecin du travail a pour objectif de prévenir les risques professionnels et la pénibilité au travail et doit assurer la surveillance médicale des salariés et, nécessairement, organiser une visite médicale avant l’embauche du salarié. Cette visite médicale permet aussi au salarié de recevoir des conseils préventifs pour préserver sa santé au travail, ou encore d’être informé sur les risques auxquels il s’expose en occupant son poste dans l’entreprise. Au-delà de ces missions, le médecin du travail devient ergonome et adapte les situations de travail à l’homme, en essayant de créer un environnement de travail capacitant.
Malgré les variabilités des situations de travail et les orientations de la DRH, le médecin du travail et son équipe pluridisciplinaire en collaboration avec l’employeur devront faire face à l’évolution de la Covid-19 au sein de leurs unités pour prendre les mesures de prévention nécessaires afin de protéger la santé et la sécurité des travailleurs. Veiller notamment à ce qu’ils n’exécutent pas leur travail lorsque leur état représente un risque pour leur santé ou leur sécurité, ou encore celles des autres. Selon Wikipédia, il y a environ «60 973 636 cas confirmés depuis le 31/12/19 dans le monde arrêté le 27/11/2020 dont 79 110 cas en Algérie. Cette flambée de contaminations impose une vigilance extrême et une sensibilisation ciblée, lieux publics, établissements scolaires et lieux de travail, etc.»
QUE DOIT FAIRE L’EMPLOYEUR POUR PRÉSERVER LA SECURITÉ ET L’HYGIÈNE AU TRAVAIL ?
Les répercussions de la pandémie de Covid-19 continuent de se faire sentir sur l’économie mondiale. Cette pandémie nous rappelle clairement les faiblesses de nos systèmes de protection sociale, surtout avec ces mesures de confinement. Il est devenu encore plus difficile de gagner sa vie, les entreprises sont prises au dépourvu, la fonction RH se retrouve dos au mur et les managers parlent d’une situation inédite. Quant aux médecins du travail, l’heure de déterrer la hache de guerre a déjà sonnée.
Même en l’absence de textes et législations particulières à cette conjoncture sanitaire imposant des responsabilités à l’employeur concernant la Covid-19 au travail, ce dernier a l’obligation d’offrir et de maintenir un lieu de travail sûr pour garantir la sécurité et la santé des travailleurs et des autres personnes présentes sur le lieu de travail. Cette obligation a pour base une législation et une réglementation nationales ainsi que des règles d’éthique et des engagements internationaux. En Algérie, la protection du travailleur sur son lieu de travail a toujours constitué une préoccupation des pouvoirs publics. D’ailleurs, cette disposition a été introduite dans la Constitution algérienne (article 69). La loi 88-07 du 26 janvier 1988 relative à l’hygiène, la sécurité et la médecine du travail (article 3) et le non-respect de cette obligation peut être punie par la loi.
Enfin, même en l’absence de toute obligation statutaire, la Direction RH en s’appuyant sur son activité médecine du travail et son staff pluridisciplinaire doit collaborer avec les services compétents de son entreprise, en l’occurrence le HSE et le juridique afin d’élaborer un plan d’action pour anticiper toute aggravation de la situation sanitaire.
Ce qui permet aussi de garantir la sécurité et la santé des travailleurs. De son côté, le législateur attache une grande importance au bien-être et la santé des travailleurs. Dans son article 23 de la loi 88-07 du 26 janvier 1988 relative à l’hygiène, sécurité et médecine du travail ainsi que ceux du décret exécutif 0509 du 8 janvier 2005 relatif aux commissions paritaires et aux préposés d’hygiène et à la sécurité consacrent cette obligation à la fois réglementaire et législative.
UN GRAND SALUT POUR UN SACRIFICE ULTIME DE NOS GUERRIERS EN BLOUSES BLANCHES
Selon le président du Syndicat national des praticiens de le santé publique, Lyes Mérabet, depuis l’apparition du coronavirus et sa propagation sur le sol algérien, près de 10 000 cas potentiels de contamination ainsi que 136 décès ont été rapportés parmi les professionnels de santé, médecins, généralistes ou urgentistes, infirmiers, aides-soignants, agents hospitaliers, cadres de santé ainsi que les praticiens médicaux, un bilan pesant et une situation pénible pour une profession qui paie chère.
Devant le lourd tribut et les efforts considérables déployés à tous les niveaux et dans tout le pays par notre armée des blouses blanches qui ne cesse de faire face à cet ennemi invisible en se plaçant dans les premières lignes du combat, le peuple algérien et ses pouvoirs publics s’inclinent en témoignant leur profond respect et reconnaissance éternelle envers ses défenseurs aux âmes pures. Pour sa part, le médecin du travail avec son double rôle préventif et curatif est présent aussi sur le front de la bataille. Il représente la dernière ligne de défense contre l’envahisseur invisible, en étant le pivot central de l’entreprise dans cette conjoncture, il veille à l’éducation et à l’information des travailleurs dans le domaine de la santé et de la sécurité au travail.
L’IMPACT DE LA COVID-19 SUR LE MARCHÉ DU TRAVAIL
La pandémie de Covid-19 a bouleversé le monde du travail. Elle a des effets extraordinaires sur l’emploi, les moyens de subsistance et le bien-être des travailleurs et de leur entourage, ainsi que sur les entreprises du monde entier, principalement les petites et moyennes entreprises.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), «à la mi-mai, 94% des travailleurs du monde entier vivaient dans des pays où des mesures de fermeture des lieux de travail étaient appliquées ainsi que des pertes massives d’heures de travail, équivalant à 305 millions d’emplois à temps plein, sont prévues pour le deuxième trimestre de 2020, tandis que 38% de la main-d’oeuvre soit quelque 1,25 milliard de travailleurs».
Les répercussions de cette situation varient considérablement d’un individu à l’autre et d’un pays à l’autre. En Algérie par exemple dans une enquête réalisée par le ministère du Travail sur l’impact de la crise sanitaire sur le marché du travail parue dans le quotidien Reporters, «50 000 travailleurs ont perdu leur emploi de manière provisoire ou définitive et environ 200 000 travailleurs se sont retrouvés sans ressources pendant une partie ou la totalité de la période de confinement. Il faut compter 180 000 salariés qui ont subi un retard dans le versement des salaires».
Selon cette même enquête effectuée sur un échantillon de 3600 entreprises employant 440 171 travailleurs, toute activités confondues, a montré que 72% des travailleurs ont bénéficié de congés payés, 75,6% ont vu une baisse de leur activité et que 44 % de ces travailleurs, soit environ 180 000 salariés, ont subi un retard dans le versement des salaires, 1,6% se sont retrouvés au chômage technique, selon la même source.
Compte tenu de ce pronostic inquiétant et le climat du travail anxieux, on voit que cette pandémie à paver la route devant la numérisation et le passage au travail à distance, les innovations technologiques telles que le développement des réseaux, les métadonnées, l’intelligence artificielle et l’automatisme. Ce changement laisse à prédire bien à l’avance un avenir encourageant et prouve encore l’utilité des nouvelles technologies avec ses avantages majeurs offerts pour l’évolution de l’économie d’un côté et le marché du travail d’un autre. Bref, le monde du travail ne peut pas, et ne doit pas, rester le même après cette crise sanitaire.
LE MANAGEMENT COLLABORATIF
Selon Henry Ford, «se réunir est un début ; rester ensemble est un progrès ; travailler
ensemble est la réussite», pour faire face à ce changement brutal causé par la pandémie de la Covid-19, et pouvoir se réorganiser et trouver ses repères, la plupart des entreprises doivent revoir, si ce n’est pas changer carrément leur façon de travailler. Comme l’indique le titre de la présente contribution, la collaboration entre les services est indispensable pour la survie de l’entreprise en ce temps de crise. Le développement d’outils collaboratifs améliore la cohésion et le sentiment d’appartenance à l’entreprise et donne naissance à une intelligence collective qui va contribuer à la résolution des problèmes et traverser la zone de danger.
La situation sanitaire actuelle et devant la flambée de la propagation du virus en milieu professionnel, chaque lieu de travail peut jouer un rôle important pour contenir ce venin invisible et incompris en appliquant les mesures barrières nécessaires dictées par l’entreprise et les autorités sanitaires. La fonction RH, en collaboration avec les structures de l’entreprise, doit impérativement favoriser la communication et faire adhérer les collaborateurs à une conception d’ensemble en décloisonnant le circuit de l’information et éviter des éventuels conflits. La firme multinationale Google est le meilleur exemple. Ce modèle de management et grâce à ses multiples avantages a pu aujourd’hui et surtout dans ces temps de crises se positionner dans le podium de l’efficacité grâce à la collaboration et la conscience collective que nous allons peut-être réussir à affronter le virus dans le milieu du travail.
Pour conclure, et pour une meilleure prise en charge de cette crise inédite, la mise en place de politiques adaptées est plus que nécessaire. Veiller au développement continu de la protection sociale, la protection des salaires, la promotion des start-up, des petites et moyennes entreprises et la coopération en milieu professionnel. Une réforme de la médecine du travail dans notre pays devient impérative.
Il faut réfléchir à des législations et prévoir un arsenal réglementaire afin de promouvoir la santé des travailleurs et la protection sociale dans leur environnement professionnel et familial. Tel sera le défi de la sécurité social de demain. Notre pays gagnerait à être parmi les nations qui militent pour le bien-être de leurs populations dans une communion et solidarité des gestionnaires et des syndicats pour consolider l’assise économique nationale et permettre une meilleure productivité du travail. Ceci ne se fera que par le respect des lois sociales en fonction du mérite lié à la rentabilité et aux exploits des innovations dans toute entreprise loin de toute complaisance.
Bibliographie :
• OIT, 2020. Observatoire de l’Organisation internationale du Travail (OIT), la Covid-19 et le monde du travail, 4e édition, 27 mai 2020.
• OIT, 2020. Observatoire de l’Organisation internationale du Travail (OIT), la Covid-19 et le
• Monde du travail, 2e édition, 7 avril 2020.
•La médecine du travail au fil de l’histoire, depuis les pharaons, de Julie Renson Miquel.
•Santé au travail de Gwendoline Aubourg.
•Paul Devaux, Management de crise, la seule façon d’en sortir est cesser d’y entrer.
•Notes de synthèse de l’OIT.
•Journaledunet.fr
•Impact négatif de la Covid-19 écrit par Ouramdane Mehenni.
•Tout savoir sur les commissions paritaires d’hygiène et de sécurité, par Silini Madiha, avocate au cabinet LPA-CGR Avocats.
•Journal officiel Algérie.
La pandémie de Covid-19 a bouleversé le monde du travail. Elle a des effets extraordinaires sur l’emploi, les moyens de subsistance et le bien-être des travailleurs et de leur entourage.