Une voix battante, une plume combattante, un contrepouvoir
• Cherif Rezki, notre confrère et ancien directeur de publication du quotidien arabophone El Khabar, est décédé dans la nuit de dimanche à lundi, à Tizi Ouzou, suite à une crise cardiaque. Il avait 58 ans.
C’est son fils qui a fait part du décès de son père sur Facebook :
«Je suis le fils de Cherif Rezki, je vous informe que mon père est décédé.»
Une douloureuse phrase tombée tel un couperet parmi la corporation et autres amis de la presse. Un journaliste parti prématurément, à l’âge de 58 ans et en prime, à la plume libre, réfractaire à toutes les intolérances et l’ignominie des pouvoirs jurassiques se fossilisant en Algérie. La preuve, c’était un «hirakiste» convaincu, résolu, actif, inlassable et tenace. Il n’a jamais raté un vendredi – jour de la marche du hirak – pour associer sa voix à celle de tout un peuple revendiquant une Algérie meilleure et décriant les réflexes révolus du népotisme, la corruption à grande échelle et le mépris de la plèbe. Cherif Rezki était l’écho de la vox populi face à l’autisme des haineuses et condescendantes hautes sphères, les intouchables et les planqués de la «îssaba» (le gang). Il était au fait de tout, il était à l’affût de la moindre information. Alors, sur Facebook, il n’hésitait pas à brocarder les décideurs (à la place du peuple). Il commentait avec brio leurs inepties non sans dérision et sarcasme. Il tenait une sorte de journal de l’Algérie : «En cette fin d’année pas comme les précédentes, j’ai une pensée particulière pour mon ami Khaled Drareni et tous les détenus du hirak ainsi que pour tous les malades, sans oublier tous ceux qui nous ont quittés cette année, en particulier mon cher père et mon oncle maternel… Liberté pour les détenus d’opinion. Bonne année aux Algériens et à tous nos semblables. Que la Paix s’installe partout dans le monde…» Une
raillerie : «Je propose que le Premier ministre ordonne à ses ministres de se taire ou à la rigueur lire leurs discours. Avec le temps, ce sont leurs interventions qui deviennent un danger public.»
Une vanne à l’endroit des imposteurs :
«Celui qui aime son pays ne le crie pas sur tous les toits et encore moins sur les plateaux TV à longueur de journée.»
BRAVOURE ET PROFESSION DE FOI
Cherif Rezki a été journaliste sportif au quotidien El Massa, puis dans Echchaâb et avec l’avènement de la libéralisation de la presse écrite dans les années 1990, il sera l’un des fondateurs du journal El Khabar et son directeur de rédaction, puis le directeur de publication d’El Khabar (Hebdo). Sa tâche et celle de ses confrères, lors de la décennie sanglante et meurtrière, était périlleuse. Parce que ciblés, menacés et assassinés. Un lourd tribut. Il faut saluer la bravoure de ces combattants et battants de la plume pour la liberté et dignité.
Ses confrères sont unanimes, le décès de Cherif Rezki est une énorme perte dans les médias. Tayeb Belghiche, directeur de publication d’El Watan, lui rend hommage : «Le regretté Cherif Rezki, à la tête d’El Khabar, a imprimé une orientation résolument progressiste à ce journal. Il l’a ouvert à la modernité et à la tolérance. Ce que j’ai toujours dit et redit.» Hacen Ouali, directeur de publication de Liberté salue sa mémoire :
«Cherif Rezki est l’un des meilleurs journalistes algériens d’expression arabophone. Et surtout d’un extrême courage lors des moments difficiles, au plus fort du terrorisme islamiste. Il était solidaire avec les journalistes menacés de mort, et ce, avec abnégation et ne
cédant guère à la peur. Il le faisait par conscience de la nécessité absolue de défendre une Algérie libre et démocratique… C’est un journaliste intelligent prônant la modernité. Un citoyen qui assure pleinement son rôle dans la société. Un engagement plein et entier. C’est un ‘‘hirakiste’’, un homme affable, attachant croquant la vie à pleins dents. Il est notre fierté, pour nous les journalistes…»
Omar Belhouchet, ancien directeur de publication d’El Watan étaie: «Il est
parmi les acteurs-clés d’El Khabar, farouchement attachés à l’indépendance d’un journalisme libre et crédible. Cherif Rezki était aussi un des acteurs ayant oeuvré pour le développement et le partenariat entre El Khabar et El Watan dans l’acquisition des rotatives. C’était un homme attaché à la vision ‘‘contrepouvoir’’. Il estimait que la presse devait être libre et démocrate. Il était ouvert, passionné par ce métier. Nous perdons quelqu’un de très valable.»
Zahr-Eddine Smati, président-directeur
d’El Khabar, réaffirme : «Cherif Rezki était connu dans les médias. A l’université, il me dépassait d’une année. C’est à cette époque que je l’ai connu. Il était doué. Il était parmi les majors de ‘‘promo’’. Après son parcours avec le quotidien Ech-chaâb, ce fut l’aventure de l’ouverture médiatique de 1990, où nous avions débuté ensemble en tant que journalistes. Lors de la décennie noire, c’était dur. Cherif Rezki était combatif, honnête, un bosseur, franc, positif, une force de proposition. Et surtout une grande plume. Un homme de principes, généreux et juste luttant pour la liberté de la presse, les droits de l’homme.» Le regretté Cherif Rezki a été inhumé hier après-midi à Sidi Naâmane (Tizi Ouzou).