«Le télétravail a amorti l’impact de la pandémie sur le marché du travail»
Expert en relations du travail et directeur de l’Ecole supérieure des sciences économiques et de management (Essem) à Alger, Abdelkader Djamal analyse pour nous l’impact de l’épidémie de la Covid-19 sur le monde du travail et sur les entreprises. Relevant l’insuffisance des mesures prises par les autorités en faveur des entreprises, il souligne que le télétravail a amorti, un tant soit peu, les effets de la crise sanitaire. La pandémie de la Covid 19 a impacté le marché du travail. Où en est-on aujourd’hui ?
La crise économique a précédé la pandémie. Cette dernière n’a fait que l’accentuer dans la mesure où notre économie relève en gros de la commande publique et du fait de la forte et durable baisse des prix du pétrole sur le marché international. La raréfaction des ressources financières a eu pour résultats de réduire l’investissement, puisque des projets ont été soit abandonnés, soit reportés, et les importations de plusieurs produits qui servent parfois comme intrants. Ce n’est pas tout, puisque même la matière première devant servir à la production, à l’image des usines de montage automobile, a été réduite. Le ministère des Finances parle de 8 milliards de dollars de pertes. La pandémie a accentué cette situation déjà difficile en raison de la fermeture des frontières terrestres, maritimes et aériennes. Ce qui a affecté des secteurs entiers, tels que le tourisme, l’hôtellerie, la restauration, les agences de voyages et les compagnies de navigation maritime et aérienne. Ce sont des secteurs qui emploient beaucoup de personnels, surtout en haute saison. La pandémie – et les mesures appliquées au nom de l’ordre public sanitaire – s’est traduite par un arrêt quasi total de pans entiers d’activité telles que les TPE, les commerces, le BTPH, en raison d’une main-d’oeuvre venant essentiellement de zones suburbaines et dont le déplacement interwilayal avait été suspendu. De ce fait, le monde du travail (en particulier le monde de l’entreprise) s’est retrouvé dans l’obligation de trouver des solutions consensuelles pour sauver ce qui peut l’être. Malheureusement, les pouvoirs publics n’ont pas pris toutes les mesures d’accompagnement, même s’il y en a eu certaines allant dans ce sens, mais nettement insuffisantes, à l’exemple de la suppression du paiement de la fiscalité et des cotisations de sécurité sociale, voire un paiement différé. Certaines entreprises ont, toutefois, été sommées de payer les pénalités de retard.
Il y a eu également l’introduction du télétravail…
Le recours au télétravail a sauvé beaucoup d’entreprises qui auraient mis la clé sous la porte sans ce moyen. La poursuite des activités de pans entiers, de filières d’activités n’aurait pas pu se faire sans ce mode de travail à distance. En tout cas, la pandémie a eu pour seul avantage de pousser les entreprises à réfléchir en dehors des modes traditionnels de travail. Le télétravail a indéniablement des avantages à l’utiliser et comme toute organisation, il n’est pas indemne de critiques dans la mesure où il comporte des risques, tels que l’éclatement des liens psychosociaux du fait que le domicile n’est pas conçu pour y travailler, mais pour se reposer et avoir une vie de famille. Parmi les désavantages que l’on peut relever, l’encouragement du travail au noir ne respectant pas l’obligation de déclarations à la Sécurité sociale, la fiscalité, l’absence de contrôle du temps de travail qui peut amener à l’épuisement, le recul de la syndicalisation, voire sa disparition. Il faut, en conclusion, encadrer cette question sur le plan juridique et mettre en place tous les moyens permettant son utilisation dans les normes.
Qu’en est-il des conflits entre employeurs et employés ?
Les solutions consensuelles appliquées par les entreprises ont tenté de sauver l’emploi et maintenir un niveau minimal d’activité dans l’attente d’une reprise qu’on croyait rapide. Malheureusement, elle a duré, mettant beaucoup d’entreprises en cessation de paiement, puisque incapables de supporter les charges fixes, telles que la location, les salaires, les frais financiers et autres. Beaucoup de salariés ont été remerciés en recourant au départ volontaire pour les entreprises qui en ont les moyens, le non-renouvellement des contrats de travail à durée déterminée, le recours au chômage technique et/ou le licenciement parfois sans respect des règles habituelles prévues par le droit du travail.
Le licenciement des cadres est un nouveau phénomène dans les conflits de travail. Quelles en sont les causes ?
La situation ci-dessus décrite a affecté l’ensemble du corps social composant l’entreprise indistinctement du statut du salarié. Quand il y a des difficultés économique et financières qui touchent profondément l’entreprise, un faisceau de mesures de réduction des frais, en particulier de la masse salariale, débute par l’identification des emplois les moins nécessaires à la poursuite de l’activité et qui peut donc recouvrer des catégories professionnelles différentes, y compris les cadres d’un service ou d’un département jugé accessoire en cette phase de difficultés.
Comment aurions-nous pu profiter de cette période de confinement pour migrer vers un monde du travail moderne ?
Il eut fallu que l’entreprise ou le monde du travail soit organisé autrement, qu’il fonctionne différemment en recourant à une plus grande et meilleure utilisation des NTIC. J’en citerais la digitalisation de fonctions, dématérialisation, Ebanking, acquisition d’Enterprise Resource Planning (ERP), qui est un logiciel de gestion de toutes les fonctions d’une entreprise dans un système informatique centralisé. La société aussi et dans son ensemble doit être organisée pour permettre l’insertion de ces modes de gouvernance et de fonctionnement, à commencer par la généralisation de l’accès à internet et l’amélioration de son débit.