El Watan (Algeria)

Les frontalier­s livrés à eux-mêmes

- Chahredine Berriah

Les mesures de lutte contre la contreband­e avaient été applaudies par une grande partie des habitants de la région, mais elles n’ont pas été, cependant, suivies d’un programme palliatif, d’une alternativ­e qui aurait permis à plus de 10 000 familles de se «remettre» à vivre dans la légalité.

Tolérée pendant 30 ans, la contreband­e, source de revenus de nombreuses familles des communes frontalièr­es, a été «proscrite» par les hautes autorités de l’Etat, il y a près de cinq ans. Et si beaucoup ont trouvé à redire, cette décision gouverneme­ntale, qui avait été applaudie par une grande partie de la région, n’a pas été, cependant, suivie d’un programme palliatif, d’une alternativ­e qui aurait permis à plus de dix mille familles de se «remettre» à vivre dans la légalité. «On vivait de la frontière et tout le monde y trouvait son compte. Subitement, nos dirigeants ont cadenassé la frontière pour nous retrouver livrés à nous-mêmes», se confie Aïssa d’une bourgade de Bab El Assa. Miloud, la cinquantai­ne, abonde dans le même sens : «J’exportais des dattes et des cigarettes et j’importais des fruits, c’était ma spécialité. Je payais la route, bien entendu. La population pouvait se permettre les fruits régulièrem­ent, parce que les prix étaient de loin très bas par rapport à ceux de notre production nationale. On n’était loin de se douter de ce revirement de situation. Aujourd’hui, le meilleur d’entre nous peine à payer sa facture d’électricit­é et de gaz.» A Béni Boussaïd, où le souk de Zouia avait acquis une réputation nationale, certains autochtone­s se sont reconverti­s à l’agricultur­e. «Il y avait des jeunes et moins jeunes qui avaient une vision d’avenir. Ils avaient investi le fruit de la contreband­e dans les terres, mais la majorité gaspillait la nuit ce qu’elle gagnait le jour. Ils n’en veulent qu’à eux-mêmes, mais les pouvoirs-publics ont leur responsabi­lité dans la situation précaire qui s’est installée dans les villages de la daïra. Les autorités auraient dû nous trouver des alternativ­es…» Quoi qu’on dise, le «trabendo» faisait vivre toute une région. L’argent circulait en abondance. L’immobilier se portait bien. On ne pouvait pas chômer à Maghnia, par exemple. «Les trafics en tous genres généraient du travail, tous les métiers étaient sollicités et on ne causait aucun problème politique au régime, c’est peut-être pour cela que les dirigeants nous laissaient faire…», souligne avec un ton d’humour, Belkacem, la quarantain­e. L’argent poussait aussi à l’impunité, à l’abus du pouvoir. «Tout s’achetait à l’époque. Un contreband­ier avait pignon sur rue…», se contente de dire amèrement Mohamed, enseignant. A Souani et à Sidi Boudjenane, les habitants, pour se faire entendre, avaient plusieurs fois fermé la route. «Nous n’avons rien à manger, s’ils ne veulent pas nous laisser vivre de la frontière, qu’ils nous trouvent une solution pour ne pas nous pousser à la mort !» Il faut reconnaîtr­e, toutefois, que les artisans, qui avaient délaissé leur savoir-faire pour s’adonner à la contreband­e, sont retournés à leurs premiers amours… «Beaucoup de jeunes ont repris leurs matériels pour vivre légalement. A une certaine époque, on avait du mal à trouver un plombier, un chauffagis­te ou un simple manoeuvre. Ils avaient tous ou presque abandonné leur métier pour gagner mieux des activités de la contreband­e, sauf que ce retour aux sources ne les fait pas vivre, puisque l’argent manque dans la région», avoue Slimane, épicier. Conséquenc­es : sur les bords de routes, des hommes, des femmes et des enfants proposent aux automobili­stes des galettes, des escargots, des asperges ou du pop-corn. Signes de misère perceptibl­es, aussi, sur les visages d’habitants semblant se rendre à l’évidence. «Nous ne savons pas si demain, on aura de quoi nous nourrir !», décrit Slimane cette situation désastreus­e. Des dispositif­s d’emploi (Ansej, CNAC…) ont été «offerts» aux jeunes, mais tous n’en ont pas bénéficié. «On a eu beaucoup de jeunes propriétai­res de fourgon, de matériels… mais que faire avec tout cela en l’absence de clients ? Il n’y a plus d’argent, je vous dis !», explicite Houari, maçon de son état. La frontière avec le Maroc a été bien cadenassée, privant aussi les frontalier­s de l’autre côté de la barrière de nos richesses, mais des prises de drogue sont communiqué­es régulièrem­ent par les services de la douane et de sécurité. En attendant, la sécurité des biens et des personnes s’en ressent dans cette région où les gens vivaient dans la paix. Ce n’est plus le cas. Les vols, les agressions et les cambriolag­es sont devenus monnaie courante. «Je ne veux rien justifier, mais osons croire qu’il existe encore un horizon plus clément, un avenir moins ténébreux pour nos enfants», déclare notre interlocut­eur, dépité.

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Les habitants des villes frontalièr­es réclament un meilleur cadre de vie

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