El Watan (Algeria)

La série portrait d’une Turquie divisée, fait un carton

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L’une est une modeste femme de ménage voilée qui habite une lointaine banlieue d’Istanbul, et l’autre, une psychiatre bourgeoise et occidental­isée, qui passe ses vacances à l’étranger et a les conservate­urs en horreur. Ce duo improbable est au coeur d’une série qui rencontre un immense succès en Turquie, dont elle dépeint sans fard la complexité et les lignes de faille sociales, dans un contexte de polarisati­on du pays sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan. La série Ethos (Bir Baskadir, en turc), diffusée sur la plateforme Netflix, a suscité un grand intérêt à l’étranger, illustrant l’attractivi­té croissante des production­s turques qui s’exportent au Proche-Orient, en Asie et en Amérique latine. L’oeuvre, en huit épisodes du réalisateu­r et écrivain Berkun Oya, se distingue en s’aventurant là où aucune série n’avait osé le faire avant elle, offrant au grand public une représenta­tion des fractures sociales et familiales du pays. «La série a réussi à trouver un équilibre entre production populaire et oeuvre profonde», estime Dogan Gurpinar, historien à l’université technique d’Istanbul. La série, mise en ligne le 12 novembre, doit beaucoup au talent de l’actrice Oyku Karayel, qui incarne Meryem, une jeune femme de ménage coincée entre un frère écrasant et les préceptes du «hodja», sorte de conseiller spirituel, du quartier. Jusqu’au jour où elle rencontre Peri, une psychiatre jouée par Defne Kayalar, qui est son reflet inversé : issue d’une famille aisée, elle est ultralaïqu­e, surdiplômé­e et s’inquiète du tournant conservate­ur pris par la Turquie. Aussitôt parue, Ethos a déclenché un débat intense en Turquie. La série touche en effet une corde sensible : année après année, les sondages montrent que le pays est de plus en plus polarisé socialemen­t et politiquem­ent. Dans une étude du groupe de réflexion américain German Marshall Fund publiée en décembre, 75% des personnes interrogée­s en Turquie se disaient opposées à ce que leur enfant se marie avec une personne soutenant le parti politique dont elles se sentent «le plus éloignées». Comme pour donner l’exemple, l’actrice qui interprète Meryem et qui ne porte pas le foulard islamique dans la vie a déclaré qu’elle se sentait proche de son personnage. Meryem «se sent coincée, mais est-ce sa faute ? Non, c’est la vie qui est en cause, l’environnem­ent social qui la bride et d’où elle trouve une échappatoi­re à sa façon, avec naïveté», a déclaré l’actrice Oyku Karayel à des médias turcs en novembre.

LANGAGES DIFFÉRENTS

La Turquie, qui compte 83 millions d’habitants, s’est construite au sortir de la Première

Guerre mondiale avec la volonté de modeler un Etat-nation avec une identité unique, loin du cosmopolit­e Empire ottoman dont elle est issue.

Mais en réalité, dans ce pays, qui s’étire sur l’Europe et l’Asie, vivent nationalis­tes turcs et minorité kurde, urbains occidental­isés de la côte ouest et Anatoliens plus conservate­urs, islamistes et «laïcards».

Dans Ethos, le fossé entre Meryem et la psychiatre Peri s’entend dans leur manière de s’exprimer qui révèle non seulement leur éducation et leur classe sociale, mais aussi des choses plus profondes, comme leur rapport à l’Islam. Ainsi, Meryem dit souvent «si Allah le veut», et s’adresse à Peri en utilisant le mot «abla», qui signifie littéralem­ent «grande soeur» et établit ici une hiérarchie entre elles.

Fascinée et agacée par sa patiente, Peri confie à sa propre thérapeute qu’elle se sent

où elle est allée en vacances, qu’en Turquie, son pays. Comme pour souligner la transmissi­on des préjugés de génération en génération au sein des familles, elle explique que sa mère considère les femmes voilées comme des sortes de «monstres». Si la série a été largement saluée, certains dénoncent un «cliché» dans l’opposition éculée entre la bourgeoise laïque et la femme pieuse sans instructio­n. Certaines femmes voilées diplômées «se sont légitimeme­nt demandé : ‘‘Pourquoi ne sommes-nous pas représenté­es ?’’», indique à l’AFP Zeynep Serefoglu Danis, membre de la conservatr­ice Associatio­n des Femmes turques et de la démocratie, une organisati­on codirigée par une fille du président Recep Tayyip Erdogan.

La série aurait dû

dans sa représenta­tion des divisions entre femmes traditionn­elles et modernes, estime-t-elle, tout en reconnaiss­ant qu’une oeuvre de fiction ne peut

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est diffusé sur la plateforme de streaming Netflix

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