El Watan (Algeria)

Une enquête sera-t-elle ouverte ?

- LIRE LES ARTICLES DE ABDELGHANI AÏCHOUN, MADJID MAKEDHI, SALIMA TLEMÇANI ET NABILA AMIR

■ En révélant devant les magistrats de la cour d’Alger avoir reçu des lingots d’or offerts par des dignitaire­s des monarchies du Golfe, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia a rendu publics des faits punis par la loi et dont il n’est pas le seul auteur.

● En révélant devant les magistrats de la cour d’Alger avoir reçu des lingots d’or, offerts par des dignitaire­s des monarchies du Golfe, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia a rendu publics des faits punis par la loi et dont il n’est pas le seul auteur

● «Durant les périodes de chasse organisées par la Présidence, j’ai reçu ces cadeaux comme le reste des responsabl­es (…) Ils nous ont offert plus de 60 lingots d’or.» Ouyahia a informé la justice de ces faits, mais a-t-elle ouvert une enquête ? La question reste posée.

En comparaiss­ant pour la première fois, l’été 2019 devant les magistrats conseiller­s près la Cour suprême, l’ancien Premier ministre Ahmed Ouyahia avait déclaré que la somme de 300 millions de dinars, trouvée dans un de ses comptes personnels, était «le fruit de cadeaux» qu’il avait reçus, mais sans pour autant donner plus d’explicatio­ns. Lors de son premier procès lié aux «indus avantages» accordés dans le cadre du montage automobile, devant le tribunal de Sidi M’hamed, il revient sur ses propos en niant le fait que cette somme d’argent soit le produit de la corruption. Il maintient ses déclaratio­ns en appel, mais après cassation par la Cour suprême, il surprend tout le monde, y compris ses avocats, en avouant devant la cour : «Pendant les parties de chasse organisées par la Présidence au profit des émirs du Golfe, j’ai reçu des cadeaux comme le reste des responsabl­es durant cette période. Ils nous ont offert plus de 60 lingots d’or. Nous les avons vendus au marché noir entre 2014 et 2018 (…) pour 350 millions de dinars. La Banque d’Algérie avait refusé de les acheter.» Ahmed Ouyahia rappelle même aux magistrats : «Si vous voulez connaître la provenance de 300 millions de dinars – déposés dans ce compte qu’il a ouvert en 2014 auprès de la BDL – tout est notifié au 4e étage du tribunal.» Le message est clair. Le bureau dont-il est question est celui des saisies opérées dans le cadre de cette affaire. Vraisembla­blement, la justice a déjà récupéré quelques-uns de ces lingots, trouvés chez un des hauts responsabl­es, emprisonné­s dans le cadre de la même affaire.

«LES RESPONSABL­ES SE SONT PARTAGÉ PLUS DE 60 LINGOTS D’OR»

L’ancien Premier ministre, qui était directeur de cabinet à la présidence de la République, met en cause «le reste des responsabl­es» en poste entre 2014 et 2018. Selon lui, ils se sont partagés plus de 60 lingots d’or, offerts par les émirs des Emirats, du Bahreïn, du Qatar et de l’Arabie Saoudite. Les aveux d’Ahmed Ouyahia présentent les coupables. En premier lieu, le président déchu, Abdelaziz Bouteflika, qui a autorisé les dignitaire­s des monarchies du Golfe à chasser l’outarde et la gazelle, des espèces protégées par la loi et donc interdites à la capture. «Le reste des responsabl­es durant cette période» – pour reprendre l’expression de l’ex-Premier ministre – concerne plusieurs hauts cadres de l’Etat, à commencer par le chef de l’Exécutif, alors Abdelmalek Sellal, mais aussi de nombreux cadres de la Présidence, des ministres, de hauts responsabl­es de l’Armée, tous impliqués dans la logistique de ces opérations de braconnage organisées et parmi lesquels certains sont toujours en poste. Les dispositio­ns de la loi 01/06 relative à la lutte contre la corruption punie tout responsabl­e de l’Etat, qui «accepte directemen­t ou indirectem­ent d’une personne un cadeau ou tout avantage indu susceptibl­e de pouvoir influencer le traitement d’une procédure ou d’une transactio­n liée à ses fonctions». L’exPrésiden­t qui a autorisé le braconnage et les autres responsabl­es qui ont fermé les yeux sur ces actes illégaux, en contrepart­ie de cadeaux (des lingots d’or) tombent tous sous le coup de la loi. Les aveux d’Ahmed Ouyahia, déjà au moment de l’instructio­n, c’est-àdire en 2019, auraient dû susciter une nouvelle enquête judiciaire. Dans le cas contraire, les magistrats devant lesquels l’ex-directeur de cabinet du président déchu avait révélé cette affaire de lingots d’or devraient être poursuivis. La loi 01/06 relative à la lutte contre la corruption prévoit, dans son article 48, des circonstan­ces aggravante­s contre «les magistrats ou fonctionna­ires exerçant une fonction supérieure de l’Etat, officier public, membre de l’organe, officier, agent de la police judiciaire ou ayant des prérogativ­es de police judiciaire ou greffier» en les punissant d’une peine 10 à 20 ans de prison, dans le cas où ils «prennent connaissan­ce des faits» en question et «n’informe pas à temps les autorités publiques compétente­s». L’ont-ils fait ou non ? La question reste posée et la justice est tenue d’y répondre. L’ex-président Abdelaziz Bouteflika, Ahmed Ouyahia et «le reste des responsabl­es» qui étaient en poste entre 2014 et 2018 sont coupables d’avoir autorisé le braconnage et d’avoir en contrepart­ie accepté des lingots d’or, certaineme­nt revendus.

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Ahmed Ouyahia, ancien Premier ministre

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