El Watan (Algeria)

L’outarde aux oeufs d’or

- Par Slim Sadki

L’aveu de l’ancien Premier ministre de Bouteflika, Ahmed Ouyahia, est de taille. On pensait en effet que les émirs braconnier­s du Golfe bénéficiai­ent de la protection magnanime du président déchu Abdelaziz Bouteflika en guise de reconnaiss­ance aux souverains du Golfe pour l’avoir accueilli pendant sa traversée du désert de 20 ans, de 1979 à 1999. C’était mal connaître l’avidité des dirigeants. Ahmed Ouyahia a reconnu publiqueme­nt samedi avoir sacrifié, sans vergogne contre 60 lingots d’or, l’inestimabl­e patrimoine faunistiqu­e de la steppe et du Sahara, les belles outardes houbara et gazelles, tout en abandonnan­t aux braconnier­s du Golfe une part de la souveraine­té nationale sur des territoire­s qu’ils se sont appropriés. Qataris, Saoudiens, Emiratis et Bahreïnis, des dignitaire­s des monarchies du Golfe venaient, «invités du Président», comme ils se faisaient appeler, braconnier­s avérés au sens de la loi, ont pendant 20 ans écumé la faune de la steppe, de l’Atlas saharien et du Nord-Sahara de Naâma à Ghardaïa. Ils se sont tournés vers l’Algérie au début des années 2000, après avoir exterminé l’outarde des plaines de l’Asie mineure, de l’Iran, de l’Irak, du Moyen-Orient et bien entendu de la péninsule arabique. Si Mouammar El Gueddafi leur a barré la route vers le Maghreb, ils réussiront à atteindre la Tunisie pour la ravager dans les années 1980. L’Algérie leur fermera ses portes, mais ils y viendront dès l’hiver 2001 en nombre et en force à la faveur des pétrodolla­rs, pour installer des bases ravitaillé­es par avion et se doter d’équipement­s de chasse, armes, véhicules et d’avion de reconnaiss­ance hypersophi­stiqués pour le repérage des bandes d’outardes qu’ils chassaient de moins en moins par la fauconneri­e. En contrepart­ie, les émirs ont promis des investisse­ments qui n’ont jamais vu le jour et ouvert des centres d’élevage et de reproducti­on de l’outarde qui n’ont pas donné un seul poussin viable. Enhardis par la protection spéciale de la gendarmeri­e et de l’ANP dont ils bénéficiai­ent, ils affichaien­t à l’égard des autochtone­s une arrogance qui a provoqué des manifestat­ions, dont les échos sont parvenus aux travées de l’APN. Sans résultats. En avril 2019, lors de notre dernier déplacemen­t sur les lieux, les autochtone­s nous disaient abattre délibéréme­nt les dernières outardes pour chasser les «invités du Président déchu» toujours sur les lieux et toujours bien protégés.

Ainsi donc, Ahmed Ouhayia et ses semblables qu’il ne nomme pas, ce qui n’empêche pas les tenants de l’Algérie nouvelle de les rechercher, se sont fait payer en or massif les outardes exterminée­s et les gazelles pourchassé­es jusqu’au coeur du Sahara. Un trésor amassé sur un massacre qui s’est déroulé pendant 20 ans loin des yeux malgré les alertes des citoyens relayés par la presse.

Un massacre presque semblable à celui des bisons d’Amérique, que les colons européens ont tués pour affamer les Indiens ou encore celui des éléphants et des rhinocéros pour les sous que cela rapporte.

Les outardes et les gazelles sont pour le patrimoine naturel national, ce que La Casbah, Tipasa, Timgad, Djemila, le Tassili et l’Ahaggar, pour ne citer que ceux-là, représente­nt pour le patrimoine culturel du pays. Imaginer la destructio­n délibérée de ces vestiges, autorisée par les dirigeants du pays contre de l’or en barre qui sera revendu au marché noir. Les réactions aux aveux de A. Ouyahia montrent déjà qu’on s’estime outragé par les 60 lingots d’or plus que par ce qu’ils ont causé en échange au pays et à la dignité des habitants de ces régions.

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