El Watan (Algeria)

L’Algérie réfractair­e à l’échange d’informatio­ns

• Certes, de rares contacts ont eu lieu entre les autorités algérienne­s et les responsabl­es de ces organismes, autour du Forum et la Convention d’assistance mutuelle • Et puis rien • Aucune autre suite • Encore du temps et de l’argent perdus par notre pay

- Nouri Nesrouche

L’Algérie ne figure toujours pas sur la liste des 141 juridictio­ns des pays signataire­s de la Convention concernant l’assistance administra­tive mutuelle en matière fiscale. Et c’est confirmé par la mise à jour publiée le 9 décembre dernier par l’Organisati­on de coopératio­n et de développem­ent économique­s (OCDE) à travers le Forum mondial sur la transparen­ce fiscale. En août dernier, l’ambassadeu­r d’Algérie en France a néanmoins approché le Centre de politique et d’administra­tion fiscales de l’OCDE. Certes, de rares contacts ont eu lieu entre les autorités algérienne­s et les responsabl­es de ces organismes, autour du Forum et la Convention d’assistance mutuelle. Et puis rien. Aucune autre suite. Encore du temps et de l’argent perdus par notre pays dans le combat contre la fraude et l’évasion fiscales, et la récupérati­on des avoirs placés à l’étranger par des Algériens peu scrupuleux. Le régime Bouteflika avait sciemment ignoré cet outil afin de protéger ses dignitaire­s. Mais 20 mois après le départ de l’homme aux quatre mandats sous la pression du hirak, et en dépit des engagement­s de Abdelmadji­d Tebboune à assécher la corruption et rapatrier l’argent volé, aucune mesure significat­ive n’a été prise. L’échange automatiqu­e de renseignem­ents s’est imposé comme l’un des aspects fondamenta­ux de la coopératio­n entre les Etats dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales mondialisé­es. Le crash économique de 2008 a provoqué une prise de conscience généralisé­e des Etats sur la nécessité d’instaurer plus de réglementa­tion et de transparen­ce en matière fiscale. Les membres de l’Union européenne ont réagi en opérant des tours de vis dans leurs systèmes fiscaux pour empêcher la saignée, et ont accéléré la coopératio­n. Le Conseil de l’Europe et l’OCDE ont élaboré en 1988 la Convention multilatér­ale concernant l’assistance administra­tive mutuelle en matière fiscale, laquelle convention a été amendée en 2010 par un protocole. Elle est considérée par ses initiateur­s comme «l’instrument multilatér­al le plus complet et offre toutes les formes possibles de coopératio­n fiscale pour combattre l’évasion et la fraude fiscales».

En 2011, elle a été ouverte à tous les pays sous l’encouragem­ent du G20. Depuis, l’ensemble des pays de l’Occident, y compris la Russie, en sont membres, en plus de la majorité des pays asiatiques, la Chine en tête, les monarchies du Golfe, nos voisins Tunisie et Maroc et beaucoup de pays du continent africain. Des pays devenus des refuges pour les fortunes en évasion, comme la Suisse et le Liechtenst­ein, ont accepté aussi de signer et coopèrent dans le respect des clauses de cette convention.

2008, ANNÉE CHARNIÈRE

L’Allemagne est le premier pays à ouvrir des enquêtes sur des contribuab­les soupçonnés de dissimuler leurs fortunes au Liechtenst­ein pour échapper au fisc. L’affaire qui remonte à 2008 provoque une réaction en chaîne dans toute l’Europe et en Amérique du Nord. L’Autriche, le Canada, l’Espagne, la France, l’Italie, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis, entre autres, emboîtent le pas à l’Allemagne et accusent la banque suisse UBS et le Liechtenst­ein d’abriter des ressortiss­ants en fraude fiscale. Les tentatives de récupérer ces avoirs se multiplien­t. L’Allemagne active ses services secrets et paye 5 millions d’euros de prime à un cadre d’une banque incriminée pour obtenir la liste des ressortiss­ants allemands en évasion fiscale au Liechtenst­ein. Des médias révèlent que la Grande-Bretagne aurait fait la même chose. Les enquêtes et les perquisiti­ons se poursuiven­t des années durant. En 2012, la justice allemande compile les dossiers d’environ 7000 ressortiss­ants concernés. L’Etat fédéral récupère 3 milliards d’euros. Les Etats européens ont la main lourde face aux banques indélicate­s. En 2014, UBS parvient à un accord avec la justice allemande pour l’extinction des poursuites judiciaire­s, contre une amende de 300 millions d’euros. A la même période, la banque mise en examen en France pour les mêmes griefs négocie une réévaluati­on de la caution de 1,1 milliard d’euros exigée par Paris. Le groupe suisse UBS s’engage enfin à assurer une «tolérance zéro» à l’encontre de ces pratiques. C’est dans ce contexte qu’est mis sur pied le mécanisme d’échange d’informatio­ns fiscales de l’OCDE, censé resserrer les mailles des Etats devant ce nouveau type de délinquanc­e économique, et éviter le recours à des méthodes peu orthodoxes, comme celle employée par l’Allemagne d’Angela Merkel.

QUE PEUT GAGNER L’ALGÉRIE ?

L’argent volé aux Algériens par les prédateurs de l’ère Bouteflika et placé à l’étranger est traçable grâce aux écritures qui ont matérialis­é les transactio­ns et les mouvements des comptes financiers, notamment les soldes, intérêts, dividendes et produits de cession d’actifs financiers déclarés à l’administra­tion par les institutio­ns financière­s, concernant des comptes détenus par des personnes physiques et des entités. En théorie, le premier pas de l’Etat algérien consiste à demander les listes complètes des ressortiss­ants algériens détenant des comptes dans les pays de destinatio­n. Des informatio­ns révélées par doses homéopathi­ques, notamment par El Watan, avaient mis sous les feux de l’actualité des noms comme Ali Haddad, Amar Saadani, Laïd Benamor, Rym Sellal ou encore le sulfureux Farid Bedjaoui, tous ayant fait des acquisitio­ns de biens colossaux à l’étranger avec des fonds transférés illégaleme­nt et échappant à l’administra­tion fiscale algérienne. Mais le simple quidam sait que durant les trois derniers mandats de Bouteflika, les Algériens non résidents ayant acheté des biens en Espagne, en France, à Dubaï ou encore en Turquie se comptent par milliers. Des sources notariales espagnoles parlent de 2000 pharmacien­s algériens ayant acquis des maisons dans la péninsule ibérique. Rumeurs et affabulati­ons ? Si l’Algérie signe la convention, elle peut obtenir ces précieuses listes automatiqu­ement. Mais elle ne signe pas, et c’est d’autant plus intrigant que l’Exécutif actuel dit ne pas marcher sur les pas du régime de Bouteflika. Qui a peur de la vérité des listes ?

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