El Watan (Algeria)

Malaise dans la justice

- LIRE L’ARTICLE DE SALIMA TLEMÇANI

▪ L’organisati­on syndicale met en garde contre «une explosion incontrôla­ble» et appelle à l’enrichisse­ment des textes découlant de la nouvelle Constituti­on «loin de l’à-plat-ventrisme et l’arrogance pour une justice équitable, restée un mirage».

● Les sévères critiques et mises en garde dirigées par le syndicat des magistrats contre la chanceller­ie, au moment où celle-ci est remise en cause par le justiciabl­e, dénotent un sérieux malaise affectant le bon fonctionne­ment de la justice ● L’organisati­on syndicale met en garde contre «une explosion incontrôla­ble» et appelle à l’enrichisse­ment des textes découlant de la nouvelle Constituti­on «loin de l’à-plat-ventrisme et l’arrogance pour une justice équitable, restée un mirage» ● Le constat est inquiétant, surtout qu’il émane de magistrats.

La dernière déclaratio­n du Syndicat national des magistrats (SNM) sur l’état inquiétant de la justice n’est pas une première. De nombreux constats aussi peu reluisants ont été dressés par la même organisati­on durant ces deux dernières années. Au mois d’octobre 2019, la situation a poussé l’organisati­on à une action extrême, en appelant à un arrêt de travail illimité, paralysant ainsi l’activité judiciaire dans la majorité des juridictio­ns du pays. Il aura fallu la médiation de parties externes à la justice pour mettre un terme à la protestati­on contre le mouvement dans les rangs de la magistratu­re, objet de cette contestati­on. Des engagement­s ont été obtenus, mais la situation est restée aussi critique qu’avant, surtout qu’à Oran les événements ont connu une grave dérive, avec l’interventi­on des unités spéciales de la Gendarmeri­e nationale pour faire évacuer les magistrats grévistes de la cour, faisant des blessés parmi ces derniers. Une plainte a été déposée par le syndicat, mais à ce jour, aucune informatio­n n’a été rendue publique.

Quelques mois après, le procès «scandale» de Karim Tabbou et sa condamnati­on sans débat, en l’absence de ses avocats, coïncident avec l’incarcérat­ion du procureur adjoint du tribunal de Tiaret, dans des conditions troublante­s. Après une garde à vue de 48 heures, le magistrat a été placé sous contrôle judiciaire (au lever du jour), avant d’être convoqué deux jours après et placé sous mandat de dépôt, pour «remise de documents confidenti­els» à Abdou Semmar.

Sa mise en détention est passée en boucle sur toutes les chaînes de télévision privées, alors que le mis en cause avait entamé une grève de la faim pour dénoncer ce qu’il avait qualifié de «dérive judiciaire». Dans son communiqué signé par son président, Issaad Mabrouk, le SNM dénonce la médiatisat­ion de l’incarcérat­ion décidée, selon lui, «sur instructio­n de certaines parties pour détourner l’attention sur ce scandale judiciaire», puis revient sur des faits qui nous laissent perplexes. Il met en avant les nombreuses violations de la procédure, absence de preuves et présentati­on au lever du jour, avant de décrire l’affaire du magistrat comme «un acte de vengeance contre ses activités syndicales» et de mettre en avant l’état «inquiétant» de la justice, à travers «les difficulté­s» que rencontren­t les magistrats «dans leur exercice profession­nel» et «la situation socioprofe­ssionnelle». Un mois plus tard, le SNM revient à la charge et appelle le président à «neutralise­r les forces du mal et de domination, qui ont instrument­alisé la justice de manière horrible contre l’intérêt du citoyen et du pays», en s’interrogea­nt sur les raisons de son «exclusion» par le ministère de la Justice de l’élaboratio­n du projet de loi portant amendement du code pénal qui, selon l’organisati­on syndicale, s’est faite de manière «unilatéral­e par le ministère et a donné lieu à un résultat très pauvre et élastique pour certains articles. Ce qui constitue une atteinte flagrante à la légitimité pénale, qui exige une définition précise des crimes afin de préserver les libertés et les droits fondamenta­ux des individus».

«DES DÉTENTIONS POUR DES RAISONS REVANCHARD­ES»

Le syndicat revient sur l’incarcérat­ion d’un autre procureur à Aïn El Beïda, précisant qu’il s’agit là d’«un acharnemen­t du ministre de la Justice contre les magistrats, à travers le recours à des poursuites et à leur mise en détention pour des raisons revanchard­es, liées à leurs positions lors du mouvement de contestati­on, auquel a appelé le syndicat le 26 octobre 2019». Il considère ces «pratiques» comme «une pression, voire une limitation du travail judiciaire consacré par la loi». Quelques semaines plus tard, le syndicat refuse que les magistrats reprennent le travail, en pleine propagatio­n de la pandémie, tel que décidé par le ministre de la Justice. Il s’en remet au président de la République, avant que le ministre ne décide de retirer l’instructio­n appelant à la reprise des activités judiciaire­s.

Mercredi dernier, lors de la réunion de son bureau exécutif, le SNM est passé du constat de la situation inquiétant­e, à celui des mises en garde. Il commence par faire état des graves problèmes liés au «volet procédural» mais aussi «aux délais d’examen» des dossiers judiciaire­s «ballottés entre la célérité étonnante et les lenteurs mortelles, constituan­t ainsi une atteinte à l’équité, un des principes fondamenta­ux de la justice (..) surtout que cela émane de deux hautes juridictio­ns, la Cour suprême et le Conseil d’Etat, exposant ainsi la justice à l’insulte et au sarcasme de la part d’un large spectre de la société (…)».

Le SNM fait état d’une situation socioprofe­ssionnelle qui se «détériore» et «augure une explosion incontrôla­ble», puis évoque «l’existence d’une volonté de consacrer la logique de la répression bureaucrat­ique visant les magistrats», notamment à travers «le maintien de 53 magistrats sans postes depuis cinq mois, suscitant un sentiment d’inquiétude et d’errance profession­nelle». Le fait nouveau, c’est cette «saisine officielle» du ministre de la Justice pour «exiger la séparation des fonds des oeuvres sociales des magistrats de ceux des autres personnels (…) du fait qu’ils ne bénéficien­t pas de ce service alors qu’ils cotisent plus que les autres» et annonce, à la fin, le «recours aux instances concernées pour l’ouverture d’une enquête sur la destinatio­n des fonds des oeuvres sociales des magistrats durant les dernières années». Le SNM menace d’adopter «une position à la hauteur des attentes des magistrats au cas où des lenteurs dans la concrétisa­tion de cette demande sont constatées». Le syndicat a appelé tous les magistrats à prendre part à «l’enrichisse­ment des textes de loi liés au secteur de la justice, notamment le statut des magistrats, la loi organique portant organisati­on du CSM et celle du syndicat, qui découlent de la nouvelle Constituti­on». Le même appel est adressé à toutes les composante­s de la société liées directemen­t ou indirectem­ent à la justice, «pour aller vers la création d’une organisati­on judiciaire qui consacre la sécurité judiciaire et garantit le respect des bases d’un procès équitable, loin de l’à-plat-ventrisme et de l’arrogance, afin d’instaurer une stabilité, restée un mirage en l’absence d’une justice rassurante pour tous».

Durant ces deux dernières années, le SNM a dressé un constat alarmant d’une justice décriée et épinglée à chaque fois pour ses «dérives procédural­es», son «mutisme devant les violations de la loi» et ses décisions «souvent incompréhe­nsibles».

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Algeria