La défense des accusés fait le procès de la police judiciaire
Au dernier jour des plaidoiries dans l’affaire du montage automobile et financement occulte de la campagne présidentielle de 2019, les avocats de l’homme d’affaires Ahmed Mazouz ont fait le procès de la Police judiciaire (PJ) qui a élaboré, selon eux, de «faux rapports sur la base de fausses informations» qui ont donné lieu à ce procès, qui, de leur avis, a été «orienté» et la dimension politique donnée au à cette affaire est «indéniable». «S’il y avait eu une enquête sérieuse, puisqu’une enquête exige la sérénité, car elle a un impact sur la vie des gens, on n’en serait pas là, et ces ministres et hommes d’affaires ne subiront pas tant d’humiliation et de mépris. On nous a imposé un faux débat», lance Me Lakhdari. La défense des anciens cadres au ministère de l’Industrie, Tira Amine, Abdelkrim Mustapha et Mohamed Alouane, ont également relevé les multiples «erreurs judiciaires» commises dans le traitement de cette affaire, notamment les enquêtes «bâclées» par les services de sécurité et une instruction «superficielle». Plusieurs avocats ont estimé que l’un des fondements de la justice, à savoir l’égalité devant la justice, a été «bafoué». Me Benyacoub, avocate de Tira Amine, note que son client est poursuivi sur une présomption et non pour sa relation directe avec le dossier. Son client, plaide-t-elle, était membre de la commission d’évaluation technique «qui n’a aucune relation avec le montage automobile» et que sa «mission consistait seulement à donner l’avis et à soumettre son rapport au ministre», ajoutant qu’il avait démissionné en mars 2017 en raison d’anomalies, mais aussi pour avoir été chargé de recevoir les opérateurs directement, alors que cela relevait des prérogatives d’autres responsables. La commission a étudié, avant sa démission, 26 dossiers de montage automobile et a émis un avis favorable pour 19 dossiers. «Tira n’a rien signé, il n’était pas membre du comité et malgré cela son nom figure dans le dossier. Voilà une bizarrerie. Ils ont dit que mon client avait un pouvoir de contrôle, alors que dans le même jugement, ils ont considéré que le responsable qui occupait le poste de directeur du développement technologique avant lui n’avait aucun pouvoir. Ce n’est pas logique», tranche-t-elle avant de plaider la relaxe. Sur ces ambiguïtés et contradictions, beaucoup d’avocats évoquent à demi-mot, dans les allées de la cour d’Alger, l’existence «d’un cabinet noir». Dans sa plaidoirie, Me Lakhdari a convoqué l’histoire en rappelant les conditions dans lesquelles la défense a travaillé. Il a insisté ainsi sur la «violation» des droits de la défense. «Sur quelle base et de quel droit la police judiciaire se permet-elle de dire que telle ou telle personne mérite l’emprisonnement ? De quel droit ordonne-t-elle la saisine des biens ou les documents des accusés ? Après l’arrestation des Premiers ministres et ministres et hommes d’affaires, la police judiciaire a refusé de nous remettre les PV. La défense allait se retirer. J’avais honte de porter la robe noire», relate Me Lakhdari, dénonçant un procès politique et une affaire qui sonne comme un «règlement de comptes qui a conduit à jeter en pâture des hommes d’affaires les plus honnêtes de l’Algérie et à sacrifier des cadres de l’Etat très compétents juste pour satisfaire un peuple en insurrection».
Depuis le début des plaidoiries, les avocats se sont élevés contre le caractère politique que revêt cette affaire. Ils étaient surtout excédés par l’«instrumentalisation» de la justice dans un dossier qualifié de vide. «L’on parle de blanchiment d’argent, de privilèges, l’accusation portée contre M. Mazouz exige des arguments pour lui donner un fondement. Mon client a été lésé, on a essayé de le casser et non le contraire», observe Me Lakhdari qui revient longuement sur le parcours et les origines de la fortune de son client. «M. Mazouz n’est pas né de la dernière pluie. A 18 ans, il était à la tête d’une entreprise qui employait 220 travailleurs. Aujourd’hui, il possède 23 usines employant des milliers de travailleurs. Je ne comprends pas comment on demande à un homme d’affaires de cette taille pourquoi et comment entre 2011 et 2018, ces usines ont fait un chiffre d’affaires de 128 milliards de centimes C’est une évidence», s’exclame l’avocat. Ce dernier fait remarquer que les usines de son client ne sont pas en faillite. Bien au contraire, elles génèrent chaque année des bénéfices et des dividendes. «Cet argent lui appartient, il n’a jamais demandé de crédits, pourquoi on lui demande des comptes ? Pendant 30 ans d’existence dans le monde des affaires, son activité était irréprochable, les services concernés passent au peigne fin ses comptes. Pourquoi aujourd’hui on l’humilie de cette façon ?» s’insurge l’avocat de Mazouz qui rappelle l’humiliation subie par l’ensemble des accusés depuis leur arrestation. «Ils ont voulu mépriser ces cadres et hommes d’affaires. Menottes aux poignets, les accusés descendaient des fourgons de la police et traversaient la rue avant d’arriver au tribunal devant une foule de badauds et de journalistes qui filmaient leur passage. Pourquoi ce spectacle ? Pourquoi on a voulu ternir l’image de ces personnes ?» s’interroge-t-il. Mazouz et la défense de tous les accusés ont aujourd’hui espoir. Ils se sont réjouis du bon déroulement de ce procès avec une composante spéciale et demandent tous la relaxe pour leurs mandants. Ce procès est intervenu après que la Cour suprême ait accepté le pourvoi en cassation introduit par la défense des accusés.
Il s’agit, en effet, du premier dossier de corruption traité en décembre 2019 par le tribunal de Sidi M’hamed, et dans lequel sont poursuivis les deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, ainsi que les trois anciens ministres de l’Industrie, Youcef Yousfi, Mahdjoub Bedda et Abdesselam Bouchouareb et le ministre des Transports et des Travaux publics, Abdelghani Zaalane.