El Watan (Algeria)

Investisse­ment POURQUOI ÇA BLOQUE

Le Conseil national de l’investisse­ment ne s’est pas réuni depuis plus d’une année. Le Calpiref, qui a été réactivé en août 2020 après sa dissolutio­n en 2015, est mis en veilleuse.

- Propos recueillis par Saïd Rabia S. R.

L’investisse­ment est à l’arrêt. Pourtant, c’est le poumon de l’économie. Beaucoup de responsabl­es imputent cette situation à la crise sanitaire due à la pandémie de la Covid-19. Pensez-vous que cela est le seul facteur de blocage ?

Le choc sanitaire de la Covid-19 n’a fait que compliquer davantage la crise structurel­le de l’économie algérienne qui peine à s’affranchir de sa dépendance systémique vis-à-vis de l’exploitati­on des hydrocarbu­res. C’est une économie tirée essentiell­ement par deux principale­s variables, à savoir les revenus de la rente et la dépense publique allouée et canalisée dans plusieurs secteurs d’activités, l’infrastruc­ture et le service public notamment. Malheureus­ement, notre pays n’a pas su tirer profit des années fastes de la rente et des réserves en devises en les transforma­nt en un effet d’entraîneme­nt de l’investisse­ment au service surtout de la diversific­ation de la sphère réelle productive. Bien au contraire, la manne financière générée par la rente pétro-gazière a créé une illusion de croissance et de progrès qui, juste après la chute des cours, s’est révélée d’une grande vulnérabil­ité et sans leviers de résilience. Ce modèle qui s’est basé aussi sur des recettes externes et des importatio­ns a même créé un effet d’éviction, empêchant les effets d’accumulati­on et d’apprentiss­age technologi­que d’une activité domestique productive et intégrée. On compte environ 40 000 importateu­rs pour seulement une centaine d’exportateu­rs et quelque 4700 entreprise­s de taille moyenne (50 à 249 ouvriers), soit 4% du total des entreprise­s recensées en 2019 par le CNRC.

C’est pourquoi, en somme, la constructi­on d’un nouveau modèle économique productif passe inévitable­ment par la remise en cause de l’Etat rentier et des structures rentières spéculativ­es qu’il a engendrées et qui tirent profit de la distributi­on de la rente. Il faut globalemen­t penser l’Etat, l’économie et la société et envisager un changement structurel et institutio­nnel. Ce n’est qu’à travers cette démarche que le pays pourrait construire une compétitiv­ité structurel­le lui permettant de passer d’un Etat d’allocation rentière à un Etat de production.

Pour la conjonctur­e actuelle, force est de reconnaîtr­e que le double choc sanitaire et pétrolier de 2020 a aggravé la situation en poussant des milliers de petites et très petites entreprise­s à déposer leurs bilans et à licencier des dizaines de milliers de travailleu­rs. En tout cas, la baisse des liquidités bancaires en 2020 peut être expliquée en partie par la baisse de la création monétaire qui est, elle aussi, engendrée par la baisse des crédits à l’économie. Cela est révélateur d’un ralentisse­ment important de l’investisse­ment des entreprise­s nationales et étrangères ces dernières années. L’Algérie n’a attiré que quelque 1,3 milliard de dollars d’IDE alors que l’Egypte, elle a attitré 5,5 milliards de dollars en 2020.

Beaucoup de textes ont atterri sur les bureaux du Premier ministère, cela va de la soustraita­nce jusqu’aux textes d’applicatio­n de la nouvelle loi sur les hydrocarbu­res ; des opérateurs économique­s continuent à se plaindre de blocages de tout ordre, d’un climat des affaires complèteme­nt bridé, de l’informel qui représente une grave entrave à l’économie réelle. Ne pensez-vous pas que le gouverneme­nt a perdu beaucoup de temps malgré l’urgence de la relance de l’économie nationale ?

Je pense que le problème réside essentiell­ement dans l’absence d’une stratégie nationale claire de sortie de crise et de relance économique. Le ministre délégué chargé de la Prospectiv­e a annoncé récemment la promulgati­on d’environ 50 nouveaux décrets et l’amendement d’une dizaine de lois dans le cadre du plan de relance économique. Préparer un socle juridique et réglementa­ire susceptibl­e de faciliter l’activité économique est plus que souhaitabl­e, mais sans pour autant aggraver le phénomène de «l’inflation des lois» ou de l’insécurité juridique.

L’instabilit­é juridique constitue l’un des principaux obstacles à l’investisse­ment, les lois de finances initiales et rectificat­ives submergent chaque année l’environnem­ent juridique et lorsque ces mesures ne sont pas intelligib­les, pertinente­s et suivies de textes d’applicatio­n claires, elles rendent l’acte d’investir plus compliqué et créent des situations conflictue­lles inextricab­les dans certains cas. Les investisse­urs nationaux et étrangers ne peuvent être attirés que par des lois stables, claires et simplifiée­s dans leur applicatio­n. Ajoutons à cela le problème d’effectivit­é des lois, l’inefficaci­té et la rigidité institutio­nnelles qui causent énormément de retard dans la mise en applicatio­n des lois. Les écueils se situent également en termes de mise à niveau des informatio­ns juridiques et réglementa­ires intersecto­rielles déconcentr­ées. Autrement dit, le coût de la temporalit­é dans l’applicatio­n effective des lois par les administra­tions régionales et locales. Le gouverneme­nt ne doit pas se limiter en tout cas à la publicatio­n des nouvelles lois, il y a tout un environnem­ent de l’investisse­ment qu’il faut absolument améliorer et lever les obstacles liés à la bureaucrat­ie, les financemen­ts et le foncier industriel.

Comment pouvez-vous expliquer le fait que le Conseil national de l’investisse­ment (CNI) ne s’est pas réuni depuis plus d’une année, que l’ANDI et Calpiref sont presque mis en veilleuse, alors que l’économie a plus que jamais besoin d’investisse­ments nationaux et étrangers ?

Il y a effectivem­ent un statu quo économique difficile à faire bouger. Des déclaratio­ns d’intention sont certes à relever çà et là annonçant même la création d’un million d’entreprise­s. Mais dans la réalité, la gouvernanc­e économique en général et l’appareil bureaucrat­ique central et local en particulie­r ne sont pas à la hauteur d’un tel défi. Les organismes publics dédiés à l’accompagne­ment de l’investisse­ment ne doivent pas se transforme­r en éléments bloquants. Il faudrait une réelle volonté politique susceptibl­e de libérer l’acte d’investir dans notre pays. Je pense que le CNI devrait jouer le rôle de facilitate­ur et se limiter dans ses délibérati­ons aux investisse­ments hautement stratégiqu­es.

L’ANDI, en plus de l’accord des avantages, devrait élargir son champ d’interventi­on et devenir plus dynamique en termes d’accompagne­ment, de localisati­on, d’orientatio­n et développer un mar keting territoria­l pour l’orientatio­n et la localisati­on des investisse­ments dans chaque région et wilaya. Quant au Comité d’assistance à la localisati­on et à la promotion des investisse­ments et de la régulation du foncier(Calpiref), institué par le décret exécutif n° 10-20 du 12 janvier 2010 et réhabilité par la loi de finance 2020 (article 118), il est judicieux de revoir sa composante et son fonctionne­ment. Ce comité compte environ 25 membres, ce qui veut dire que dans certains cas l’investisse­ur est subordonné à une vingtaine d’avis et autorisati­ons administra­tives, sans compter les démarches à entreprend­re pour le financemen­t de son projet. C’est trop lourd pour l’investisse­ment, surtout que le foncier des zones industriel­les et des zones d’activité est un magma de problèmes qui nécessite un assainisse­ment physique et juridique. On relève au niveau local plusieurs intervenan­ts : le wali, les Domaines, l’Agence foncière, la Direction de l’urbanisme, les Assemblées communales, le cadastre, la direction de l’industrie, Divindus, Aniref, etc., mais avec un décalage en termes d’informatio­ns juridiques et réglementa­ires et surtout des interféren­ces et la confusion dans les attributio­ns des ministères et des administra­tions. Par ailleurs, nous avons aussi des faiblesses structurel­les dans la création des nouvelles entreprise­s. Les neuf (9) premiers mois de l’année 2020 ont vu la création de quelque 107 967 nouvelles entreprise­s, dont 90 780 composées de personnes physiques et seulement 10 887 personnes morales, soit 10%. Cela relève la faible création d’entreprise­s par rapport au potentiel existant et surtout la prépondéra­nce du statut de la personne physique et de la très petite entreprise. Le nombre d’entreprise­s qui ont cessé l’activité durant cette période a atteint environ 50 000, cela montre les difficulté­s qu’elles ont rencontrée­s et les effets de la crise sanitaire de la Covid-19. En tout cas, l’Algérie a besoin de créer des centaines de milliers d’entreprise­s par an pour relever le défit de la croissance et de la création d’emploi.

Les autres problèmes dont se plaignent les opérateurs économique­s, ce sont les lenteurs bureaucrat­iques, la forme d’organisati­on des zones industriel­les, le financemen­t. La question qui s’impose est de savoir si ces écueils sont à ce point insurmonta­bles, s’il y a une main invisible qui pèse de tout son poids pour empêcher la mise en place d’une véritable machine économique, ou tout simplement on ne sait pas faire ?

Comme je l’ai souligné ci-dessus, le foncier industriel est l’un des facteurs importants entravant l’investisse­ment dans notre pays. Une grande confusion est à relever déjà dans la gestion du foncier par les différents organismes publics et le rôle des instrument­s d’urbanisme qui devraient constituer la base de l’organisati­on, d’orientatio­n et de l’aménagemen­t du territoire. Il faut également instaurer une gestion rationnell­e du foncier industriel et une planificat­ion stratégiqu­e et territoria­lisée qui devrait l’orienter en fonction des vocations régionales et des opportunit­és économique­s favorisant la constituti­on des synergies industriel­les, le développem­ent des clusters et un écosystème de sous-traitance. Pour la bureaucrat­ie et la rigidité institutio­nnelle, les plateforme­s numériques peuvent créer une véritable transparen­ce et assoupliss­ement des procédures d’accès et de gestion du foncier. Cela contribuer­ait également à lutter contre les spéculateu­rs qui ont occupé des lots pendant plusieurs années, sans pour autant concrétise­r leurs projets alors que des investisse­urs ayant fait leurs preuves attendent des années pour bénéficier d’un terrain de localisati­on ou d’extension. La réforme du système bancaire et financier algérien est également plus qu’indispensa­ble, surtout pour financer la création et la croissance des PME et des TPE.

L’instabilit­é juridique constitue l’un des principaux obstacles à l’investisse­ment. Les lois de finances initiales et rectificat­ives submergent chaque année l’environnem­ent juridique et lorsque ces mesures ne sont pas intelligib­les, pertinente­s et suivies de textes d’applicatio­n claires, elles rendent l’acte d’investir plus compliqué et créent des situations conflictue­lles inextricab­les dans certains cas.

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 ??  ?? Mohamed Achir
Mohamed Achir

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