Tebboune joue la carte de l’apaisement
●●Si la décision de la libération des détenus du hirak est accueillie avec soulagement par l’ensemble des acteurs politiques et les défenseurs des droits de l’homme, il reste que beaucoup de ces personnalités espéraient des décisions importantes, notammen
Dans son discours à la nation jeudi soir, le président Abdelmadjid Tebboune a annoncé plusieurs décisions, faisant état d’autres à venir dans le cadre du changement radical revendiqué par le hirak, et ce, à travers «des solutions institutionnelles et pérennes».
Le chef de l’Etat a évoqué le deuxième anniversaire du hirak, mouvement qui, a-t-il dit, «a sauvé l’Algérie».
En s’adressant jeudi à la nation, le président Tebboune a annoncé la dissolution de l’APN, un remaniement ministériel ainsi que la libération des détenus du hirak. Si cette dernière décision est accueillie avec soulagement par l’ensemble des acteurs politiques et les défenseurs des droits de l’homme, il reste que beaucoup de ces personnalités espéraient des décisions importantes, notamment sur le plan politique, et ce, dans le but de désamorcer, selon eux, la crise multidimensionnelle que traverse le pays. La Ligue algérienne de défense des droits de l’homme (LADDH) s’est réjouie de la libération des détenus d’opinion et estime qu’il ne s’agit là que la réparation d’une injustice après plusieurs mois de détention arbitraire. «Nous attendons d’autres gestes plus concrets sur le plan du respect des libertés, des droits humains, de l’ouverture démocratique et des champs politique et médiatique, à même de prémunir les activistes pacifiques d’autres arbitraires à l’avenir», tranche Saïd Salhi, vice-président de la Ligue, qui réitère à l’occasion son appel à l’ouverture d’un nouveau processus démocratique authentique et négocié à même de garantir le changement pacifique et la refondation démocratique et sociale.
Atmane Mazouz, du RCD, pense que Tebboune vient, encore une fois, «de botter en touche» en passant à côté de l’essentiel. «Dans son discours, il a ignoré ostensiblement les attentes des Algériens, qui manifestent depuis février 2019 pour le départ du système», affirme Mazouz. Les Algériens attendent, selon ce cadre du RCD, de «vraies solutions qui leur permettront de décider souverainement de leur destin». «On ne sent aucune volonté chez le chef de l’Etat (…) de se soustraire de sa dépendance d’une feuille de route contre-révolutionnaire pour permettre au peuple de vivre harmonieusement et pleinement en démocratie.» Ce ne seront pas d’autres élections, de l’avis du RCD, «qui, certainement, seront traficotées, ou des rafistolages de la composante du gouvernement qui atténueront la volonté du peuple algérien à continuer le combat pacifique pour la satisfaction de ses revendications». «Les Algériens et l’opposition réclament une transition démocratique de rupture et un processus constituant souverain», a-t-il insisté.
Zoubida Assoul, juriste et présidente de l’UCP, a trouvé sur le plan de la forme un Président très fatigué. Sur le fond, elle se «félicite» de la libération des détenus, une revendication phare des avocats, des militants et défenseurs des droits de l’homme. S’agissant de la dissolution de l’APN, Mme Assoul a estimé que «Tebboune veut apparemment en découdre avec les partis qui ont soutenu Bouteflika (…)». Pour le remaniement ministériel, elle s’est montrée déçue. «J’ai fait une proposition de sortie de crise relative au départ du gouvernement dans son ensemble et la nomination d’un autre de compétences nationales, car le pays n’est pas vraiment géré», note Mme Assoul, qui estime qu’«en dépit de ces décisions, le problème politique est toujours de mise». «La libération des détenus est une bonne chose, mais la crise politique nécessite un dialogue sérieux avec toutes les parties inclusives pour essayer de trouver une solution», indique-t-elle, restant persuadée que les élections législatives ne vont pas régler la crise profonde qui touche le pays.
Belaïd Abdelaziz, leader du Front El Moustakbal, parle quant à lui de «décisions courageuses» prises par le Président. «Ces décisions posent véritablement les jalons de la nouvelle Algérie. Tebboune a répondu favorablement à notre revendication portant sur la dissolution de l’APN.» Bengrina, du mouvement El Bina, affirme que le discours du chef de l’Etat «renferme des décisions politiques importantes, qui augurent d’une véritable réforme en profondeur». El
Bina a cité en particulier la grâce présidentielle en faveur d’un groupe de détenus, la qualifiant de «geste qui apaisera les Algériens». Le Pacte pour l’alternative démocratique (PAD), regroupant plusieurs partis politiques, estime que le rejet populaire de la politique des coups de force, des faits accomplis et du replâtrage du système autoritaire se confirme à travers la reprise générale des luttes sociales, citoyennes et politiques pour la libération des détenus d’opinion et contre les politiques régressives du pouvoir. «Nous constatons, hélas, après le discours du chef de l’Etat, que la demande populaire de changement démocratique radical est loin d’être entendue et que la contre-révolution autoritaire ne lâche pas prise», souligne le PAD, qui enregistre avec révolte «la persistance obstinée du pouvoir à imposer un agenda visant à restaurer le système autoritaire par un nouveau coup de force électoral adossé à de multiples subterfuges clientélistes et étroitement encadré par le dispositif policier habituel». Les forces du PAD considèrent que le salut de l’Etat national et du peuple ne saurait découler de l’alignement des organisations de la société civile et des partis politiques sur une feuille de route qui vise à perpétuer le système autoritaire en place et reconduire les mêmes procédés et méthodes qui ont ruiné le pays. La solution démocratique, selon le PAD, passe par l’arrêt définitif de la répression et des poursuites judiciaires contre l’action politique et citoyenne, la réhabilitation juridique, morale et matérielle totale de tous les détenus politiques et d’opinion et le rétablissement immédiat et inconditionnel des libertés publiques. «Le peuple algérien est en droit de dégager dans la transparence les voies et moyens juridiques, institutionnels et politiques nécessaires à la satisfaction de l’exigence citoyenne d’une transition démocratique basée sur un processus constituant souverain, permettant d’édifier les fondations nécessaires à l’expression libre de la souveraineté populaire», déclarent les forces du PAD.